Une enquête Les Grande écoles à l’ère de l’IA menée par la Conférence des grandes écoles en juin et juillet 2025 révèle l’ampleur de la transformation engagée dans l’enseignement supérieur autour des IA. Avec 5 074 répondants, dont près de 4 000 étudiants, elle offre une photographie précise des usages, perceptions et attentes dans les établissements. La montée en puissance de l’IA générative y apparaît comme un mouvement inexorable, même si son intégration reste inégale entre écoles et catégories d’acteurs.
Usage généralisé chez les étudiants, plus hésitant chez les enseignants. Trois quarts des étudiants déclarent utiliser régulièrement des outils d’IA. À l’inverse, la moitié des enseignants n’y recourt qu’occasionnellement, voire pas du tout. Les directions générales, elles, affichent un usage régulier à 62 %. Les écarts selon les spécialisations sont marqués : 88 % des étudiants en écoles de management utilisent l’IA plusieurs fois par semaine, contre 71 % dans les écoles d’ingénieurs et seulement 39 % dans les écoles de spécialité. ChatGPT domine largement les usages, complété par DeepL et différents outils conversationnels.

Des freins persistants chez les enseignants
La fiabilité des résultats constitue le principal frein, citée par 54 % des enseignants et 65 % des étudiants. Les préoccupations éthiques, la confidentialité des données ou encore le manque de compétences freinent également l’adoption des IA.

Les étudiants mentionnent aussi le risque de sanctions académiques. Malgré ces limites, leur niveau de confiance reste plus élevé que celui des enseignants, même si cette confiance décroît avec les années d’étude.

Confiance, maîtrise et éthique : des perceptions contrastées
Les étudiants évaluent leur maîtrise de l’IA à un niveau intermédiaire, autour de 6/10, quand les enseignants restent plus prudents. La sensibilisation aux enjeux éthiques est plus forte chez ces derniers, tandis que les directions générales se déclarent encore plus attentives sur ce point. Les écarts entre écoles apparaissent de nouveau : là encore les écoles de management se montrent plus avancées que les écoles d’ingénieurs et les écoles de spécialité.
Gouvernance IA : une structuration encore incomplète
Si 84 % des écoles disposent d’un service numérique, seule une sur deux a mis en place une gouvernance dédiée à l’IA. Et à peine 23 % disposent d’une stratégie IA formalisée. Là encore, les écoles de management font figure d’exception : 74 % d’entre elles ont structuré une telle stratégie, contre 17 % des écoles d’ingénieurs. Les dispositifs de pilotage restent généralement limités à des comités et groupes de travail.
Charte, formations et outils : un déploiement disparate
À peine plus d’un établissement sur deux a établi des règles claires d’usage de l’IA pour les travaux académiques. Les formations, elles, avancent à deux vitesses : 36 % des enseignants déclarent avoir été formés, mais seulement 20 % des étudiants. Les directions générales affirment pourtant, dans des proportions bien supérieures, proposer des actions de formation. Les outils mis à disposition restent essentiellement Copilot, ChatGPT et DeepL, avec des usages plus élevés que l’équipement réellement fourni.
Pionnière dans l’intégration de l’IA dans l’enseignement supérieur, NEOMA a formé plus de 8 000 étudiants à l’IA générative, et a franchi une nouvelle étape en avril dernier en devenant le premier « Design Partner » de Mistral AI dans le secteur. « Le choix de Mistral reflète à la fois notre engagement en faveur de la souveraineté numérique et d’une approche durable car Mistral AI a des modèles moins énergivores. Mais aussi parce qu’il s’agit d’un partenariat allant au-delà du statut de simple utilisateur de leurs outils pour imaginer et construire ensemble les usages de demain de l’IA dans l’enseignement supérieur », commente Delphine Manceau, la directrice générale de Neoma.
Une évolution encore partielle des programmes et évaluations
Près de 90 % des écoles de management ont fait évoluer les objectifs d’apprentissage pour intégrer l’IA, contre environ la moitié des écoles d’ingénieurs ou de spécialité. En moyenne, un tiers des programmes ont été adaptés. « Nous avons choisi d’intégrer l’IA dès la première année, mais en développant l’esprit critique. Nos étudiants apprennent à travailler « avec » l’IA, pas à la subir », commente Dominique Baillargeat, directrice de 3il Ingénieurs qui insiste sur la nécessité de les incitons à « réfléchir, à reformuler, à vérifier ».
Côté pédagogie, 56 % des enseignants ont déjà fait évoluer leurs évaluations, souvent pour limiter la fraude. A 3il les évaluations se font sur machine déconnectée, pour garantir l’authenticité du travail. « Notre réflexion s’oriente vers une réhabilitation de l’oral. Nous envisageons des soutenances de 20 minutes, avec 5 minutes de présentation et 15 minutes de questions-réponses. Cela deviendrait systématique pour tous les mémoires », commente le directeur général de l’Institut Mines Télécom business school, Herbert Castéran.
Enfin seuls 20 % des étudiants déclarent avoir suivi un module associant explicitement l’IA à une autre discipline, et les modules purement dédiés restent minoritaires. Depuis plusieurs années, GEM implémente ainsi des IA dans les technologies de réalité virtuelle (VR avec le soutien d’une équipe interne d’une dizaine de spécialistes. « En 2025, ce sont déjà plus de 1 500 de nos étudiants qui auront utilisé des technologies XR couplant IA et VR. Par exemple, les solutions Bodyswaps que nous utilisons dans ces applications VR nous permettent de développer des simulations réalistes et d’embrayer immédiatement vers un feedback personnalisé sur les soft skills développés. Le tout est déployé avec un casque virtuel qui interagit avec une IA et qui enregistre toutes les caractéristiques de l’échange », explique Philippe Monin, le directeur académique de l’école.

