Face à une possible victoire de Marine Le Pen à l’élection présidentielle, l’enseignement supérieur s’engage largement à soutenir Emmanuel Macron. France Universités appelle ainsi à « combattre l’extrémisme que porte la candidature de Marine Le Pen et à voter pour Emmanuel Macron » et la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) quand la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) « fait part de son désaccord profond avec le projet de société porté par le Rassemblement national et sa candidate et appelle à en tirer toutes les conséquences lors du vote du 24 avril prochain ». Un seul établissement a pris position en son nom propre : Sciences Po dont le conseil, réunissant professeurs, étudiants et personnels, a appelé à « faire battre Marine Le Pen » dans un communiqué. Du côté des étudiants si un « ni ni » est revendiqué entre les deux candidats par les plus engagés, c’est clairement la peur d’une élection de la représentante du Rassemblement National qui les rassemble.
France Universités et la Cdefi prennent position. Comme en 2017 la CPU, France Universités a pris la première, dès le 12 avril, une position politique affirmée en expliquant que « les idées et principes véhiculés par la candidature de Marine Le Pen sont résolument d’extrême droite. Son programme est contraire à nos valeurs, comme chercheurs, comme enseignants, comme dirigeants d’établissements, mais d’abord comme humanistes. Son programme va à l’encontre de notre vision de la société française, faisant craindre des menaces sur la place de la science, sur la place des libertés individuelles et collectives, sur l’État de droit et sur la construction européenne. Il contrevient à la tradition universitaire multiséculaire d’accueil des étudiants et chercheurs internationaux. Son projet comporte des risques réels pour la formation de la jeunesse et la production du savoir dans notre pays, mais aussi pour la place et l’image de la France dans le monde ».
Dans le même esprit, la Cdefi a publié un communiqué le 19 avril rappelant à la fois le « socle humaniste » sur lequel les écoles d’ingénieurs ont été créées et comment « l’ouverture à toutes les diversités est ancrée dans les valeurs de nos écoles d’ingénieurs » dont « l’international et l’interculturalité constituent le socle commun ». Et d’insister : « L’accueil et l’intégration d’étudiants, d’enseignants et de chercheurs en situation d’exil sont devenus une nouvelle responsabilité, une autre richesse pour les membres de notre conférence ». Déjà en 2017 le président de l’époque de la Cdefi, François Cansell, s’était prononcé dans ce sens.
Du côté de la Conférence des Grandes écoles (CGE) et de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) c’est en revanche silence radio. En 2017 le bureau de la Conférence des grandes écoles avait seulement rappelé dans une tribune que les établissements d’enseignement supérieur « ont un besoin impérieux d’être ouverts sur le monde pour exister au meilleur niveau international ».
Des présidents et directeurs prennent la parole. Dans une tribune au Monde un collectif rassemblant plus de soixante-dix acteurs de la recherche et de l’enseignement supérieur souhaite de son côté « alerter nos concitoyens sur l’immense danger que représenterait l’élection de Mme Le Pen à la présidence de la République ». Ce collectif, auquel se sont associés la plupart des présidents d’université à commencer par leur président Manuel Tunon de Lara, mais aussi le président du Hcéres, Thierry Coulhon, celui du CNRS, Antoine Petit, plusieurs directeurs de Grande écoles d’ingénieurs comme Bertrand Raquet (Insa Toulouse) ou Christian Lerminiaux (Chimie ParisTech) mais aucun d’école de management, explique que « la civilisation que nous propose Mme Le Pen est à l’opposé de ces principes et va à l’encontre de nos valeurs académiques, faites de tolérance, d’écoute et de respect. Elle est fondée sur le rejet de l’autre, sur la désignation de boucs émissaires, sur le refus d’une approche globale des problèmes. Elle remet en cause notre vocation européenne et l’ouverture internationale dont se nourrissent l’enseignement supérieur et la recherche ». Sans ambiguïté ils voteront donc « contre Marine Le Pen, et donc – c’est le principe d’un second tour d’élection présidentielle – pour Emmanuel Macron ».
