Tout jute élu président de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Georges Haddad nous livre son analyse de la situation de l’une des grandes universités françaises et de sa Comue. De sacrés défis en perspective !
Olivier Rollot : Vous venez d’être élu président de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Une sorte de « retour aux sources » pour vous qui aviez déjà présidé cette université de 1989 à 1994. A l’époque vous étiez le plus jeune président d’une université !
Georges Haddad : Oui et certains collègues m’appelaient le « jeune président » au début pour ne pas dire « président » alors que je n’avais que 37 ans. A l’époque je ne pensais absolument pas avoir une chance d’être élu mais je l’ai été et j’ai bien su m’entourer. A tel point que j’ai également présidé la Conférence des présidents d’université. Puis je suis parti à l’Unesco pendant plus de vingt ans où j’ai notamment organisé la première Conférence mondiale sur l’enseignement supérieur. Un événement qui a conduit à des réformes dans plus de 47 pays.
En 2009, l’Unesco a consacré une autre conférence aux pays émergents. Pour beaucoup ce fut la découverte d’un monde où il faut se battre pour avoir le droit d’étudier. Bien loin de notre vision franco-française ! La priorité doit être donnée à l’Afrique, qui est notre défi principal.
O. R : En 2013 vous voilà de retour dans votre université, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où vous redonnez des cours de mathématiques.
G. H : L’âge de la retraite étant fixé à 62 ans à l’Unesco, j’avais toutes mes annuités et j’aurais pu prendre ma retraite de l’enseignement supérieur mais j’ai tenu à revenir enseigner. J’ai la passion de l’éducation depuis toujours. La passion de la transmission, de l’envie de savoir et pas seulement du savoir.
O. R : Et êtes de nouveau élu président !
G. H : A priori je n’avais aucune chance après 14 années d’absence mais j’ai créé un slogan, « L’audace d’agir », et proposé un programme qui l’a emporté. Je sais que mon retour n’est pas facile pour ceux qui se préparaient à prendre la direction de l’université depuis 4 ans mais cela a également été une opportunité pour l’autre candidat, Jean-Marc Bonnisseau, qui vient d’être élu président du Campus Condorcet.
O. R : Ce qui a peut-être le plus surpris c’est qu’une large majorité d’enseignant-chercheurs s’étaient portés sur son nom ?
G. H : Mais il ne fallait proclamer sa victoire avant même le vote du conseil d’administration : l’université, c’est aussi les étudiants ou les personnels BIATSS. Je vous rappelle que j’ai finalement été élu dès le premier tour par 19 voix contre 14. La première chose est de pacifier et dialoguer.
O. R : Quelles grandes ambitions avez-vous pour Paris 1 Panthéon-Sorbonne ?
G. H : Il faut inscrire Paris 1 Panthéon-Sorbonne dans la modernité en l’ouvrant encore plus au monde et notamment sur les pays émergents et l’Afrique. L’Afrique c’est le combat de ma vie à tel point qu’on m’appelait « M. Priorité à l’Afrique » à l’Unesco. Il faut aussi rappeler que nous sommes une institution de formation à la recherche et par la recherche, et qu’elle doit nourrir tout notre travail. Dans ce cadre, le développement de la formation tout au long de la vie est une respiration essentielle dans un monde où il faut absolument continuer à se former quel que soit son cursus d’origine. Enfin il faut regarder tout ce qui se passe dans le monde, par exemple la montée en puissance des MOOC, pour se remettre en cause en permanence. Ce que les enseignants-chercheurs savent très bien faire avec leurs recherches.
O. R : Comment se portent les finances de l’université aujourd’hui ?
G. H : Nous sommes sur une corde raide. Songez qu’il y a 25 ans il y avait deux fois plus de TD que de cours et que c’est le contraire aujourd’hui par mesures d’économie. Notre autonomie nous a également conduit à recruter à des postes de gestion des cadres qui demandent des salaires élevés. Mais cela ne doit pas être au détriment de la recherche quand on sait que le pouvoir d’achat des professeurs a baissé de 37% en trente ans. Le chantier de la précarité à l’université est maintenant l’un de ceux que je vais aborder en priorité.
O. R : L’autre grand dossier que vous allez devoir gérer est celui de la communauté d’universités et d’établissements (Comue) Hesam dont vous faites partie et qui vient d’essuyer un nouvel échec devant le jury des programmes d’investissement d’avenir (PIA). Quel regard jetez-vous sur le développement des Comue ?
G. H : En 2006, on a d’abord créé les PRES avec l’ambition de réunir des forces capables de nous mettre au niveau des plus grandes universités. Mais Harvard est la première université du monde avec seulement 20 000 étudiants et Princeton n’en a même pas 7000 ! Ce n’est pas en mutualisant qu’on devient compétitif mais en innovant. Aujourd’hui j’ai une grande inquiétude pour l’avenir des Comue parisiennes. La région parisienne présente la plus grande concentration au monde d’énergies éducatives, scientifiques et culturelles, au point de déséquilibrer tout le paysage, mais comment faire travailler ensemble des universités de très bon niveau qui ne veulent pas « comuer » ? Il faut un réel désir de travailler ensemble sinon même les Comue les plus emblématiques ne passent pas la barrière des jurys internationaux.
O. R : Et Hesam là-dedans ?
G. H : Nous avons réalisé une Comue avec des établissements de grande qualité, comme l’Ena, l’ESCP Europe, les Arts et Métiers, le Cnam, l’Institut National du Patrimoine, etc. Mais ce n’est pas la Comue dont j’aurais rêvé. Nous aurions dû y inclure une grande université scientifique. S’il est hors de question de quitter Hesam aujourd’hui, Paris 1 Panthéon-Sorbonne doit y trouver toute sa place. Il faut faire vivre notre Comue même si nos deux échecs devant les jurys d’Idex sont difficiles à accepter. Sans jouer plus longtemps le jeu des Idex, il faut définir de nouveaux projets. La dimension patrimoniale et le développement durable constituent par exemple des dossiers sur lesquels nous pourrions nous impliquer avec l’Ecole du Louvre, les Arts et Métiers et l’Institut national du Patrimoine. Nous pourrions développer la formation tout au long de la vie (FTLV) avec le Cnam et ESCP Europe.