Directeur d’HEC depuis 1995, Bernard Ramanantsoa a fait d’une excellente école française la référence européenne des écoles de management. Retour avec lui sur ce qu’est aujourd’hui HEC.
Olivier Rollot : Depuis plusieurs années plus aucun étudiant admis à HEC ne s’est désisté pour l’Essec. Avez-vous encore de véritables concurrents en France ?
Bernard Ramanantsoa : Ce n’est pas parce que ce n’est pas arrivé que cela ne peut pas se produire. De plus nos concurrents ne sont pas que les écoles de management, il y aussi Sciences Po Paris par exemple. Sans parler de tous les étudiants qui partent étudier à l’étranger directement après le bac et qui nous échappent par là-même.
C’est aussi vrai que nous avons de véritables concurrents en Europe, notamment en Grande-Bretagne et en Espagne. Des concurrents qui ne se situent pas forcément dans les mêmes standards que nous : la London Business School délivre ainsi un master pré-expérience en 1 an pendant que nous en demandons deux. Même chose en Espagne. Partout en Europe on a adopté le LMD mais pas le « 3-5-8 » ! Heureusement, les recruteurs savent que les diplômés, en un an, n’ont pas acquis les mêmes connaissances que les étudiants qui ont passé deux ans chez nous.
O.R : Justement, certains «accros» du rythme de la prépa disent s’ennuyer quand ils arrivent dans une école de management. Comment faites-vous passer vos étudiants du bain de la prépa aux bancs d’HEC?
B. R : À la sortie de la prépa il faut acclimater nos étudiants à un nouveau régime. Alors, c’est vrai, certains sont perdus, parce qu’ils ne trouvent plus leur rythme, quand d’autres sont sur-occupés dans les associations ou le sport. L’un ne peut pas compenser l’autre: même s’il est très investi dans l’associatif, un étudiant d’HEC ne sera pas dispensé d’avoir une bonne note en droit et, d’un autre côté, ce serait vraiment dommage de ne pas profiter de tout ce que permet de faire notre campus.
Ceux qui le souhaitent peuvent également suivre des cours de licence en maths, droit privé ou bien encore humanités auprès de nos facultés partenaires. Et attention ! la réussite aux examens chez nos partenaires est obligatoire pour passer en deuxième année. Au total nous offrons un certain nombre de choix mais dans le cadre d’un parcours relativement calibré.
O.R : Le niveau en maths pour intégrer HEC est relativement «stratosphérique», proche en tout cas de celui des concours des meilleures écoles d’ingénieurs. Pourquoi mettre la barre si haute ?
B. R : Nous voulons les meilleurs de chaque filière. En voie scientifique cela signifie avoir un très haut niveau en maths. Les ES ne doivent bien sûr pas non plus être en reste en maths et nous recrutons également quelques très bons khâgneux, pour lesquels nous exigeons de très bonnes qualités dans les disciplines littéraires.
O.R : Passés les écrits il reste un oral dont certains disent qu’il est le seul oral digne de ce nom qu’on passe dans les écoles de management françaises.
B. R : Nous faisons même repasser les mêmes épreuves qu’à l’écrit pour valider les qualités des candidats dans les deux exercices: une épreuve de maths à l’oral et à l’écrit ce n’est pas pareil, sans parler évidemment des langues. Par contre on ne croit pas trop aux épreuves de motivation. Ce serait quand même malheureux que les candidats ne soient pas motivés après deux années de prépa…
O.R : L’épreuve la plus redoutée est appelée le «triptyque». De quoi s’agit-il?
B. R : Un étudiant tire un sujet au sort, il a un quart d’heure pour le préparer avant de se retrouver face à un autre étudiant qu’il faut convaincre, le tout avec deux étudiants qui les observent. Tous sont évalués dans les trois rôles pour que nous puissions juger de leurs capacités de conviction, d’interrogation et d’observation dans une situation de stress. Cela permet de déceler des qualités qu’on ne teste pas ailleurs.
O.R : Une des «marques de fabrique» d’HEC est que la quasi-totalité de ses étudiants passe une année dite de «césure» en entreprise. C’est absolument nécessaire aujourd’hui sur un CV ?
B. R : L’année de césure est entrée dans les mœurs et 95 à 98% de nos élèves passent effectivement une année en entreprise entre leur deuxième et leur troisième année de cours. Nous leur suggérons de diviser cette année en deux expériences professionnelles pour minimiser la place du fantasme dans leurs choix de carrière. Et on constate bien qu’au bout de six mois en entreprise certains changent d’avis. C’est donc utile aussi dans la perspective du choix de la «majeure» des étudiants: ils pourront ainsi opter pour une spécialité cohérente avec les entreprises dans lesquelles ils choisiront plus tard de travailler, qu’il s’agisse d’une ONG ou de marchés financiers. Et certaines majeures sont plus difficiles d’accès que d’autres…
O.R : On reproche depuis toujours aux diplômés des grandes écoles une certaine arrogance. Est-ce un phénomène qui s’accentue aujourd’hui ?
B. R : Je crois au contraire que nos étudiants sont assez inquiets. Inquiets et optimistes: conscients de leurs atouts mais que rien n’est gagné d’avance. Passée la première année, des étudiants du monde entier viennent rejoindre les Français issus de prépas sur notre campus. Des Indiens ou des Chinois ne sont pas du tout subjugués par leur parcours à Louis-Le-Grand ou ailleurs. Tout de suite les Français comprennent que la concurrence est internationale et qu’on se moque complètement à Singapour de leur parcours d’excellence précédent. Cela fait une grande différence avec des générations précédentes. On avait beaucoup plus la «grosse tête» il y a vingt ans qu’aujourd’hui.
