L’Université PSL a inauguré la Paris School of AI (PSAI), sa première école interne et la première réalisation de son nouveau plan stratégique. Retour avec son président, El Mouhoub Mouhoud, sur l’actualité et les projets d’une université qui compte bien s’imposer parmi les meilleures au monde.
Olivier Rollot : L’Université PSL vient de lancer sa Paris School of AI (PSAI), sa première école interne, dédiée à la formation et à la recherche en intelligence artificielle. Où en est le plan stratégique aujourd’hui par rapport au programme annoncé au début de l’année 2025 ?
El Mouhoub Mouhoud : Le déploiement est bien engagé et suit la feuille de route validée à l’unanimité par le directoire de l’Université PSL lors d’un séminaire fin août dernier. Les « Paris School of »en constituent l’ossature : la Paris School of AI est lancée et d’autres vont suivre selon un calendrier de priorités.
O. R : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la Paris School of Artificial Intelligence (PSAI) ?
E-M. M : C’est une école complète qui propose aussi bien une formation initiale haut niveau – bachelor international 100% en anglais et master – que de la recherche et un doctorat avec l’accueil de research fellows. Elle est portée par PSL et adossée à Dauphine – PSL, à l’ENS – PSL et Mines Paris–PSL. Elle agrège la double licence « IA & sciences des organisations » (créée à Dauphine en 2022), le CPES Sciences des données arts et culture en partenariat avec le Lycée Louis-le-Grand et le master IASD (Dauphine/ENS).
L’école est bâtie sur un modèle « IA + une autre discipline » avec des enseignements en anglais et des droits d’inscription progressifs en fonction des revenus des familles (avec bourses) afin de concilier équité et soutenabilité financière.
Ce développement dans les IA est possible parce que PSL porte aujourd’hui le premier cluster de France en intelligence artificielle. Le projet PR[AI]RIE – Paris School of AI (PR[AI]RIE-PSAI) réunit les forces scientifiques en IA de l’Université, mais également du CNRS, de l’Inria, de l’Institut Pasteur et de l’Université Paris Cité. Il est financé par France 2030 à hauteur de 75 millions d’euros.

El Mouhoub Mouhoud, président de l’université PSL
O. R : Quelles autres « Schools of… » sont déjà prévues ?
E-M. M : En 2026 nous ouvrirons la Paris School of Engineering, portée par Mines Paris–PSL, Chimie ParisTech–PSL et l’ESPCI Paris – PSL. Là aussi il y aura un Bachelor international (L1 à Sophia Antipolis, L2–L3 à Paris) mais aussi un double diplôme prévu avec Rice University. Le master sera quant à lui adossé à l’appel à projets MERCASTO qui visant à former des étudiants, enseignants-chercheurs et docteurs pour répondre aux enjeux de décarbonationet de réindustrialisation durable en France.
En 2027 ce sera au tour de la Paris School of Arts de voir le jour avec d’abord l’École des Arts Décoratifs – PSL, l’Ensa Paris-Malaquais – PSL et le Conservatoire d’art dramatique – PSL. Puis la rejoindront des partenaires à intégrer : Fémis, Beaux-Arts, Conservatoire de musique et de danse. Là aussi seront délivrés des bachelor et master internationaux. Cette Paris School of Arts va simultanément orchestrer la création d’un laboratoire de recherche en art de dimension internationale, qui n’existe pas pour l’instant, et qui va structurer la recherche en art en France avec comme point de départ les thèses SACRe, des thèses recherche-création, que PSL a créées. Nous allons également lancer un bachelor international, sans doute avec une université britannique.
Toujours en 2027 nous allons créer la Paris School of Climate Change & Biodiversity (et matériaux), s’appuyant sur des forces de recherche de PSL : chimie des matériaux, mathématiques et modélisation appliquées au climat, économie de l’énergie/finance carbone, écologie, droit du climat.
O. R : D’autres « Schools of… » sont-elles encore à l’état de projet ?
E-M. M : La création de deux autres schools a été a retenue à l’unanimité par le directoire. D’abord la Paris School of Humanities c’est à dire la réunion de toutes les humanités de PSL, de l’École normale supérieure – PSL, l’École des chartes – PSL, l’École pratique des hautes études – PSL, avec toujours la même idée de faire un bachelor en humanités internationales et un master et puis de les connecter avec les autres avec notamment la question des humanités numériques.
