ECOLES DE MANAGEMENT

« Générations 2050 » : Emmanuel Métais nous explique le nouveau plan stratégique de l’Edhec

Emmanuel Métais, directeur général de l’Edhec (Photo : Thomas Laisne)

L’Edhec vient de présenter « Générations 2050 », son nouveau plan stratégique 2024-2028, qui projette l’école à l’horizon 2050. Une année charnière pour l’humanité mais aussi symbolique car c’est le moment où seront diplômés les jeunes nés aujourd’hui. Son directeur général, Emmanuel Métais, revient avec nous sur les ambitions de l’école et son plan d’investissement de 270 millions d’euros sur les quatre prochaines années alors que le Financial Times publie aujourd’hui un classement qui donne la quatrième place mondiale au master in management de l’Edhec.

Olivier Rollot : Il y eut longtemps « l’Edhec de la finance », il semble y avoir une volonté de devenir « l’Edhec de la durabilité » dans votre nouveau plan stratégique. C’est un changement radical de priorités ?

Emmanuel Métais : L’axe finance fait toujours partie des grandes priorités de l’EDHEC et nous travaillons au déploiement d’une finance dite climatique avec nos centres de recherche. Le lancement de notre centre de recherche « for Net Positive Business » doit maintenant contribuer à la transformation radicale des entreprises, pour les accompagner dans la transition vers de nouveaux modèles dits « net positive », qui permettent de créer un impact positif sur l’économie et la société et pas simplement de réduire les externalités négatives.

O. R : Et pourquoi un plan « Générations 2050 » quand vos concurrents se propulsent seulement à 5 ans ?

E. M : Alors que nous sommes classés 7ème meilleure école de management européenne par le Financial Times – et 3ème française – grâce à notre développement soutenu, nous avons décidé d’accélérer encore nos investissements. Le plan « Générations 2050 » est le fruit de cette ambition et de notre volonté de construire un monde plus durable. Nous avons retenu l’horizon de 2050 car c’est un cap ambitieux et optimiste pour l’humanité où l’ONU a appelé les nations à atteindre la neutralité carbone, à respecter la biodiversité et à faire de l’éducation un bien commun. 2050 car c’est également l’année où nous recevrons les élèves qui naitront au cours de ce plan stratégique. 2050 c’est loin et près à la fois. Il y a 25 ans c’était l’an 2000 !

Les locaux de l’Edhec à Nice

O. R : Comment avez-vous conçu ce nouveau plan stratégique ?

E. M : Nous avons analysé les défis auxquels l’enseignement supérieur est confronté et les grands problèmes sociétaux actuels. Nous avons ainsi étudié des sujets aussi variés que l’impact des intelligences artificielles génératives (IAG) sur les métiers du futur ou encore les conséquences des tendances démographiques. Sur ce dernier point, la baisse de la natalité en France va avoir des effets sur nos recrutements à partir de 2030. Cela ne devrait nous toucher que marginalement puisque nous sommes sur un marché global. Mais la hausse du recrutement des étudiants internationaux ne sera pas forcément toujours possible pour compenser les pertes d’effectifs si des lois anti-immigration voient le jour en France comme c’est le cas dans beaucoup de pays.

Il existe également des défis sectoriels, tels que la montée en puissance de l’enseignement à distance, les enjeux de formation tout au long de la vie ou encore le développement de l’enseignement supérieur lucratif. La question de la solidité du modèle économique des business schools est plus que jamais au cœur des préoccupations.

Pour notre part, nous prévoyons en tout 270 millions d’euros d’investissements dans les quatre prochaines années, pour parvenir en 2028 à un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros et disposer de la surface financière pour assurer notre développement.

O. R : Quelles sont les grandes priorités que vous avez définies dans ce plan ?

E. M : Nous en avons trois. La première, que j’ai déjà évoquée, est de favoriser l’émergence de ce qu’on appelle les entreprises « net positives », une notion conceptualisée par l’ancien patron d’Unilever, Paul Polman. Dans notre précédent plan « Impact Future Generations » nous avions insisté sur la nécessité de minimiser les impacts négatifs des entreprises. Aujourd’hui il faut aller plus loin et maximiser leurs impacts positifs.

