Il est devenu en quelques années l’un des principaux experts du développement des outils numériques dans l’enseignement supérieur. Cette année il a proposé avec Neoma, dont il est le directeur général adjoint en charge du numérique, une session de formation aux IA aux professeurs de classes préparatoires.
Olivier Rollot : Neoma se positionne comme un acteur majeur des IA avec l’organisation cette année de deux colloques destinés aux acteurs de l’enseignement supérieur. Vous avez par exemple proposé une session de formation aux professeurs de classes préparatoires ECG de l’Association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC) en avril dernier. Quels étaient vos objectifs ?
Alain Goudey : Les professeurs sont un peu pris entre deux feux : leurs élèves qui sont de plus en plus utilisateurs des IA et leurs ministères de tutelle qui entendent favoriser le déploiement de ces mêmes IA mais ne donnent pas nécessairement d’aide. Sans accompagnement particulier les professeurs doivent donc quand même se former et c’est pour cela que nous avons organisé cette demi-journée de formation avec l’Aphec. Plus de 100 professeurs sont venus pour assister d’abord à une conférence panorama des technologies et de leur impact puis aux interventions de quatre professeurs, deux de classes préparatoires et autant de NEOMA, qui sont venus expliquer leurs usages concrets des IA, mais aussi leurs questionnements. La journée s’est achevée par la prise en main d’une IAG pour apprendre à créer des prompts. Il faut éviter le « prompt naïf », le prompt très court de celui qui croit que l’IA fera tout et se retrouve avec des résultats finalement médiocres.
O. R : Comment avez-vous jugé le travail de vos élèves d’un jour ?
A. G : J’ai adoré cet événement !Cela a été un moment très sympa avec un public hyper engagé qui a obtenu de très bons résultats. Ils ont manifesté un vrai intérêt pour en savoir plus sur les IAG avec des questions très pertinentes. Depuis nous leur avons proposé de suivre une formation dédiée aux IAG créée par NEOMA et ouverte sur NEOMA Online en asynchrone. Plus de 340 professeurs sont aujourd’hui inscrits et un espace communautaire dédié leur permet de se poser des questions. Je vais parfois y répondre et nous n’excluons pas de réorganiser le même type d’événement pour assurer un « suivi ».
O. R : Les professeurs ont-ils des attentes particulières ? Des IA leur correspondent-elles mieux ?
A. G : Ils ont les mêmes attentes que d’autres publics que je peux croiser en conférence : comprendre la technologie et être accompagnés sur les premiers usages. Notre but, pour eux comme les autres participants à nos programmes de formation pour les professionnels en entreprise via notre certificat exécutif, est de les outiller pour les rendre autonomes et de démystifier la technologie pour la tester dans le cadre de ses cours. Il n’y a donc pas de réponse unique en termes d’IA. Certaines sont meilleurs pour créer des exercices ou des cas, d’autres pour des QCM ou des quiz, d’autres encore pour de la veille informationnelle ou pour expliquer des concept ardus. Chaque professeur a à sa disposition tel ou tel outil selon ses usages et nous devons leur donner le bagage suffisant pour les explorer par eux-mêmes.
O. R : Parlons maintenant plus précisément de Neoma. Vous êtes la première école de management à avoir conclu un accord de collaboration avec Mistral et son IA Le Chat. Qu’en attendez-vous ?
A. G : Cetaccord comporte trois grands volets. D’abord le déploiement de 3 000 licences au sein de Neoma : 800 pour les professeurs (déploiement à l’échelle de toute l’école) et personnels et 2 200 pour les étudiants qui vont entrer à la rentrée prochaine à Neoma. Tous nos étudiants sont formés (8 100 étudiants à date) et partager des outils (comme des simulateurs de négociations, ou de la prise en main augmentée de solutions numériques). En fait, ce n’est pas un outil, mais tout un écosystème autour des IAG de Mistral que nous mettons à leur disposition.
O. R : Et qu’en attend Mistral ?
A. G : Nous allons remonter à Mistral les différents cas d’usage et les pistes d’amélioration afférentes. Nous entrons dans une logique d’échanges très réguliers pour améliorer Le Chat. C’est un volet de l’accord qui était assez inédit en France mais courant aux Etats-Unis où les entreprises innovantes travaillent beaucoup plus fréquemment avec le monde académique.