A moyen terme nous ciblons la création d’une Paris School of Public Governance à partir des fondations de l’Institut d’action publique que nous avons mis en place. Nous envisageons également la création de la Paris School of Health & Life Sciences adossée au Paris Santé Campus.
O. R : Sur quelle pensée académique sont fondées ces écoles ?
E-M. M : Toutes les futures « Paris School of » de PSL adopteront la même logique stratégique d’offre de formation : forte internationalisation, bi-disciplinarité (double majeure), recherche intégrée, droits progressifs et ouverture sociale.
Double majeure « IA + X », « Arts + IA », « Climat + Économie/Chimie/Physique », etc. nous nous appuyons toujours sur la bi-disciplinarité et la formation par la recherche dès la première année. L’objectif est d’acquérir des compétences profondes dans deux champs, plutôt qu’une multidisciplinarité qui dilue les expertises. C’est un modèle original car il offre des ponts aux étudiants pour choisir deux majeures dans l’une ou l’autre des « Paris Schools of… » que PSL lance.
Et ce sont également des écoles qui sont très ouvertes à l’international, avec un objectif de recruter au moins la moitié d’étudiants internationaux.
Enfin si PSL est une université sélective – pour certaines formations comme le CPES seuls 4à 5% des candidats sont reçus – elle est ouverte sur la société avec un taux de boursier remarquable de 30 % en moyenne en premier cycle.
O. R : Vos CPES (cycles pluridisciplinaires d’études supérieures) vont-ils également évoluer ?
E-M. M : Nous allons reconfigurer le contenu des enseignements du CPES que nous délivrons avec le lycée Henri IV pour tenir compte de la création des « Paris School of » et favoriser, là aussi, des passages. Quant au CPES que nous avons a lancé en 2023 avec Louis le Grand et qui est consacré aux industries culturelles et à l’intelligence artificielle, il va avoir comme débouchés les masters de la « Paris School of IA ».
O. R : Où s’installeront ces formations à Paris ?
E-M. M : PSL possède des locaux rue Amyot, proches de l’ENS, qui sont déjà utilisés par la licence Sciences pour un monde durable et rue de l’Estrapade pour la PSAI. Les écoles sont au cœur de PSL et sont fécondées par les laboratoires des établissements membres. C’est pour cela que j’ai créé un poste de vice-président délégué à l’innovation. Le deuxième grand projet que je porte, c’est de favoriser la recherche à risque et l’innovation de rupture.
O. R : PSL structure-t-elle une recherche originale en la matière ?
E-M. M : Si vous me demandez à quoi sert PSL par rapport aux établissements membres, c’est à prendre des risques que ne prendraient pas les établissements tout seuls. Mais il faut des financements et c’est pour cela que nous drainons les financements de nos appels à projets en recherche et pour l’innovation.
PSL dépose 80 brevets par an et soutient la création d’autant de startups, dont dix en innovations de rupture. Mais il faut en faire plus. Ce que nous voulons, c’est vraiment transformer la société par des innovations avec une direction de l’innovation que je l’ai placée dans le périmètre de la recherche pour conjuguer recherche et innovation. Ce que je veux c’est qu’il y ait des ingénieurs procédés qui soient capables de repérer les potentiels de recherche dans nos différents laboratoires de recherche pour les transformer en innovation.
O. R : Une recherche toujours interdisciplinaire ?
E-M. M : En 2022 nous avons sélectionné 14 grands programmes de recherche, héritiers des LABEX, qui réunissent des chercheurs de plusieurs disciplines. Le grand programme de recherche TERRAE fait converger ainsi aussi bien les géosciences, que les sciences de la biodiversité et de la santé mais aussi que les sciences humaines et sociales. C’est la force de PSL de pouvoir réunir toutes ces disciplines dans un programme.
Nous avons ainsi investi 36 millions d’Euros de notre IDEX sur la table pour favoriser une recherche pluridisciplinaire, innovante, qui s’ajoute aux budgets des laboratoires.
