Créé il y a 41 ans le groupe Ionis fait partie de ces grands succès de l’enseignement supérieur français. Avec ses quatre écoles d’ingénieurs, ses écoles de commerce ou encore d’art il englobe une très grande partie des disciplines de l’enseignement supérieur. Le regard de son fondateur et président, Marc Sellam, sur un écosystème en profonde mutation.
Olivier Rollot : Le groupe Ionis que vous avez créé a fêté en 2020 son quarantième anniversaire. Beaucoup d’autres groupes d’écoles ont vu le jour depuis. Qu’est-ce qui caractérise toujours Ionis par rapport à ces groupes ?
Marc Sellam : Nous sommes un groupe leader et indépendant avec des marques fortes. Notre force c’est d’être l’un tous premiers groupes à s’être constitué et d’exister toujours, quarante ans après, sous la même forme. C’est-à-dire en développant nos propres marques plutôt que par des opérations de rachat. Mais aussi par notre façon d’être dans une logique pédagogique et non pas financière. Quand on dépend d’un fonds on doit forcément rendre des comptes. Grâce à notre indépendance nous avons toujours pu faire grandir nos marques pour les faire durer, pas les faire grandir pour grandir. En résumé je dirais que nous nous positionnons plutôt comme une marque de créateur quand d’autres copient tout ce que nous faisons.
O. R : Qu’est-ce que vous entendez apporter à vos étudiants ?
M. S : Nous formons les nouvelles intelligences de l’entreprise pour des vie professionnelles qui vont durer quarante ans. Nous devons former mais aussi permettre à nos étudiants d’évoluer au-delà de la valise de connaissances que nous apportons. Notre ambition c’est de faire grandir nos étudiants. Nous les suivons d’ailleurs tout au long de leur vie professionnelle avec la structure Ionis Next.
O. R : Les groupes d’enseignement privés ont pris une valeur faramineuse et les fonds se bousculent pour le racheter. Vous n’êtes pas parfois tentés de vendre ?
M. S : Avec l’arrivée de l’argent facile tout le monde résonne en termes de taux bas et se satisfait d’avoir une rentabilité de quelques pourcents. Mais si on veut pérenniser l’activité d’un groupe il fait s’intéresser au sujet qu’on traite. C’est pour cela que nous voulons rester indépendants. L’éducation n’est pas une marchandise.
De plus nous sommes un groupe familial et si les groupes familiaux, comme Bel, Andros, Hermès, etc. réussissent si bien c’est parce qu’ils ont l’amour de leur travail. Il y a plus de fierté à préparer les jeunes pour leur futur qu’à gagner beaucoup d’argent !
O. R : L’apprentissage connait un essor inédit dans l’enseignement supérieur. Comment se positionne Ionis sur ce terrain ?
M. S : L’apprentissage répond à une demande des entreprises tout en permettant à des jeunes, avec peu de ressources ou pas à même d’intégrer un parcours universitaire classique, de financer leur formation.
La loi sur la formation professionnelle a boosté le secteur en cassant les contraintes régionales qui pesaient sur le développement de l’apprentissage. Aujourd’hui des entreprises créent leur CFA (centre de formation d’apprentis). Pour Ionis les apprentis représentent 15% des effectifs et nous pensons monter à 20% dans les années à venir. Pas plus car nous voulons le faire dans les meilleures conditions. C’est-à-dire pas avec une semaine de cours toutes les trois semaines et du distanciel le reste du temps.
La question de l’avenir de beaucoup de ces diplômés passés par l’apprentissage va se poser dans les années à venir. Quelle sera leur employabilité au-delà du terme de leur contrat ? L’enseignement supérieur ce n’est pas que des cours. C’est aussi le temps où on se constitue un réseau. Le temps où on s’écrit une histoire. Et tout cela c’est difficile pour un apprenti qui entre tout de suite dans un monde professionnel qui est bien moins ouvert. Les meilleurs amis de sa vie on se les fait pendant son cursus. Parce qu’on est facilement accessible. C’est ce que nous appelons les « trois C » : connaissances, compétences, caractère.
O. R : Ionis ouvre à la rentrée 2022 l’EPITA IA Institut, écolepost-baccentrée sur le data engineering et l’intelligence artificielle. Une école qui réunit les compétences de plusieurs de vos écoles. C’est aussi cela la marque de fabrique de Ionis ?