O.R : Les entreprises reprochent aussi aux jeunes diplômés actuels d’être peu loyaux envers leurs employeurs.
B. R : Ils ont appris le marché, ils savent ce qu’ils valent et ne croient plus aux grands discours. Il y a trente ou quarante ans on imaginait qu’on allait passer toute sa vie dans la même entreprise. Plus aujourd’hui.
O.R : Dans les sondages, les jeunes revendiquent d’abord un bon équilibre de vie.
B. R : Mais qui ne voudrait pas d’un bon équilibre de vie? Vous croyez qu’il y a trente ans les jeunes disaient ne pas s’intéresser à leur équilibre entre vie professionnelle et personnelle? Cela aurait même été jugé inquiétant par les recruteurs. Et cette revendication ne les empêche pas non plus de travailler énormément dans les banques d’affaires, les cabinets de conseil ou dans certaines entreprises industrielles.
O.R : Un tout autre sujet: où en est le développement du statut de «société à but éducatif» prôné par HEC qui pourrait permettre une meilleure gestion des écoles de management ?
B. R : Ce n’est pas seulement un projet d’HEC ni même de la chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France. C’est un projet national porté par la CCI France et géré par deux ministères : celui de l’Enseignement supérieur et celui de l’Industrie. Un dossier complexe, avec beaucoup d’intervenants qui prend forcément du temps.
O.R : HEC est un membre éminent du Campus Paris Saclay comme de ParisTech. Comment ces deux dossiers évoluent-ils ?
B. R : Nous sommes dans toutes les commissions de Paris Saclay et le dossier avance bien. La question est de savoir si la nouvelle loi sur l’enseignement supérieur et la recherche peut faire changer la donne. Et notamment sur la question de l’Idex qui était à l’origine de notre entrée dans le campus. Quant à ParisTech, chapeau à Yves Poilane qui en a pris la direction. C’est une belle communauté, qui permet de développer des projets communs, mais peut-elle devenir un jour une véritable université ?
O.R : Récemment la Cour des Comptes a sorti un rapport sur les écoles de commerce qui s’est finalement révélé assez favorable. Mais beaucoup s’en étaient emparés avant parution pour attaquer vos institutions sur la foi d’extraits. Vous n’avez pas parfois l’impression que critiquer les écoles de commerce est un sport national ?
B. R : Voire international ! Et en France l’ensemble des grandes écoles constitue une cible. C’est un débat anti-élitiste. Mais je ne suis pas là pour parler au nom de toutes les grandes écoles, nous avons des institutions pour cela.
O.R : Une autre étude, de la Fnege (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises) celle-la, a pointé l’inflation des salaires des enseignants en gestion. La situation est-elle vraiment difficile pour les écoles de management?
B. R : Quand il s’agit de recruter un professeur qui publie beaucoup dans les revues de recherche, les coûts ont effectivement augmenté de manière phénoménale. Jusqu’où doit-on aller? Le risque c’est de devoir mettre genou à terre le jour où nous serons asphyxiés par les charges. Or le marché est international: mes professeurs, ce sont les Britanniques, les Espagnols ou l’Insead qui viennent essayer de me les «prendre» et c’est aussi chez eux que j’essaie de recruter. Et quand j’entends que ce n’est pas seulement une question d’argent je suis perplexe: la joie de vivre» reste un argument de recrutement marginal.
O.R : Comment se porte le campus que vous avez ouvert au Quatar? Avez-vous d’autres projets d’implantations hors de France?
B. R : Tout se passe bien. Nous allons bientôt sortir la troisième promotion de notre Executive MBA avec un public composé à 50% de Qataris, à pratiquement 50% de cadres des pays du Golfe, plus quelques Européens. Mais nous n’avons pas d’autres projets de ce style.Le seul vrai modèle abouti de développement de campus à l’étranger c’est l’Insead: personne ne peut aujourd’hui dire quel est le campus mère, Singapour ou Fontainebleau. De plus toute une partie de notre force tient de ce qu’on appelle le «tacit knowledge»: rien ne dit qu’en faisant venir tous les professeurs d’Harvard ou d’HEC à un autre endroit vous recréeriez Harvard ou HEC.
De toute façon, je préfère envoyer mes étudiants se frotter à d’autres étudiants dans de grandes universités, comme la National University of Singapore (NUS) par exemple, que d’ouvrir des campus où ils seront entre eux. Avec des séjours sur les campus des universités étrangères, on comprend mieux qu’on n’est pas un «dieu vivant»!
O.R : Impossible de ne pas parler un peu des massive open online courses (MOOC), ces cours gratuits et en ligne que diffusent aujourd’hui largement les grandes universités américaines. Quelle est votre position sur le sujet ?
B. R : Nous y pensons très sérieusement. Mais quel est le bon business model ? Nous nous donnons le temps de bien faire les choses.
- Un passionné d’enseignement
- C’est en 1995 que Bernard Ramanantsoa est devenu directeur général d’HEC Paris, groupe dans lequel il était déjà professeur de stratégie d’entreprise depuis 1979. Né en 1948 à Mulhouse, issu d’une famille aisée de Madagascar – son oncle fut président de la République -, fils d’un médecin militaire, Bernard Ramanantsoa est un multi récidiviste de l’enseignement supérieur: diplômé de l’Ecole nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace (Supaéro), ce passionné éclectique est également diplômé du MBA d’HEC (l’ISA à l’époque), de deux DEA (sociologie et philosophie) et d’un doctorat en sciences de gestion. Une boulimie de connaissances qui devait forcément le mener à l’enseignement supérieur après avoir démarré sa carrière par sept années de marketing à la SNCF.
- Pour en savoir plus sur lui, reportez-vous à un portrait très complet publié par Challenges en 2012.
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