Cette dynamique va nous rendre beaucoup plus efficace et nous permettre de développer de nouvelles pratiques dans l’enseignement supérieur et la recherche. En juin prochain nous organisons d’ailleurs avec nos partenaires académiques internationaux et nationaux des journée autour de l’innovation et la pédagogie auxquelles Mistral va ensuite se greffer pour échanger et, pourquoi pas, créer des projets communs. Depuis notre partenariat structurant, Mistral s’est d’ailleurs également associé à l’Ecole polytechnique pour la création d’un campus dédié aux IA.
O. R : Où en est la perception des IA dans l’enseignement supérieur ? On se souvient de fortes réticences à ses débuts il y a deux ans.
A. G : Remplacez les IA par une calculatrice et partez quelques décennies en arrière et vous verrez les mêmes réticences. Mais il faut se transformer autour de la technologie. Nous pouvons aujourd’hui aussi bien proposer à nos étudiants des examens sans IAG que d’autres avec. Les évaluations des compétences de nos étudiants se transforment avec la montée en puissance du face à face et de l’oral. On ne peut pas seulement dire à nos étudiants qu’utiliser une IA c’est tricher alors qu’on va devoir les utilise quotidiennement dans le monde du travail !
Dans le cadre des cours que je donne je montre des techniques pour aller plus loin grâce aux IA. Un groupe d’étudiants a ainsi été jusqu’à réaliser un vrai casque de chantier connecté à une appli qui fonctionne grâce aux IAG qu’ils ont programmé.
Pour autant tout n’est pas toujours aussi positif. Dans le même cours un autre groupe m’a demandé si, plutôt que d’aller interroger des professionnels lors d’entretiens qualis pour le « test de concept » que je leur demande de réaliser, ils ne pouvaient pas plutôt interroger une… IA ! Je leur ai donc demandé si réaliser un entretien quali était intéressant, s’il y avait un vrai besoin d’interroger des humains ? Cela m’a également permis de leur faire comprendre qu’il ne faut pas faire semblant de travailler, sinon des étudiants vont faire croire qu’ils ont travaillé et seront corrigés par des professeurs qui pourraient aussi faire semblant d’évaluer leur travail avec des IA !
C’est toute la frontière entre un usage pertinent et dévoyé des IA. Les étudiants ne doivent pas seulement penser à travailler plus vite et à obtenir une meilleure note. Apprendre prend du temps et cela doit nous interpeller sur ce qu’est une expérience pédagogique et le sens de ce que nous proposons dans l’enseignement supérieur. Mais rendez-vous compte des impacts positifs : à quel point les IA changent aujourd’hui la vie d’élèves dyslexiques par exemple, ou comment je peux donner mes cours dans 25 langues différentes.
O. R : Vos étudiants s’interrogent-ils sur comment ils vont pouvoir s’intégrer demain dans un monde du travail où les IA réalisent beaucoup de tâches ?
A. G : Je n’ai pas trop de questions de mes étudiants sur leur avenir face aux IA. Pour autant la question du passage de junior à senior se pose quand les IA réalisent des tâches qui étaient jusqu’ici plutôt destinées aux juniors car conçues pour leur faire comprendre les arcanes de leur métier. Dans un monde où on peut confier des tâches comme écrire un contrat simple ou même analyser une jurisprudence comment progresser ? C’est une vraie équation à résoudre. C’est là aussi que le monde académique va être attendu pour accompagner la société dans le déploiement de ces technologies qui ont des impacts profonds sur nos vies.
O. R : Une équation particulièrement importante dans la recherche. Comment évaluer le travail d’un doctorant à l’heure des IA ?
A. G : C’est une question qui a été posée lors du dernier congrès de l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) à Vienne devant 300 décideurs. Un éditeur était formel : pas d’usage de l’IA dans la recherche ! Je lui ai fait remarquer que c’était se tirer une balle dans le pied alors qu’aujourd’hui il est possible de réaliser des revues de littérature exhaustives très facilement. En médecine on peut ainsi repérer des liens entre des molécules et des effets secondaires jusqu’ici ignorés. Et ainsi traiter telle ou telle pathologie.
Cela va redéfinir les méthodologies de recherche. Pour autant, là aussi, la vigilance est de mise car je peux prendre un ensemble d’hypothèses et construire artificiellement un ensemble de données avec une IAG pour les valider quoi qu’il arrive ! Les données synthétiques fournies par IAG peuvent être utiles, mais aussi dangereuses. Finalement, comme à l’accoutumée quand on parle d’innovation technologie : tout dépend l’usage qui en est fait.
Beaucoup sont encore frileux face aux IA mais ce n’est pas rendre service à nos étudiants. Le monde académique a un rôle majeur à jouer dans cette transformation.