M. S : Cette école est effectivement le fruit de l’association de trois de nos écoles, deux écoles d’ingénieurs, l’EPITA et l’ESME, et une école de management, l’ISG. Nous voulons en effet apporter aux étudiants de cette nouvelle école une compétence pluridisciplinaire : l’expertise en IA de l’EPITA associée à celles de l’ESME et de l’ISG pour en couvrir toutes les dimensions. A l’issue du parcours, les étudiants bénéficieront d’un double diplôme : le Master of Engineering de l’EPITA IA Institut et, selon le parcours retenu et après admission par les écoles concernées, le titre d’Ingénieur de l’EPITA ou de l’ESME ou le diplôme de l’ISG.
Cette capacité à mixer les écoles, les expériences, est au cœur de notre projet. Les étudiants de nos écoles sont amenés à travailler dans des groupes pluridisciplinaires. Les étudiants de Supbiotech et de l’ESME travaillent ensemble sur les questions de santé. De l’Ipsa et de de l’ESME sur l’informatique embarquée. L’ISG et l’EPITA forment des ingénieurs managers. Depuis six ans E-Art Sup, l’Epitech et l’Iseg ont monté un campus numérique et créatif. Les étudiants de l’Iseg passent tous un mois sur le campus de l’Epitech pour se familiariser au code informatique, etc. Et tous les projets de création d’entreprise peuvent être suivis dans le Ionis 361 Incubateur.
O. R : Le modèle Ionis c’est aussi de développer ces campus pluridisciplinaires en centres villes. Avez-vous de nouveaux projets d’implantations ?
M. S : Ionis est aujourd’hui implanté à Strasbourg, Lyon, Lille, Toulouse, Bordeaux et Paris mais aussi Genève pour l’ISG Luxury Management. Toujours dans les centre-ville. Nous allons ouvrir en 2022 un nouveau campus de 5000 m2 à Nice où se retrouveront là-aussi plusieurs de nos écoles dont les ouvertures de l’Iseg et de E-Art Sup.
O. R : Vous évoquez Genève. Où en êtes-vous du développement international de Ionis ?
M. S : Nous sommes installés à Bruxelles, Barcelone et New York depuis maintenant cinq ans. A Genève je le disais nous développons plutôt notre dimension luxe. A Barcelone et Bruxelles la tech avec l’Epitech et les trois entités à New York.
O. R : Vous développez essentiellement vos marques mais il vous arrive également d’en reprendre. Cela a été le cas de l’ICS Bégué et, en 2020, de Supinfo. Une marque connue mais qui a connu quelques déboires ces dernières années. Comment allez-vous la relancer ?
M. S : Nous sommes en train de la rebooster. Nous avons d’abord décidé de réduire le nombre de ses campus et nous allons maintenant la développer à l’étranger où la marque reste très porteuse. Même si effectivement elle a pu être un peu abimée ces dernières années, la valeur de son réseau d’anciens est extraordinaire. Mais pour relancer une école comme Supinfo il faut être un professionnel de l’éducation. Etre Ionis nous a permis de rassurer les élèves et leurs parents qui nous ont suivi dans notre projet.
O. R : L’ISG a totalement abandonné son recrutement en classes préparatoires. Pourquoi ce revirement ?
M. S : Mais parce que le marché des classes préparatoires est trop étroit et que l’ISG y recrutait de moins en moins. Or la réussite des diplômés de l’ISG est au niveau de celle des étudiants du top 10 des écoles de management. Les étudiants choisissent l’ISG pour l’ISG. Pas pour son classement.
Cela nous a pris un peu de temps de changer de cap car il nous fallait un accord du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). Aujourd’hui l’ISG va atteindre les 5 000 étudiants avec son ISG Luxury Management qui atteint les 2 300. Et aussi la ISG Sport Business Management qui est en plein développement.
O. R : Justement. La National Basketball Association (NBA) et l’ISG ont signé un partenariat marketing sur plusieurs années faisant de l’ISG l’école de commerce officielle de la NBA en France. Comment avez-vous réussi cet exploit ?
M. S : Notre objectif étant de former les futurs managers qui façonneront l’industrie du sport de demain, il est logique de s’associer à une ligue sportive prestigieuse et avant-gardiste comme la NBA, avec laquelle nous partageons des valeurs similaires : l’esprit d’entreprise, l’innovation et un état d’esprit international. C’est la NBA qui nous a contacté au travers de nos équipes.