Cette montée en puissance de la collaboration inter-établissements est ce qui a changé par rapport à ce qui se faisait auparavant. Avant, il y avait, l’idée que PSL reposait sur un diptyque subsidiarité – les établissements font ce qu’ils font en termes de compétences – et mutualisation. J’y ai ajouté une troisième dimension qui est la coopération renforcée entre établissements à géométrie variable en fonction des projets.
O. R : Quel est votre style de gouvernance pour parvenir en si peu de temps à autant d’accords avec vos écoles membres ?
E-M. M : Les décisions du directoire sont consensuelles et transparentes. J’ai engagé une rupture avec les négociations bilatérales asymétriques. Plus vous vous la limitez la diffusion de l’information, plus vous créez de la défiance. Plus vous donnez toute l’information disponible plus vous créez de la confiance et des possibilités de décisions fortes et appliquées. Dans une discussion je défends mon point de vue jusqu’au bout. Les membres défendent parfois un point de vue relativement différent et nous arrivons à converger.
O. R : Comment définiriez-vous le modèle économique de PSL ?
E-M. M : En moyenne nous avons 50 % de ressources propres consolidées, le reste étant des subventions pour charges de service public. Ces 50 % de ressources propres, reposent sur des appels à projets publics que nous remportons, que ce soit en France avec France 2030 ou en Europe avec les ERC (European Research Program) mais aussi sur notre formation continue et nos partenariats avec les entreprises. Nous venons également pour la première fois d’avoir une spin-off accompagnée par PSL, LightOn, cotée en bourse et nous avons également des parts de participation. Tout cela revient dans les dotations de PSL.
Nous avons une fondation, des alumni qui vont contribuer, une politique de mécénat. Avec tous ces moyens nous souhaitons passer à 60% de ressources propres, mais rester déjà à 50% serait un beau résultat.
Le séminaire du directoire en aout dernier a été l’occasion d’une large réflexion collective pour anticiper les chocs futurs. Dans l’hypothèse, très probable, où les appel à projets français s’interrompraient, il nous faudrait trouver d’autres ressources : les financements européens comme les ERC mais aussi développer encore davantage les ressources propres venant du monde socio-économique. C’est aussi dans cet esprit que nous avons décidé de travailler en priorité sur le développement des « Paris Schools of » et sur les programmes de recherche fondés sur des droits d’inscription positifs. Nous réfléchissons également aux compétences qu’il conviendrait de davantage mutualiser pour certains de nos services supports – la santé, des métiers spécifiques des affaires juridiques tout ce qui fait fonctionner une l’université – pour faire des économies d’échelle et gagner en efficacité.
Mais attention: ce que j’essaie d’expliquer aussi à notre tutelle et aux pouvoirs publics, c’est que les ressources propres, il faut aller les chercher « avec les dents ». C’est un effort de productivité. Il ne faut pas considérer que ça tombe du ciel. Donc il ne faut pas non plus que les subventions soient réduites à proportion de l’augmentation des ressources propres ! Cela doit être exactement l’inverse. Si je suis capable d’aller chercher, 100€ de ressources propres, il faut que l’État mette aussi 100€.
O. R : Envisagez-vous d’augmenter encore vos frais de scolarité comme l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) le suggère dans un rapport sur le financement de l’enseignement supérieur?
E-M. M : Mais c’est justement c’est ce que nous faisons déjà. Dans toutes les « Paris School of » que nous lançons, les droits d’inscription seront progressifs en fonction des revenus des parents. Et les étudiants internationaux payent des droits en fonction de leur nationalité. Et ensuite nous distribuons des bourses d’excellence en fonction des moyens de l’étudiant.
Ce modèle accroît la dotation par étudiant – elle est par exemple de 14 000 € à Dauphine contre 6 000 € moyenne nationale – tout en améliorant la qualité de la formation et de l’insertion. Le CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) a d’ailleurs donné un voté positif à notre offre de formation y compris avec les droits d’inscription progressifs .