A cet égard on peut retenir quelques initiatives précurseures. Le fabricant de câbles Nexans a par exemple revu son business model et toute sa chaine de valeur pour minimiser son empreinte environnementale tout en augmentant sa profitabilité. C’est ce que fait également une entreprise américaine comme Interface en séquestrant du carbone dans ses moquettes. Autre exemple à Arles où M2i produit des insecticides bio qui repoussent les insectes sans les tuer. Trois entreprises qui sont devenues plus vertueuses pour l’environnement tout en étant plus rentables !

Mais c’est encore difficile de transmettre le concept dans toutes les entreprises et c’est pour cela que nous développons tout un pôle de recherche dédié, auquel nous allons affecter environ 30 chercheurs et consacrer 20 millions d’euros dans les quatre années à venir avec les entreprises qui nous soutiennent. Il va être dirigé par René Rohrbeck, un professeur allemand qui dirige aujourd’hui notre chaire Foresight, Innovation and Transformation (FIT).

Côté entrepreneuriat, nous avons créé la méthodologie Responsible by Design (RED) pour aider les entrepreneurs à mettre en place une démarche responsable dès la création de leur startup. Une approche développée dans nos programmes d’incubation mais aussi dans notre fonds à impact « Générations Powered by EDHEC », qui sera à terme doté de 40 millions d’euros.

O. R : Mais comment allez-vous former vos étudiants face à ces défis ?

E. M : C’est notre deuxième priorité. Nos étudiants doivent être « formés à transformer ». Depuis dix ans, nous avons profondément modifié nos programmes pour intégrer des cours sur les grandes transitions du monde contemporain. Par exemple, nous avons créé un MSc in Climate Change & Sustainable Finance avec Mines Paris – PSL.

Mais est-ce que nous avons vraiment appris à nos étudiants à transformer les entreprises de l’intérieur pour mener ces transitions ? Probablement que non, pas assez. Nous repensons donc nos programmes afin de doter nos étudiants des compétences nécessaires pour engager des changements durables dans leur environnement professionnel : esprit critique, sens de l’action, mais aussi sens de la coopération.

O. R : Toutes les entreprises sont prêtes à évoluer ?

E. M : Elles sont plus ou moins volontaires. Pour les convaincre il faut leur expliquer qu’il ne s’agit pas de dépenser dix fois plus pour être vertueuse, mais que leur modèle économique peut être adapté pour dégager du profit parce qu’elles sont vertueuses. Nous ne formons pas des militants mais des diplômés prêts à agir avec un esprit collaboratif.

O. R : Vous l’avez dit, vous continuez à investir dans les questions liées à la finance. Mais dans un esprit là aussi plus orienté vers les questions de transition ?

E. M : Oui et c’est notre troisième priorité. Nous investissons 40 millions d’euros sur quatre ans dans la finance et en particulier la finance climatique. Concrètement, notre centre de recherche dédié met ses travaux au service des investisseurs pour leur permettre de mieux prendre en compte les enjeux climatiques dans leurs politiques d’investissement. L’EDHEC Infra & Private Assets Research Institute analyse quant à lui des milliers de projets d’infrastructures dans le monde pour évaluer l’impact du changement climatique sur la valeur de ces infrastructures. Dans une logique de recherche utile, les startups scientifiques issues de ces centres de recherche développent et vendent des outils à destination de l’industrie financière.

Le campus de l’Edhec à Lille

O. R : Dans votre stratégie il y aussi la volonté de développer votre dimension digitale avec EDHEC Online et surtout avec l’utilisation des intelligences artificielles génératives (IAG).

E. M : EDHEC Online doit représenter 10% de notre activité à terme. Nous créons par ailleurs EDHEC IA – et y investissons 20 millions d’euros – pour nous emparer de ces technologies. Nous allons même prendre la tête de la commission IA de l’alliance FOME, qui nous lie notamment à Imperial College, ESMT Berlin ou encore Johns Hopkins. Les outils évoluent très vite. Déjà les robots teaching assistants fonctionnent très bien. Un étudiant peut par exemple demander à une IA à laquelle on a fourni tous les supports d’un cours, de produire un quiz, plus ou moins compliqué et d’expliquer les difficultés. Sous la supervision d’un professeur, il est possible avec les IA de créer des études de cas avec des données très larges et de réagir dans un temps record. Sans oublier les corrections de copie.

