Élu « Directeur de l’année » par l’Association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC) et la rédaction de « l’Essentiel du Sup », Léon Laulusa, directeur général d’ESCP Business School, détaille avec nous ses ambitions : développer deux nouvelles écoles (de technologie et de gouvernance), élargir la gratuité pour certains niveaux d’études et réinvestir les excédents au service de l’étudiant et de l’innovation. Il expose sa vision d’une institution hybride mêlant management, technologies émergentes et sciences politiques, pour anticiper les mutations de l’éducation à l’ère de l’intelligence artificielle.

Olivier Rollot : Dans le plan stratégique que vous avez dévoilé cette année vous parlez de transformer ESCP en « première Université Européenne de Management » avec trois écoles. Pouvez-vous expliciter cette ambition ?
Léon Laulusa : Permettez-moi d’abord de remercier Aphec et l’Essentiel du Sup pour cette distinction, qui reconnaît avant tout le formidable travail de notre communauté ESCP. Nous allons compléter notre école de commerce par deux nouvelles entités : une École de Technologie et une École de Gouvernance. L’objectif est d’hybrider le management avec les technologies émergentes, d’une part, et les affaires publiques/diplomatie, d’autre part et d’offrir la première Université européenne de Management. ESCP est déjà Université en Allemagne et en Italie, Grande École en France, Grand Établissement en Espagne. Au Royaume-Uni, nous délivrons en propre des diplômes britanniques et j’ai eu l’honneur d’en signer pour la première fois cette année.
O. R : Comment seront organisés ces nouveaux programmes ?
L. L : Ils reposeront sur le modèle tournant multi-campus : plusieurs lieux, plusieurs temps, qui est l’ADN de ESCP. L’École de Technologie ne sera pas une école d’ingénieurs mais un cursus mixte 50 % management / 50 % technologie avec des fondamentaux comme les maths, le codage, la physique, etc. L’École de Gouvernance intégrera les enseignements de géopolitique, stratégie et affaires publiques.
O. R : Quels effectifs professoraux prévoyez-vous pour ces trois écoles ?
L. L : D’ici 2030, pour l’École de commerce, nous visons 300 professeurs. Pour l’École de Technologie, 50 professeurs ; pour l’École de Gouvernance, 20 professeurs.
O. R : Autre sujet de développement pour ESCP : quelle est la logique de l’« Extension School » que vous venez de lancer ?
L. L : Elle vise un public que nous ne servions pas suffisamment : cadres intermédiaires, professionnels en reconversion. Nous proposons des dispositifs certifiants, des blocs de compétences (titre RNCP niveau 7), des programmes modulaires (100–150 h) autour de thèmes comme la transition écologique, l’IA, l’entrepreneuriat. Ces formations exigeantes sont dispensées sur 8 mois, essentiellement en ligne, pour 4 850 €. Elles sont conçues pour être accessibles, modulaires, hybrides.
TECHNOLOGIE, IA ET HYBRIDATION DES COMPÉTENCES
O. R : Vous intégrez les technologies émergentes au cœur de l’offre. Comment ?
L. L : Nous proposons déjà un master Business Analytics, un institut tech / deep tech, et près de 40 professeurs travaillent sur les sujets d’IA, blockchain, cybersécurité, robotique. L’École de Technologie viendra formaliser cette expertise dans un cursus structuré.
O. R : Vous parlez d’un passage de l’interdisciplinarité à l’hybridation. Que voulez-vous dire ?
L. L : L’interdisciplinarité consiste à croiser des perspectives. L’hybridation, c’est créer des compétences nouvelles, au croisement de disciplines — management + technique + géopolitique. Avec l’IA, il faudra apprendre à apprendre, apprendre à désapprendre et apprendre à réapprendre : ce n’est plus une expertise unique mais une navigation permanente entre compétences.
MODÈLE NON LUCRATIF ET RÉINVESTISSEMENT SOCIAL
O. R : Quelle est la nature juridique de l’ESCP et comment cela influence-t-il votre stratégie financière ?
L. L : ESCP est un établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC) avec une mission d’intérêt général : privé mais à but non lucratif. Tous les excédents sont réinvestis dans l’expérience étudiante, les bourses sociales, les investissements immobiliers ou technologiques.
O. R : Vous annoncez un objectif total de 10 millions d’euros de bourses versés par l’école à ses étudiants. Pouvez-vous préciser ?
