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« Le Hcéres doit avoir une vision globale »: entretien avec Thierry Coulhon, président du Hcéres

Depuis octobre 2020 il préside le Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) en charge de l’ensemble des évaluations des établissements d’enseignement supérieur publics et de certains privés comme les établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG). Thierry Coulhon revient avec nous sur les missions de son agence et comment il entend donner encore plus de visibilité à ses évaluations.

Olivier Rollot : Le fonctionnement du Hcéres n’est pas forcément clair pour tout le monde. Pouvez-vous nous résumer les grandes missions du Hcéres et leur évolution ?

Thierry Coulhon : Le Hcéres répond toujours aux quatre grandes missions que la loi lui a confiées. D’abord l’évaluation des organismes de recherche, avec cette année le CNRS et l’Inria. Puis l’évaluation des universités et de certaines Grandes écoles, l’évaluation des unités mixtes de recherche (UMR) et l’évaluation des formations.

S’agissant de cette dernière, nous livrons à la DGESIP (Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle) des évaluations qui sont la base du processus d’accréditation des formations. Il fut un temps où ces évaluations s’effectuaient par champs de formation, ce qui n’était pas suffisamment clair. Aujourd’hui nous travaillons par cycles. Et comme certaines universités regroupent leurs deuxième et troisième cycles dans des écoles universitaires de recherche (EUR), nous nous y adaptons.

Outre ces missions, nous publions des rapports autonomes sur les unités de recherche qui sont adressés à leurs tutelles. Une nouveauté cette année : nous livrons des « synthèses recherche » par université. Ces synthèses fournissent une caractérisation de la recherche de l’établissement et une vision globale de la performance dans les différents domaines scientifiques. Pour la gouvernance des universités, elles constituent un outil de pilotage de la politique scientifique ; pour les organismes de recherche, elles éclairent leur action partenariale avec les universités. Les premières « synthèses recherche » concernent les universités de la région Nouvelle Aquitaine, de Bretagne, de Pays de la Loire et de Normandie.

Nous allons à présent accélérer le rythme de publication en publiant les synthèses recherche au plus tard en même temps que le rapport d’établissement correspondant. Les synthèses que nous publions aujourd’hui sont issues d’évaluations datées d’il y a un an. C’est beaucoup trop long.

O. R : Le Hcéres a-t-il à évaluer les différentes actions lancées dans le cadre des programmes d’investissement d’avenir (PIA) qui sont pilotés par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) ?

T. C : C’est une question qui n’a pas encore été tranchée, alors qu’on se posait déjà la question en 2012 quand je pilotais le programme « centres d’excellence » auprès du CGI (commissaire général à l’investissement) devenu depuis le SGPI. On retrouve forcément déjà des programmes issus des PIA dans les synthèses recherche que nous publions. Mais ce ne sont pas des objets juridiques en soi et nous ne les regardons pas en tant que tels. Le SGPI nous avait demandé d’évaluer spécifiquement les IRT (instituts de recherche technologique) et les ITE (instituts pour la transition énergétique), nous l’avons fait.

Il ne faudrait pas que nous n’évaluions qu’une partie du paysage. Le Hcéres doit avoir une vision globale qui englobe, par exemple, les Labex, dont les budgets sont très importants. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et le SGPI pourraient nous demander de les évaluer.

D’ailleurs il y a également des discussions en cours sur la pertinence, pour le Hcéres, d’évaluer les IHU (instituts hospitalo-universitaires). Nous évaluons aussi des établissements qui dépendent d’autres ministères que le MESR. Pour le ministère des Armées, nous avons évalué l’Ecole navale. Aujourd’hui, pour la première fois, nous évaluons des établissements sous tutelle du ministère de l’Agriculture mais aussi des écoles d’architecture ou des écoles d’art qui dépendent du ministère de la Culture.

O. R : Votre spectre d’évaluation va aussi au-delà des seuls établissements publics. Quels établissements privés évaluez-vous ?

T. C : Les textes nous demandent d’évaluer les établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG), car le MESR passe un contrat avec eux. Nous pouvons également évaluer les établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC) ou des écoles privées si elles nous le demandent. Mais dans ce cas, le Hcéres leur demande une contribution contrairement aux établissements publics ou aux EESPIG.

O. R : Une mission a été lancée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sur l’enseignement supérieur privé lucratif. Le Hcéres pourrait-il un jour évaluer toutes les écoles privées lucratives ?

T. C : Je considère que le juge de paix est l’évaluation externe de la qualité, c’est l’intérêt des étudiants et des familles. Nous allons ainsi au-delà de la seule assurance qualité en pratiquant une évaluation de l’ensemble des missions des établissements. Mais nous resterons bien sûr dans le champ de l’enseignement supérieur.

Aujourd’hui nous avons une bonne articulation avec la Commission des titres d’ingénieur (CTI) et la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (Cefdg). L’ensemble des établissements accrédités par la Cefdg pourrait, je l’espère, accéder d’office au label Qualiopi dans la mesure où nous validerions ses procédures. Notre bonne collaboration avec la CTI va également permettre de ne pas solliciter deux fois les écoles d’ingénieurs sur des dossiers similaires. Nous ne nous substituons ni à l’une, ni à l’autre. Nous agissons en parfaite complémentarité.

O. R : Qu’attendez-vous de la création de votre tout nouvel Observatoire de l’enseignement supérieur (OES) dont la mise en œuvre opérationnelle est prévue pour la rentrée 2023 ?

T. C : Nous avons constaté la méconnaissance qu’avaient la plupart des acteurs institutionnels de l’enseignement supérieur. Quelle offre d’enseignement supérieur au sein de nos territoires ? Quels circuits de financement ? Quelles ressources propres ? Autant de points sur lesquels nous avons une foule de données à exploiter.