O. R : En 2018 vous avez créé XP, une école de gaming. Comment vous est venue l’idée ?
M. S : L’idée nous est venue d’abord au travers de cours de gaming dans des lycées. Parce que les parents et les lycées se plaignaient de voir les élèves passer leur temps à jouer nous avons eu l’idée de proposer une option game. Dans certains lycées ne demi-journée par semaine dans 16 villes et nous avons dispensé ces cours à des élèves qui promettaient en retour de se concentrer sur leurs études le reste du temps.
Aujourd’hui ils peuvent suivre chez XP tout un cursus de 3 à 5 ans autour du game. Et ce n’est pas forcément pour devenir un gamer ensuite : comprendre le monde du jeu devient de plus en plus un atout dans le monde professionnel. Dans les années à venir le jeu va devenir une modalité de travail.
O. R : L’Epita évolue avec un nouveau directeur. Que devient Joël Courtois, son directeur « historique » ?
M. S : Joël Courtois reste dans notre groupe piloter l’intégration de l’EPITA au sin du nouveau campus Cyber de La Défense. Pour lui succéder nous avons recruté
Philippe Dewost. Co-fondateur de Wanadoo, c’est un grand professionnel qui a exercé des rôles de direction dans plusieurs startups puis piloté le volet numérique (plus de 4 milliards d’euros) du Programme d’Investissements d’Avenir à la Caisse des Dépôts. Il est également l’auteur du rapport qui a inspiré la « French Tech » en 2013. Il a enfin déployé « Leonard », le programme d’innovation, de transformation et de prospective du Groupe VINCI.
O. R : Ionis est très en pointe dans les tech et dans le management. Dans les arts vous ne possédez qu’une seule école, E-Art Sup. Pourquoi ne vous êtes pas plus développé dans ce domaine ?
M. S : Créé en 1999 E-Art Sup compte 2500 étudiants dans huit villes. Ce n’est pas rien. Comme je le disais nous entendons d’abord développer nos propres marques. Je ne suis pas intéressé par le rachat d’écoles qui apportent seulement des effectifs supplémentaires. E-Art Sup ce n’est pas une école qui se consacre à l’art pour l’art. C’est une école qui mène à un emploi !
O. R : Ionis crée beaucoup d’écoles. Avec succès. Quel est votre processus d’innovation ?
M. S : D’abord d’être très à l’écoute de chacune de nos écoles avec lesquelles tout le management passe les deux tiers de son temps. Cela nous donne une connaissance fine du marché au-delà des seules questions de rentabilité. Notre gouvernance ce sont des professionnels qui aiment leur métier et sont attentifs à leur développement. Notre métier ce n’est pas qu’un métier d’industriel. Nos étudiants nous confient leur avenir pour les former dans ces moments cruciaux où se construisent leur avenir professionnel.
Nous ne devons pas passer à côté d’un monde qui change. Nous sommes agiles sans pour autant confondre vitesse et précipitation. Si nous sentons que les entreprises ont besoin de recruter tel type de compétence nous sommes capables de monter une école un an après.
O. R : Créer une école c’est aussi recruter des professeurs, des professionnels. Où les trouvez-vous, notamment dans le domaine de la tech où on s’arrache les diplômés?
M. S : Nous les formons. Dans la tech nous diplômons chaque année 800 élèves d’Epitech. Si vous leur ajoutez ceux d’Epita et de l’Etna cela en fait 3500 chaque année. Certains veulent rester dans l’’école qui les a formés.
O. R : Quelles grandes évolutions constatez-vous aujourd’hui dans l’orientation des étudiants ?
M. S : Nous sortons d’une séquence où le management avait pris le lead sur la tech pour entrer dans une nouvelle ère où la tech reprend l’avantage. Aujourd’hui nous voyons des étudiants qui abandonnent le management pour aller vers la tech. La tech ce n’est plus la technologie et l’industrie qu’on laissait à ceux qui ne voulaient pas faire de management. L’ambition a changé de camp !
O. R : Aujourd’hui Ionis est-il devenu une marque au-delà des écoles pour vos étudiants ?
M. S : C’était notre objectif quand nous l’avons lancée et aujourd’hui, par exemple sur Linkedin, nous constatons que nos étudiants précisent qu’ils sont diplômés de Ionis puis de leur école. Cette appartenance à un groupe nous l’avons façonnée par notre communication en lançant « Ionis Mag » ou Ionis Insight. Et elle est incarnée chaque année par notre remise de diplômes. Pendant trois jours l’ensemble de nos étudiants se réunit au Palais des Congrès de Paris où nous leur remettons leur diplôme. C’est comme cela que nous inspirons nos écoles et qu’elles nous inspirent à leur tour.