Cet engagement peut-il aller jusqu’à inciter ses étudiants à voter pour un candidat ? C’est tout le débat qui s’est engagé après que la présidente de l’université de Nantes, Carine Bernault, ait appelé ses étudiants à voter contre le RN dans un e-mail où elle mettait en avant que « parce que les fondements de notre société sont en cause, je vous appelle solennellement à voter le 24 avril pour faire barrage à l’extrême droite et donc au Rassemblement National ». Une position qui lui a valu des tombereaux de critiques. «C’est une faute lourde, en violation des règles de neutralité qu’impose la fonction », vilipende le président du RN, Jordan Bardella, quand la sénatrice LR de Loire-Atlantique Laurence Garnier lui reproche d’avoir utilisé les fichiers étudiants « à des fins électorales ».
Est-ce la limite à ne pas dépasser ? Ce qu’un professeur a le droit de faire est-ce un interdit dès lors qu’on devient président ou directeur ? Sur son compte Linkedin le directeur général de Grenoble EM considère ainsi que si « les présidentes et présidents d’université, les directrices, les directeurs des grandes écoles sont dans leur rôle lorsqu’il s’agit de prendre position en leur qualité, identité et fonction professionnelles, pour marquer leur opposition sans faille contre les extrêmes (…) notre travail, avec les étudiantes et les étudiants, n’est sûrement pas de leur dire pour qui voter ou quoi faire dans l’isoloir ». « Passer par un média interne à l’université était probablement une petite maladresse mais je trouve qu’on a l’indignation très sélective aujourd’hui », résume le président de l’université de Strasbourg, Michel Deneken, qui avait quant à lui appelé à voter Emmanuel Macron dès le premier tour.
Enseignement supérieur : que disent les deux candidats? Lors de la présentation de son programme Emmanuel Macron a demandé que soit poursuivi « l’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche » et qu’on aille « plus vite et plus fort que la loi de programmation pour la recherche ». Il veut aussi « assumer la compétition » entre les établissements avec la création de « nouveaux outils d’évaluation ». Surtout il envisage « le renforcement de l’autonomie des universités pour en faire des opérateurs de recherche à part entière et le positionnement des organismes de recherche sur des secteurs stratégiques en leur permettant d’être plus attractifs et d’attirer les meilleurs talents internationaux ». Il promet également de« développer davantage de filières courtes » et de poursuivre la réforme de la formation professionnelle « en assumant un déréférencement de formations ». Emmanuel Macron avait également proposé de donner la primeur aux universités dans le développement de l’enseignement supérieur lors du congrès des 50 ans de France Universités.
A l’extrême droite, si dans son programme Marine Le Pen promet de revenir sur la réforme du bac, de construire 100 000 nouveaux logements étudiants publics et de soutenir financièrement les jeunes qui travaillent durant leurs études, elle ne dit pas un mot sur le fonctionnement et les missions de l’enseignement supérieur.
Des étudiants qui se mobilisent. Au nom d’un « Ni Macron, ni Le Pen » des étudiants ont occupé et largement saccagé La Sorbonne la semaine dernière alors que d’autres bloquaient l’accès de Sciences Po. Plusieurs lycées d’Île-de-France, dont l’emblématique Louis-Le-grand, ont également été bloqués ce mardi par des jeunes qui souhaitaient protester contre l’affiche du second tour de la présidentielle mais aussi alerter sur des thématiques liées à l’environnement.
Prenant les devants face à des occupations probables à l’aube du second tour, les universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris 3 (site de Censier) Paris 8 Vincennes Saint-Denis ont décidé quant à elle décidée de fermer leurs portes du 20 au 23 avril pour « raisons de sécurité ». Une élection de Marine Le Pen provoquerait sans doute un vaste mouvement de protestation dans les universités comme dans les lycées. Mais Emmanuel Macron ne devra pas non plus oublier ses promesses de campagne sur l’écologie avant des élections législatives qui constitueront, quoi qu’il arrive dimanche, un nouveau rendez-vous crucial.