« Former des ingénieurs responsables, c’est plus qu’une mission, c’est notre ADN »: Véronique Bonnet, directrice de l’ESME

by Olivier Rollot

À l’occasion des 120 ans de l’ESME, Véronique Bonnet, directrice de l’école d’ingénieurs du groupe Ionis, revient sur une histoire singulière, marquée par l’innovation, la transmission et l’ouverture. De la mécanique à l’intelligence artificielle, de la vapeur à la société à mission, l’école a traversé toutes les révolutions technologiques sans jamais perdre de vue son ambition : former des ingénieurs capables d’allier excellence scientifique, responsabilité sociale et sens collectif.

Olivier Rollot : L’ESME fête ses 120 ans. C’est une sacrée longévité pour une école d’ingénieurs !
Véronique Bonnet. : Oui ! Et l’école a toujours gardé ce lien fort avec son histoire. Elle a longtemps été installée dans le 6ᵉ arrondissement de Paris – c’était le site historique. Jusqu’aux années 2000, on y faisait encore des TP de courant fort dans un vieil immeuble… Il a fallu se moderniser ! Le site d’Ivry a donc été aménagé pour accueillir les plateaux techniques d’énergie et de robotique.

O. R : L’école a aussi rejoint le groupe Ionis…
V. B : En 2006 Marc Sellam, diplômé de l’école, l’a reprise. Il a relancé la dynamique et rouvert un campus parisien pour les classes préparatoires. Nous sommes désormais ici, dans le 6ᵉ, depuis 2021 – tout près du site historique, ce qui ravit les anciens !

O. R : Justement, combien d’élèves et d’anciens aujourd’hui ?
V. B
: Environ 3 000 étudiants pour 18 000 diplômés. Quand je suis arrivée à la direction en 2015, nous recevions 1 400 élèves : l’école a doublé ses effectifs en dix ans ! Cela s’explique par la modernisation de la pédagogie, l’ouverture de nouveaux campus à Lyon, Bordeaux, Lille et la création de bachelors.

O. R : On sent chez vos alumni un vrai attachement à leur école.
V. B
: C’est une communauté très soudée. L’esprit de corps est fort, un peu comme aux Arts et Métiers – mon école d’origine. Les diplômés restent proches, reviennent enseigner, parrainent les élèves. Cette solidarité intergénérationnelle, c’est notre force.

O. R : Parlons des profils d’élèves : d’où viennent-ils ?
V. B : L’essentiel de nos recrutements se fait postbac via Advance, le concours commun des écoles d’ingénieurs du groupe Ionis. 80 % des étudiants ont opté pour les spécialités maths et physique. Nous accueillons aussi des profils maths SI ou NSI, mais sans mathématiques, c’est compliqué ! Pour les bacheliers issus de parcours plus atypiques, on conseille le Bachelor avant d’intégrer le cycle ingénieur.

O. R : Vous avez mis en place un accompagnement particulier pour vos étudiants après le bac ?
V. B.
: Le dispositif Booster c’est un mois de remise à niveau en maths, physique et informatique dès l’arrivée. Puis, tout au long de l’année, des séances de coaching et de tutorat par petits groupes. Nous veillons à ce qu’aucun étudiant ne décroche.

O. R : Et les filles ? Les écoles d’ingénieurs en manquent encore…
V. B
: C’est vrai. Nous étions montés à 30 % d’étudiantes, mais la réforme du bac a fait retomber ce chiffre à 25 %. C’est frustrant ! Les filles s’autocensurent sur les matières scientifiques. Pourtant, les besoins sont énormes : IA, cybersécurité, robotique… Les sciences doivent redevenir attractives, pour tous.

O. R : Vous parliez d’école « pionnière » : comment définiriez-vous l’ESME aujourd’hui ?
V. B
: Comme une école pionnière et engagée. Depuis 1905, elle a accompagné toutes les révolutions technologiques : de la vapeur à l’électricité, de l’électronique à l’informatique, aujourd’hui l’intelligence artificielle. L’ESME reste une école généraliste : nos ingénieurs sont formés à la fois à l’énergie, à la robotique et au numérique. Leur force, c’est cette capacité à intégrer plusieurs disciplines pour inventer les solutions de demain.