Des attentes fortes pour les compétences transversales
Une large majorité des enseignants comme des étudiants estime que l’IA doit devenir une compétence transversale enseignée dans tous les cursus. Mais les étudiants jugent les cours existants encore insuffisamment adaptés à leurs besoins professionnels. Les écoles de management obtiennent néanmoins de meilleurs retours que les écoles d’ingénieurs ou les écoles de spécialité. Une pluridisciplinarité indispensable selon Herbert Castéran : « Il faut former les étudiants aux sciences humaines, à la philosophie, et à la capacité de faire des liens dans une analyse systémique. L’objectif est de leur donner la capacité d’aller au-delà de l’IA, qui peut lister des causes à des phénomènes de manière exhaustive mais insuffisante pour les appréhender complètement ».
L’adaptive learning
Dans l’éducation c’est d’abord l’aboutissement de l’adaptive learning pour chaque étudiant qui est rendue possible selon Anthony Hié, directeur de la transformation digitale du groupe Excelia qui détaille : « Les enseignants ont également à leur disposition quantité d’outils pour créer des contenus pédagogiques interactifs par exemple avec Nolej.io. ou encore Heygen permet de réaliser des vidéos dans n’importe quelle langue avec une reproduction de la voix de l’enseignant et les mouvements des lèvres qui s’adaptent. Les immersive learning experiences se développent avec des IA adaptées à chaque sujet et qui sont beaucoup plus performantes que les seules IA génératives ».
Une vision globalement positive de l’impact sur les carrières
Plus de la moitié des étudiants anticipent un effet positif de l’IA sur leur parcours. Les inquiétudes se concentrent dans les écoles de spécialité, où 37 % craignent un impact négatif. « Une approche purement technologique est insuffisante. L’IA ayant un effet fort sur les juniors, il faut offrir une troisième dimension (pensée systémique et holistique) à nos diplômés au-delà d’une dimension analytique pour qu’ils aient une pleine valeur ajoutée », conseille Herbert Castéran.
Enfin, les attentes sont massives : 82 % des étudiants et 88 % des enseignants réclament davantage d’investissements dans les ressources et formations liées à l’IA. Par exemple Excelia propose, dans le cadre de son Talent Centre, à ses étudiants de s’entrainer à passer des entretiens de recrutement professionnel avec ChatGPT couplé à Eleven Labs, un générateur de voix IA. « L’IA apprend les fiches de poste et dialogue avec l’étudiant dans le cadre d’un entretien de recrutement. Nous avons même constaté que l’IA posait des questions pièges que nous ne lui avons absolument pas inculquées et qui sont pertinentes dans le contexte », reprend Anthony Hié qui le précise : « Tout se fait aujourd’hui sous la supervision d’un ou d’une expert(e) dans notre talent centre. Demain, avec le retour d’expérience, nous pourrons proposer à chaque étudiant d’utiliser librement cette IA pour s’entrainer ».

Une transformation rapide mais encore inégale
Au terme de l’enquête de la Conférence des Grandes écoles (CGE), un constat domine : l’IA s’impose comme une compétence incontournable dans les grandes écoles, mais sa structuration institutionnelle et pédagogique reste largement perfectible. L’usage est massif chez les étudiants, la confiance encore hésitante chez les enseignants et la gouvernance inégalement formalisée. Dans ce paysage en transition, les écoles de management apparaissent nettement en avance, tandis que les autres spécialités affichent des progrès plus lents. Le mouvement général, lui, semble irréversible.
