L’APLCPGE (Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles) est au cœur des négociations en cours sur la réforme des classes préparatoires économiques et commerciales générales (ECG). Son président et proviseur du lycée Louis-Le-Grand à Paris, Joël Bianco, s’interroge avec nous sur l’avenir des classes préparatoires.
Olivier Rollot : Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) vient de publier une note qui établit que la baisse du nombre d’élèves en classes préparatoire aux grandes écoles est, pour la deuxième année consécutive, de 2,6%. Comment analysez-vous ce chiffre ?
Joël Bianco : Le tassement est assez limité dans les classes préparatoires scientifiques. Cela dépend des filières, de la concurrence et du contexte. Les classes BCPST (Biologie, chimie, physique et sciences de la Terre) sont par exemple marquées par les évolutions dans le recrutement des écoles vétérinaires.
Le tassement est plus marqué dans les classe préparatoires économiques et commerciales générales (ECG avec un contexte concurrentiel beaucoup plus affirmé et sans doute un problème de continuité entre les enseignements de la prépa – très académiques, nous sommes là pour cela – et ceux des écoles.
Quant aux classes préparatoires littéraires, elles se maintiennent avec un bon positionnement de classes propédeutiques, socle du supérieur, proposant des conventions avec les universités. De plus elles offrent de de larges débouchés avec la BCE depuis maintenant plus de dix ans.
Et de manière générale ce sont les classes préparatoires de proximité qui ont le plus de difficultés à se maintenir.
O. R : Un projet de réforme des classes préparatoires ECG, auquel les proviseurs sont bien entendu associés, est en cours de négociation. Que faut-il faire pour relancer la filière ?
J. B : Je ne vous dévoilerai rien sur ces discussions. Ce qui est clair pour nous proviseurs de l’APLCPGE c’est qu’il faut donner plus de visibilité à la filière et la simplifier. Avoir quatre voies ouvertes aujourd’hui, pour deux avant la réforme de 2020, ce n’est pas clair. Il faut aussi réfléchir au besoin de sécurité qu’ont les élèves qui doivent savoir où ils vont.
Il faut aussi peut-être réfléchir à avoir une approche un peu différente pour ces classes. Etre innovant. Leurs élèves sont particulièrement sensibles à la qualité de la vie étudiante ou à la prise de responsabilités. Tout en restant bien sûr dans le cœur de notre métier académiquement.
O. R : La place des mathématiques est au cœur des discussions. Quelle est votre position sur leur importance dans la filière ECG ?
J. B : La question qui se pose et comment faire pour que les élèves soient tentés d’entrer dans la filière qu’ils aient opté ou pas pour la spécialité mathématiques en terminale, qu’ils aient fait ou non des mathématiques à haute dose. Il faut trouver le moyen d’aller chercher des publics qui vont des très bons matheux – que certaines écoles veulent absolument recruter – à des moins bons matheux qui ont également leur place dans beaucoup d’écoles. Mais on ne peut pas imposer aux professeurs des publics trop hétérogènes. Et ensuite se pose la question des épreuves des concours.
O. R : Il semble acté qu’un enseignement soit proposé sur les transitions écologiques et environnementales. Comment allez-vous le dispenser ?
J. B : Nous sommes sceptiques ; pas par rapport à l’intérêt de ces questions, mais vis-à-vis de de la façon de dispenser cet enseignement. Qui enseigne ? Qui évalue ? Cela pourrait tout à fait s’aborder en enrichissant les programmes déjà existants sans en faire un enseignement spécifique. De plus il manque la dimension scientifique, biologique notamment, dans nos classes d’ECG. Il faudrait faire venir des professeurs en vacation, ce qui pose des problèmes de RH.
O. R : On a beaucoup parlé en 2022 de fermetures de classes, notamment en ECG, faute d’effectifs suffisants. Où en est-on ?
J. B : Les ministères se sont heureusement prononcés pour un moratoire en attendant les évolutions de la filière.
O. R : On accuse souvent les écoles de management d’avoir créé des concurrents aux classes préparatoires, en particulier en développant des bachelors. Qu’en pensez-vous ?
J. B : C’est un fait que ces bachelors nous font concurrence. Mais il n’y a pas qu’eux. Il y aussi les doubles licences universitaires, les instituts d’administration des entreprises, les bachelors universitaire de technologie (BUT) ou même les diplômes étrangers. L’offre est très compliquée car très riche sur Parcoursup. A nous de faire une proposition pédagogique plus attractive. A démontrer ce qu’apportent les prépas ECG. Nous devons récupérer le public perdu en passant à l’offensive.
Mais c’est aussi aux écoles de démontrer leur attachement aux classes préparatoires. Aujourd’hui il règne un certain flou, alors le doute s’est installé.
O. R : Mais n’avez-vous pas le sentiment que beaucoup d’élèves se détournent aujourd’hui des fondamentaux mêmes des classes préparatoires ?
J. B : Je ne pense pas que la nouvelle génération veuille faire moins d’efforts et ne pense qu’à la vie étudiante et aux voyages. C’est une vision caricaturale. Les jeunes veulent bien sûr une vie étudiante, se constituer des réseaux, mais ils souhaitent surtout intégrer des formations ambitieuses qui leur ouvrent des débouchés. Et que ce soit en termes d’équilibre de formation, d’exigence ou de suivi des élèves les classes préparatoires sont imbattables.
Nos élèves peuvent vivre en internat et sont suivis pour le moindre problème. Les khôlles, les discussions avec les professeurs, l’entraide entre les élèves sont autant d’interactions très puissantes pendant deux ou trois ans. D’ailleurs les élèves ne s’y sont pas trompés après la crise Covid avec une hausse de 25% des candidatures.
Et regardez ce que font les autres filières. Elles nous copient. Les double licences universitaires sont des formations avec moins d’étudiants et plus de suivi. On oublie que leurs points forts sont directement inspirés des classes préparatoires. Nous devons communiquer là-dessus !
O. R : En créant des CPES (cycles pluridisciplinaires d’études supérieures) -votre lycée Louis-Le-Grand en lance un cette année – ne craignez-vous pas de concurrencer vos propres classes préparatoires ?
J. B : Notre CPES accueillera entre 40 à 45 élèves, je ne pense que cela suffise à déstabiliser une structure de vingt et une classes préparatoires à la réputation bien établie. Nous ne nous inscrivons pas dans un développement forcené mais seulement dans un enrichissement de notre offre de formation. Nous changeons juste un peu le dosage en ajoutant un ingrédient nouveau. Cela signale qu’un lycée comme le nôtre ne refuse pas le changement, qu’il est capable d’aller chercher de nouveaux publics. Je suis sûr que ces nouveaux étudiants que nous accueillerons et qui côtoieront nos prépas, découvriront leur réalité au-delà des idées reçues et en parleront positivement à l’extérieur. Les CPES ne sont pas un cheval de Troie des universités. Si on le pense on se condamne à une position défensive.
Nous devons être fiers de nos atouts et aussi évoluer pour des jeunes qui ne se comportent plus pareil, s’interrogent sur le sens de leur vie, l’égalité hommes/femmes, les discriminations, l’environnement… On doit les entendre et nous créons par exemple des ateliers de formation artistiques. Il faut leur donner des dimensions de réalisation personnelle et une véritable vie étudiante.
- Créée en 1993, l’APLCPGE (Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles) regroupe plus de 160 proviseurs et proviseurs-adjoints de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles de l’enseignement public, de France métropolitaine et d’outre-mer, quelle que soit la taille de l’établissement.