O. R : Qu’en est-il du développement de la formation continue. C’est également une priorité pour PSL ?
E-M. M : Notre axe stratégique est la formation sur-mesure par la recherche des dirigeants et ingénieurs. Par exemple la formation aux IA des COMEX industriels. PSL mutualise ses forces interdisciplinaires au niveau central pour proposer des certificats couvrant un large spectre : chimie, physique, climat, économie de l’énergie, etc.
O. R : PSL s’est-elle mobilisée pour accueillir des professeurs américains empêchés d’enseigner dans leur discipline par l’administration Trump ?
E-M. M : Nous n’avons pas crié sur les toits que nous allions accueillir des chercheurs de très haut niveau américains. Nous avons opté pour une politique très granulaire en partant de nos laboratoires et en sélectionnant des thématiques sur lesquelles il y avait un danger pour la recherche : climat, intelligence artificielle et climat, , régulation, santé, immunologie, vaccin et certaines sciences sociales également.
Nous avons mobilisé notre fonds PSL Global Seed Fund pour l’élargir à de jeunes chercheurs fragilisés par la politique de l’administration Trump – doctorants et post-doctorants – sur ces thématiques prioritaires. Ce fonds a été conçu pour encourager les collaborations scientifiques internationales et permet un accueil pour des durées variables. Selon les situations, ce premier dispositif peut être combiné avec le programme Choose France/Europe pour des postes plus pérennes.
Nous accueillons par exemple à l’ESPCI un chercheur de l’université d’Indiana qui développe un dispositif d’imagerie optique, à Paris Malaquais un architecte spécialiste du climat. Il y a toute une série de d’exemples. Certains vont rester, d’autres vont repartir mais nous sommes heureux de les accueillir.
Mais cela ne peut le faire qu’au travers de nos laboratoires de recherche qui conservent des liens étroits avec les universités américaines.
O. R : Vous parlez d’internationalisation dans votre projet. Comment cela se traduit-il ?
E-M. M : Il est très important pour PSL de se déployer dans le monde avec la création de campus à l’étranger. A Dauphine, nous avons créé le campus à Dakar en 2022 avec l’hypothèse que les découplages géopolitiques entre l’Afrique et l’Europe peuvent être compensés par des présences universitaires qui même si alors que les entreprises sont relativement rejetées. Dauphine a également un campus à Londres ; Nous venons aussi de créer un centre de recherche international sur l’économie circulaire au Brésil, en collaboration avec l’Université de São Paulo, début juillet 2025.
O. R : Êtes-vous satisfait de la place de PSL dans les classements internationaux ?
E-M. M : PSL est dans le Top 40 des grands classements (42e au Times Higher Education, 24e au QS) et 34ème dans celui Shanghai où les arts/humanités sont sous-pondérés. Au sein même de PSL nous faisons tout un travail actif sur ces classements pour optimiser nos réponses mais aussi du lobbying pour mieux refléter les arts et les humanités.
O. R: Quel « fil rouge » relie toutes vos décisions ?
E-M. N : La conviction que la double compétence et la formation par la recherche sont les meilleurs leviers pour répondre aux besoins de la société (IA régulée et contextualisée, transition écologique, matériaux, arts & technologies, humanités numériques), avec un modèle économique hybride (public/ressources propres) soutenant excellence ouverte, équité et impact sur la société et l’économie.

« Le prénom » : El Mouhoub Mouhoud publie un livre très personnel mais pas seulement. On peut le lire comme une autobiographie, on peut surtout le lire comme un témoignage d’une époque et d’un parcours : El Mouhoub Mouhoud vient de publier « Le prénom ». Dépositaire d’un nom et d’un prénom qui s’inscrit dans l’histoire de la colonisation Française, El Mouhoub Mouhoud y raconte son parcours, depuis un petit village de Kabylie vers la banlieue d’Alger ; puis son arrivée en France à l’âge de dix ans. Mêlant descriptions et analyses, il retrace ses découvertes, ses rencontres, ses aspirations parfois contradictoires, ses doutes et sa détermination qui l’ont conduit à diriger l’une des plus grandes universités françaises. Une réussite comme un hommage rendu à un père pour qui l’école et le savoir étaient la seule exigence.
- « Le Prénom – Esquisse pour auto-histoire de l’immigration algérienne », El Mouhoub Mouhoud, Le Seuil