Demain pourquoi pas envisager des cours 100% IA, comme les journaux télévisés que diffuse la plateforme Channel1.ia, en utilisant des avatars et ce dans toutes les langues ? Déjà, des start up imaginent créer dans les deux ou trois prochaines années des universités pour enseigner à 10 000 étudiants avec seulement 20 collaborateurs. Nous devons être prêts à relever le défi, tout en étant conscients des limites actuelles des IA qu’il faut entraîner et perfectionner.

O. R : Les écoles de management s’interrogent beaucoup aujourd’hui sur leur modèle économique. L’EDHEC est une association à but non lucratif et entend bien le rester ?

E. M : Des écoles laissent entrer des fonds à leur capital car elles manquent de moyens. Or, faire appel à des investisseurs privés implique de renoncer à son autonomie et à se focaliser prioritairement sur la rentabilité. Et comment affirmer qu’on sert l’intérêt général quand les frais de scolarité payés par les élèves et les familles rémunèrent des actionnaires ?

Ce n’est pas ce que je veux pour l’EDHEC, l’éducation n’est pas un bien comme les autres. Notre école est bien gérée depuis 120 ans. Notre modèle économique est de s’appuyer sur la création de start up comme Scientific Beta, que nous avons vendue 200 millions d’euros en 2020 au bénéfice de la fondation EDHEC. Comme nos grandes consœurs américaines, nous comptons également sur la philanthropie, grâce à notre fondation qui lève de plus en plus (5 millions cette année) et sur un réseau de diplômés qui croient dans leur école.

O. R : Pas question donc de racheter une autre école. Le modèle de l’EDHEC c’est avant tout des alliances ?

E. M : Oui, même si nous ne sommes fermés à aucune option. Mais à Nice, nous avons par exemple noué un partenariat avec l’école d’ingénieurs Eurecom, très en pointe dans le domaine de la recherche en IA et en Telecom. A l’international, nous sommes partenaires de nombreuses institutions prestigieuses, telles que Haas Business School à Berkeley ou Imperial College, au sein de la filière GETT du programme Grande école. Chaque année plus de 200 élèves peuvent aller étudier en Californie, qu’ils soient issus du PGE ou de notre programme BBA. Nous nous projetons ainsi sur les campus de grandes universités internationales de façon efficace, performante et flexible.

O. R : La question du financement de l’apprentissage et, plus largement, du développement de l’enseignement supérieur privé lucratif a beaucoup occupé les esprits ces derniers mois. Comment jugez-vous l’évolution du paysage de l’ESR sur ces questions ?

E. M : La baisse du financement de l’apprentissage est un sujet de préoccupation majeure pour tous nos établissements, alors même que cette filière est un véritable levier de recrutement pour les jeunes défavorisés. L’EDHEC se bat pour préserver ses filières en apprentissage, mais le fait que dans le même temps des officines privées s’engouffrent dans les financements rendus possibles par l’Etat brouille clairement la cohérence de la politique mise en place. C’est un terrible gâchis pour les familles. Nous poursuivons en parallèle notre politique ambitieuse de bourses, avec chaque année plus de 10 millions d’euros de bourses distribuées pour soutenir nos étudiants les plus modestes.

O. R : Et une dernière question sur les concours des écoles. Cette année encore vous maintenez un large écart en votre faveur vis-à-vis de emlyon BS dans les choix des candidats issus de classes préparatoires. Comment analysez-vous cette performance réitérée maintenant depuis quatre ans ?

E. M : Les résultats du dernier classement SIGEM confortent la position solidement établie de l’EDHEC en tant que 4e école de commerce en France. Ils viennent valider l’excellence académique et la stratégie à long terme de l’école. Son modèle indépendant, fondé sur la recherche utile, est vertueux financièrement et bénéficie en premier lieu aux étudiants. Les candidats plébiscitent l’EDHEC parce que ses programmes répondent à leurs aspirations et à leur recherche d’impact sociétal. A travers l’ensemble de nos dispositifs pédagogiques, notre mission prioritaire est de « former à transformer ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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