Devenir ingénieur : le Groupe Insa rappelle les défis de l’après diplôme

by Olivier Rollot

À l’heure où les entreprises cherchent à attirer et retenir de jeunes ingénieurs en quête de sens, le Groupe INSA publie l’étude S’inventer ingénieur·e, un statut en mutation, qui met en lumière les profondes mutations à l’œuvre dans l’identité professionnelle des ingénieurs, leur rapport au travail et l’expérience spécifique vécue par les femmes dans la filière. Alors que l’ingénieur acteur du changement est une des figures d’incarnation de l’ingénieur contemporain pour plus de 30% des jeunes interrogés, qu’ils soient étudiants ou jeunes actifs, les auteurs de l’étude notent que « les marges de manœuvre limitées et les fortes contraintes organisationnelles que les jeunes découvrent en entrant dans l’entreprise viennent heurter le récit mobilisateur porté par les écoles et les employeurs, censé répondre à leur quête de sens ».

Une identité professionnelle qui se recompose. Menée par l’Institut Gaston Berger du Groupe INSA avec le soutien du Groupe EGIS, l’étude révèle une identité d’ingénieur désormais plurielle et moins homogène qu’autrefois. Le titre d’ingénieur ne renvoie plus à un rôle unique, mais à une palette de fonctions, parfois éloignée du récit traditionnel de l’“ingénieur acteur du changement”. Les jeunes diplômés découvrent souvent que la hiérarchie et les processus limitent leur autonomie : un cinquième d’entre eux déclarent occuper un rôle d’exécutant, tandis qu’un tiers jugent leurs missions peu stimulantes. Ce décalage entre formation, aspirations et réalité du terrain nourrit une forme de désillusion. « On entend régulièrement qu’elles ont besoin de techniciens, d’ingénieurs assistants, de profils moins élevés mais, dans les faits, leurs engagements sont limités. Parfois, on observe que nos ingénieurs juniors en début de carrière sont sous-utilisés. Cela pourrait se corriger si les entreprises acceptaient davantage de répartir les tâches selon les compétences et les appétences, sans considérer le niveau hiérarchique comme un obstacle », commente Aline Aubertin, la directrice générale de l’Isep.

Se préparer au monde de l’entreprise. Réduire le risque de décalage entre formations et emploi passe par la confrontation des jeunes diplômés aux pratiques des entreprises. L’ECAM LaSalle à Lyon possédé des plateformes technologiques où sont simulées les pratiques de l’entreprise. Des « usines écoles » qui permettent de comprendre la réalité des métiers. « En 2009 nous avons ains inauguré, en compagnie de Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi et Gérard Collomb, alors Maire de Lyon, l’Institut de l’Excellence Opérationnelle. Avec le soutien de l’industriel Gene Haas nous avons créé en 2021 le Gene Haas Center, une plateforme de 350 m2 avec huit machines-outils », détaille Didier Desplanche, le directeur de l’école.

Une démarche qui passe également par une relation forte avec les entreprises comme l’explique la directrice générale de 3il Ingénieurs, Dominique Baillargeat : « Nos formations naissent toujours d’un dialogue avec les acteurs du territoire. L’exemple du parcours Santé Numérique est parlant : il a été conçu avec[DB1]  les hôpitaux et structures médico-sociales locales. Nous adaptons ensuite les contenus aux compétences numériques requises : cybersécurité, data, IA, etc. L’objectif est clair : répondre aux besoins réels des entreprises et des territoires ».

Même réflexion du côté de l’Eigsi qui vient de lancer de nouvelles filières — médecine augmentée, éco-conception du bâtiment, aéronautique et naval durables — qui « replacent l’ingénierie au cœur des transitions industrielles et écologiques » insiste son directeur, Jean-Michel Nicolle qui entend « recontextualiser les formations, leur instiller une culture recherche plus visible, étendre l’offre en amont et en aval des formations d’ingénieurs pour les ancrer au cœur des défis du futurs ».

Un rapport au travail centré sur l’expérience. Les résultats de l’enquête des Insa montrent également une génération davantage orientée vers l’apprentissage, la mobilité et la qualité de vie plutôt que vers l’attachement durable à une entreprise. Les jeunes ingénieurs évaluent leur parcours comme une « succession d’expériences permettant de développer compétences, réseaux et sens ». Mais les attentes à l’égard de l’impact sociétal révèlent un contraste : 43 % des étudiants jugent motivant de s’engager dans des projets à fort enjeu social, contre seulement 29 % des jeunes actifs. Une différence qui traduit, selon les sociologues, un « recentrage individuel ou la confrontation à des organisations où l’impact réel reste difficile à exercer ».

Des trajectoires féminines toujours contraintes. L’étude consacre un volet important à l’expérience des femmes ingénieures, dont les parcours demeurent exposés à des normes organisationnelles encore largement masculines. Si elles investissent ce champ comme espace d’ascension sociale, elles expriment des inquiétudes persistantes : près de la moitié de celles qui se disent peu attirées par le management doutent de leur légitimité à diriger, et plus d’une sur deux redoute la charge mentale associée aux fonctions d’encadrement. Les critères d’attractivité privilégiés par les femmes — transparence salariale, politiques équitables, flexibilité organisationnelle, mixité managériale — « montrent une demande claire d’égalité réelle ». Celles-ci se montrent également plus « attentives que leurs homologues masculins aux aménagements permettant de concilier vie professionnelle et personnelle ».

Cinq pistes pour transformer l’ingénierie. Face à ces constats, l’Institut Gaston Berger formule cinq recommandations destinées aux écoles comme aux entreprises. Il s’agit d’abord de clarifier les marges de manœuvre et d’offrir un cadre de travail cohérent avec les responsabilités attendues. L’étude préconise ensuite de faire de l’apprentissage continu un moteur d’engagement, de valoriser la diversité des profils, de garantir une égalité concrète — et non simplement déclarative — et enfin de « construire un climat organisationnel fondé sur la confiance et la reconnaissance ». Autant de leviers visant à adapter l’ingénierie aux aspirations d’une génération qui « redéfinit les contours du métier ».

10 POINTS DE L’ETUDE DES INSA A RETENIR

20% des jeunes ingénieurs en activité considèrent que leur fonction n’offre pas suffisamment d’autonomie et qu’ils occupent un rôle d’exécutant.

31% des étudiants et 28% des jeunes actifs jugent leurs missions peu intéressantes.

43% des étudiants ingénieurs trouvent motivant que l’entreprise propose aux jeunes de s’investir dans des projets à impact sociétal (levier de fidélisation), contre 29% des ingénieurs en entreprise

Plus de 30% des répondants (étudiants et actifs) associent l’ingénieur à la figure de l’acteur du changement, mais cette représentation se heurte à la réalité du terrain

17% des femmes actives placent le travail au premier plan de leur vie (vous 11% des hommes).

46% des femmes qui déclarent ne pas être intéressées par le management doutent de leur légitimité à manager (vs 32% des hommes).

53% d’entre elles craignent la charge mentale associée à l’encadrement (vs 34% des hommes)

70% des étudiantes et 55% des femmes actives jugent que les facilités d’organisation du travail (congé, flexibilité des horaires pour les deux parents) sont la mesure la plus adaptée aux besoins des femmes.

70% des étudiantes et 55% des femmes actives citent une politique d’égalité salariale transparente comme premier critère d’attractivité.

56% des étudiantes et 45% des femmes actives valorisent la mixité dans les postes de management comme critère d’attractivité.


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