L. L : Depuis 2021, nous avons rendu gratuits les échelons CROUS 4 à 7 pour notre programme grande école. À partir de septembre 2026, nous allons étendre cette gratuité de l’échelon 2 à 7, ce qui représente une contribution supplémentaire significative, entièrement réinvestie pour l’ouverture sociale.
PRÉPAS, INCLUSION ET RECRUTEMENT
O. R : Quel avenir ont les classes préparatoires dans votre stratégie ?
L. L : Lesprépas jouent un rôle essentiel dans le développement des compétences génériques : esprit critique, discernement, synthèse, concentration, résilience. Nous allons renforcer les dispositifs pour les élèves boursiers et les lycéens : accueil, préparation aux entretiens, soutien méthodologique, développement de la confiance en soi et également consolidation des savoirs fondamentaux pour des lycéens.
O. R : Accordez-vous des « bonus » ou une discrimination positive dans les admissions ?
L. L : Nous n’offrons pas de bonus en tant que tels. Mais pour les élèves boursiers, nous offrons des programmes de coaching dédiés aux élèves boursiers pour les aider à révéler tout leur potentiel. Les valeurs qui guident ESCP sont claires : Inclusion, Diversité, Excellence et Mérite (IDEM).
RECHERCHE, CHAIRES ET PARTENARIATS
O. R : Aujourd’hui les établissements d’enseignement supérieur sont à la recherche de nouvelles ressources. Quelle est votre stratégie en matière de recherche et de chaires ?
L. L : Nous disposons d’une quarantaine d’entités de recherche, dont nos 5 Instituts LIGhTS (Leadership, Innovation, Géopolitique, Technologique et Soutenabilité) et auxquels viendra s’ajouter un sixième, dédié aux humanités. Nous en lançons de nouvelles : par exemple, une Chaire sur la transformation digitale pour un impact durable avec Schneider Electric, ou une Chaire sur la mobilité du futur en partenariat avec Sixt. Enfin, nous créons une nouvelle École du Leadership de Paris, aux côtés de Jean-Pierre Raffarin, Henri Giscard d’Estaing et Philippe Houzé afin de faire émerger une véritable école de de pensée française et européenne du leadership.
O. R : Quel rôle pour les étudiants dans la recherche ?
L. L : Nous voulons qu’ils soient des « apprentis-chercheurs » : l’entreprise apporte un cas concret et les étudiants aident l’entreprise à développer des solutions, avec l’appui de leurs professeurs.
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, PÉDAGOGIE ET SINGULARITÉ HUMAINE
O. R : Quelle relation voulez-vous établir entre les IA et les pédagogies ?
L. L : L’IA est un outil augmenté. Elle peut automatiser des tâches répétitives (résumés, organisation, gestion de données). Mais l’humain conserve la décision, le discernement, l’intelligence situationnelle. ESCP vise à enseigner à penser hors des normes, agir dans le non conventionnel, tout en respectant les contraintes réglementaires ou budgétaires.
O. R : Pensez-vous que les outils en ligne remplaceront les enseignements sur site ?
L. L : Non. Certains apprentissages incarnés (interaction, ressenti, débat) ne peuvent se réduire au digital. L’hybridation (cours asynchrones, synchrones, distanciels, moments en présentiel) est plus raisonnable. L’intelligence situationnelle, interculturelle, ne peut pas être entièrement captée par une IA.
PROJECTIONS ET CONVICTIONS
O. R : Quelles grandes tendances voyez-vous pour les 20 prochaines années dans l’enseignement supérieur ?
L. L : Je prédis qu’il n’y aura plus de barrières entre écoles de commerce et écoles d’ingénieurs : l’IA exige qu’on comprenne en profondeur les modèles techniques et qu’on acquière la capacité à s’adapter constamment. Nous passerons d’un modèle en T — une spécialisation verticale reposant sur des compétences générales — à un modèle en W, caractérisé par des cycles successifs d’apprentissage et de de multi-spécialisations.
O. R : Un mot pour conclure ?
L. L : Notre projet est dicté par la conviction que l’éducation doit évoluer. Il faut massifier l’accès à l’excellence, hybrider les compétences, anticiper les disruptions technologiques. Si tout se passe comme prévu, ESCP deviendra une université européenne de management réinventée — pour servir ses étudiants et la société.