O. R : Vous avez aussi adopté le statut de société à mission.
V. B
: En 2021 nous avons été parmi les premières écoles d’ingénieurs à franchir le pas. Cela traduit un engagement profond : former des ingénieurs responsables, attentifs à l’impact social et environnemental de leurs innovations. Tous les deux ans, un audit évalue nos progrès. Cette démarche a transformé notre façon de penser la pédagogie, la vie associative et la formation des enseignants.

O. R : Les enjeux de financement et de démographie concernent tout le secteur. Comment y faites-vous face ?
V. B : L’apprentissage représente environ 16 % de notre budget et nous tenons à ne pas aller plus loin. . Le choc démographique est réel, mais nous anticipons. D’abord via l’international : nous développons depuis cette année des formations 100 % en anglais et attirons de plus en plus d’étudiants étrangers, notamment d’Amérique latine, d’Afrique du Nord ou d’Asie. Nous voulons faire croître cette part de 15 à 20 % dans les prochaines années.

O. R. : Et la recherche. Peut-elle être contributive au budget ?
V. B
: Nous la mutualisons avec les trois autres écoles d’ingénieurs du groupe Ionis – plus de 100 chercheurs réunis ! L’objectif est de gagner en visibilité et en impact. Nous travaillons aussi sur des projets communs, comme le CEPIA, un centre d’études sur la pédagogie par l’intelligence artificielle. Mais non cela ne peut pas être contributif. La recherche c’est essentiellement un coût.

O. R : Vous pensez vous lancer aussi dans la formation continue ?
V. B.
: C’est même notre prochain grand chantier ! Nous avons terminé l’étude de faisabilité et la phase opérationnelle débutera en 2026. Ce sera un département dédié, avec des équipes spécialisées. L’idée est de valoriser nos compétences en énergie, robotique et numérique pour accompagner les entreprises et leurs salariés.

O. R : Le financement passe aussi par les entreprises ?
V. B.
: Bien sûr. Nous avons une fondation depuis douze ans, très active. Quand nous signons un partenariat avec une entreprise pour l’apprentissage, les stages ou les interventions en cours, nous intégrons la possibilité d’un don à la fondation. Cela renforce le lien entre le monde économique et la formation.

O. R : Vous évoquiez le rôle du réseau alumni…
V. B
: Il est essentiel. Le sentiment d’appartenance est fort, les diplômés restent très impliqués. Ils participent à des conférences, soutiennent les étudiants, contribuent aux projets de l’école. Cette communauté vivante est un vrai levier de développement.

O. R : L’internationalisation fait partie du parcours. Comment cela se traduit-il ?
V. B
: Tous nos élèves partent à l’étranger – c’est obligatoire en début de 4ᵉ année. Nous avons plus de 100 universités partenaires. Ces séjours sont de véritables immersions, pas des échanges de groupe. Les étudiants y gagnent en autonomie et en ouverture. Beaucoup reviennent ensuite pour un double diplôme, souvent au Canada ou en Europe.

O. R : Et la maîtrise de l’anglais ? Cela a longtemps été un point faible des ingénieurs français.
V. B : C’est un vrai succès ! Nous avons complètement repensé l’enseignement des langues : pédagogies immersives, semaines culturelles, enseignants natifs. Résultat : quasiment plus d’échecs au test de certification, même chez les apprentis. Les étudiants aiment leurs cours d’anglais – c’est rare !

O. R : On parle beaucoup des soucis de santé mentale des jeunes. Que faites-vous pour les soutenir ?

V. B : Nous dispensons une formation en santé mentale à tous nos étudiants sur tous les campus avec des mises en situation pour identifier les étudiants en difficulté. Des référents sont formés au sein de l’administration ainsi que dans les associations qui organisent des événements – séjours de ski, de voile, tout ce qui comporte un risque -, ainsi que dans les BDE. Autre sécurité : en tant que « référents financiers » les parents ont accès aux résultats de leurs enfants et il est rarissime que ces derniers s’y opposent.

O. R : Pour conclure, quel regard portez-vous sur les 120 ans de l’ESME ?
V. B : C’est une belle histoire d’adaptation et d’audace. L’école a toujours accompagné les grandes transitions technologiques, tout en gardant son humanité. Notre mission reste la même : former des ingénieurs ouverts, responsables, capables d’allier innovation et sens. Les 120 ans, ce n’est pas seulement un anniversaire, c’est une promesse pour l’avenir.

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