Ce que nous allons créer  n’est pas une entité à part mais un observatoire bâti sur le modèle de notre Observatoire des sciences et technologies, qui s’appuiera également sur les ressources de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) comme du Système d’information et études statistiques (SIES).

O. R : Vous avez évoqué l’idée que les évaluations du Hcéres soient plus accessibles au grand public. Comment comptez-vous procéder ? Ce sont des évaluations très techniques.

T. C : Aujourd’hui, nos rapports n’ont pas vocation à être lue par les familles. Ils doivent être écrits pour être lus par le MESR, les rectorats, les universités, les collectivités etc. mais aussi la presse qui peut les traduire pour le grand public. Car ils peuvent aussi intéresser le grand public qui est évidemment concerné par tout ce que nous évaluons. Il nous faut alors adapter la forme pour élargir le lectorat et sensibiliser cette nouvelle cible.

O. R : Le Hcéres n’ira donc pas jusqu’à donner des notes aux masters ou aux laboratoires de recherche comme le faisait son prédécesseur l’Aeres ?

T. C : J’exclus ce recours dont les effets sont pervers avec des notes qui montent vite partout à A+. La notation a des inconvénients majeurs même si, à court terme, elle fait réagir. Le sujet n’est pas pour nous de dire que telle ou telle université est meilleure que telle autre. Il faut aussi considérer l’intérêt pour une économie locale. Et quand nous disons qu’un élément n’est pas optimal, cela suffit à faire réagir.

O. R : Le Hcéres n’en évalue pas moins les performances de chaque établissement ?

T. C : Je préfère employer le terme d’évaluation. Ce que nous voulons c’est produire un tableau honnête pour chaque évaluation, ni stigmatisant, ni lénifiant. Parfois on nous reproche d’être trop sévères mais, la plupart du temps, les établissements, comme les laboratoires évalués, adhèrent à nos recommandations. Mais ne les situons pas sur une échelle de performance unique.

O. R : Comment va se dérouler l’évaluation du CNRS dont ce sera en fait la première évaluation extérieure. La précédente avait en effet été réalisée par le CNRS lui-même.

T. C : Nous avons dévoilé au début de l’année un comité d’évaluation de premier ordre mené par le président de l’EPFL, Martin Vetterli. Un comité de seize membres, plus nombreux que d’habitude en raison de la taille du CNRS , tous de très haut niveau, dont un seul Français. Un comité qui commencera ses visites en mai 2023 et rendra ses conclusions en fin d’année.

O. R : La forme des rapports du Hcéres va-t-elle évoluer ?

T. C : La forme de nos évaluations va évoluer à partir de la vague C. Nous allons produire des rapports d’établissements plus intégrés et plus précis. L’investissement réel des organismes de formation dans chaque site doit être précisé. Il faut systématiser le regard croisé entre universités et organismes.

O. R : Le Hcéres a-t-il un rôle à jouer pour promouvoir l’enseignement supérieur à l’international ?

T. C : Nous ne sommes pas Campus France. Nous n’avons pas à promouvoir les établissements mais à les inciter à être les meilleurs pour être encore meilleurs à l’international. Nous regardons aussi leur positionnement international. Longtemps ce fut un chapitre à part, maintenant c’est intégré dans chaque item que nous traitons.

O. R : Le Hcéres produit des évaluations internationales. Pourriez-vous en produire plus ?

T. C : Historiquement ce que nous voulons c’est promouvoir le modèle français d’évaluation et d’enseignement supérieur. Nous travaillons en articulation avec les objectifs géopolitiques de la France. En Afrique francophone nous sommes partenaires de l’Agence française de développement (AFD) et de la Banque mondiale. Des agences similaires à la nôtre se sont ainsi développées au Maghreb avec notre soutien et nous discutons d’autres créations en Amérique latine. En Europe nous sommes membres avec Una Europa d’un consortium qui remettra à la Commission des propositions sur le diplôme européen.

O. R : Demain qui pourrait évaluer les universités européennes qui se constituent ?

T. C : La création d’une agence européenne n’est pas souhaitable. Il faudra se faire confiance entre agences nationales.

O. R : Comment êtes-vous certain de l’impact de vos évaluations ?

T. C : Par exemple par l’accréditation ou non des formations évaluées par le MESR en fonction de nos évaluations. Mais surtout par l’intérêt qu’ont les entités évaluées pour nos recommandations. Mais surtout, comme je l’ai écrit à la ministre récemment, nos rapports peuvent servir de fondement à une politique contractuelle renouvelée.

O. R : Le Hcéres donne-t-il assez de poids dans ses évaluations à la santé financières des établissements ?

T. C : Les allocations de moyens sont-elles toujours alignées avec les axes stratégiques ? Nous pourrions être plus précis là-dessus. Mais nous ne sommes ni la Cour des Comptes ni l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) qui peut passer des mois dans les établissements et souvent dans des périodes de crise.

  • Le budget du Hcéres est de 20 millions d’euros, soit un dixième de celui de son équivalent britannique.
  • La campagne d’évaluation de la vague C concerne des établissements de Bourgogne-Franche-Comté, du Centre-Val-de-Loire, de Corse, du Grand-Est, de Provence-Alpes-Côte-d’Azur et d’Outre-Mer (Nouvelle-Calédonie et Polynésie Française).
  • Les premières « synthèses recherche » sont disponibles en ligne sur le site internet du Hcéres. Dès la vague C, le Hcéres produira les « synthèses recherche » de certaines écoles parmi les plus impliquées en recherche pour enrichir leur évaluation intégrée.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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