La Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (FNEGE) a été créée en 1968 pour développer l’enseignement de la gestion en France et notamment dans l’enseignement supérieur. Son délégué général depuis 8 ans, Pierre-Louis Dubois, vient de passer le témoin à Maurice Thévenet. L’ancien et le nouveau délégué général de la FNEGE nous livrent leur vision de l’enseignement de la gestion en France et du rôle qui joue la Fondation.
Olivier Rollot : Interviendrez-vous dans les débats qui auront forcément lieu autour des thèmes économiques présidant la campagne des présidentielles ?
Maurice Thévenet : Ce n’est pas notre rôle. Pour autant nous constatons que les enseignants-chercheurs de gestion n’interviennent pas assez dans les débats comme aujourd’hui pour la loi Travail. On entend plus les économistes ou les sociologues.
O. R : Vous vous adressez également au grand public ? On dit souvent que les Français sont nuls en gestion.
Pierre-Louis Dubois : Oui et nous avons même édité Educ’entreprise, une série d’ouvrages numériques gratuits destinés à faire comprendre le fonctionnement des entreprises.
O. R : Ce n’est pas considéré par certains comme une position idéologique de vouloir enseigner la gestion au plus grand nombre ?
P-L. D : Nous essayons de faire comprendre le management des entreprises et des organisations sans position idéologique. Nous serions dans le domaine du droit cela n’aurait rien d’idéologique de dire ce qu’est un contrat !
M. T : On a trop tendance en France à évoquer l’entreprise au singulier alors que la réalité est beaucoup plus diverse et qu’il n’y a pas que les entreprises du CAC 40.
O. R : C’est votre rôle central : comment amenez-vous plus de jeunes à se lancer dans une thèse de gestion ?
P-L. D : Nous menons de nombreuses actions comme le Prix de thèse que nous remettons chaque année. Nous avons créé grâce à l’ensemble des associations académiques du domaine une liste des revues scientifiques de gestion qui joue un rôle majeur dans les accréditations des établissements et les carrières des enseignants. Nous avons également créé un collège de labellisation des livres de gestion pour en faire un élément d’évaluation des enseignants-chercheurs. Depuis 1985 nous possédons un centre de formation des doctorants, le Cefag, et nous avions présenté un projet d’Idex (initiative d’excellence) pour financer les séjours d’enseignants-chercheurs sur des campus étrangers. Nous n’avons pas eu les financements mais nous n’en avons pas moins créé une bourse qui nous permet de financer deux à trois séjours chaque année.
M. T : Nous intervenons également pour favoriser l’entrepreneuriat. Nous avons été lauréat d’un programme d’investissement d’avenir (PIA) pour promouvoir le statut d’étudiant-entrepreneur en créant, par exemple, des outils pédagogiques pour la formation à l’entrepreneuriat. Aujourd’hui, la montée en puissance des vocations entrepreneuriales est exponentielle dans les business schools. Nous réfléchissons notamment à la création de lieux de co-working sur tous les campus comme ce qui existe déjà à PSL ou à l’université de Grenoble.
O. R : Votre dernière étude porte sur « L’impact de la recherche en management« . Selon elle, les entreprises ne semblent pas assez utiliser les productions des chercheurs en gestion. Que faire pour que cela change ?
P-L. D : Il faut assurer le lien entre les chercheurs et les entreprises et le « Baromètre entreprise » que nous avons créé doit leur permettre d’indiquer ce qu’elles attendent des chercheurs. Nous produisons également un « Observatoire des thèses » pour mettre en avant les 300 thèses de gestion produites chaque année et qui peuvent intéresser les entreprises.
M. T : La FNEGE a été créée par les entreprises mais elle demeure insuffisamment connue auprès d’elles alors que beaucoup développent également des enseignements de gestion. C’est un terrain de coopération à développer tout comme la mise en valeur des thèses et des publications en lien avec les entreprises.
P-L. D : C’était aussi le sens du « doctorat en apprentissage » que nous souhaitions développer et qui aurait permis aux doctorants de mieux connaître l’entreprise tout en disposant de ressources auxquelles ils n’auraient pas accès normalement.
O. R : 300 thèses pas an c’est suffisant pour former les professeurs dont ont besoin les business schools ?
P-L. D : Les besoins sont clairement plus conséquents sans qu’on puisse pour autant les chiffrer exactement. Mais on sait que le « marché » des professeurs de gestion est en tension.
Nous faisons un métier formidable qui nous permet de nous intéresser à des thèmes très variés, nous sommes en permanence au contact de jeunes, nous voyageons et nous pouvons travailler dans de nombreux pays, dans des organismes, au contact des entreprises. Le seul bémol est la faiblesse de la rémunération de base, surtout à l’entrée dans la carrière, pour beaucoup de jeunes enseignants-chercheurs.
M. T : Ce qui m’a attiré dans la carrière d’enseignant, après avoir travaillé dans l’entreprise, c’est cette possibilité de travailler dans ces trois dimensions. C’est plus difficile aujourd’hui pour des jeunes auxquels on demande tout de suite de réaliser leur thèse.
O. R : La FNEGE joue également un rôle de conseil auprès des business schools pour lesquelles vous avez créé il y a quelques années un indicateur de leur apport à leur environnement local, le BSIS, cogéré avec l’organisme d’accréditation EFMD. Le BSIS vient de changer de nom. Si ses trois premières lettres signifient toujours « Business school impact » « system » remplace « survey ». Pourquoi ?
P-L. D : Au-delà de la première étude d’impact le passage au « system » va nous permettre de suivre les engagements pris par les business schools elles-mêmes à partir des recommandations issues de l’analyse d’impact. Au bout de 3 à 4 ans, nous allons les réexaminer pour renouveler le label BSIS. Aujourd’hui 20 business schools ont passé le BSIS en France et il commence à s’étendre dans le monde. Nous sommes également en train de créer des systèmes d’évaluation comparables pour évaluer les actions de formation continue dans les entreprises comme dans les business schools. Enfin il existe un équivalent du BSIS pour les écoles d’ingénieurs : l’ENSIS.
O. R : Pierre-Louis Dubois ne souhaite pas faire un bilan de son action à la tête de la FNEGE alors que les louanges sur son travail sont unanimes. Vous qui lui succédez, Maurice Thévenet, comment voyez-vous votre action à venir ?
M. T : Je fais partie de ceux qui ont bénéficié de l’aide de la FNEGE dès leur doctorat. Ensuite, j’ai dirigé le programme Grande école de l’Essec dont je suis toujours professeur en même temps qu’au Cnam. Ces huit dernières années j’ai été le témoin de tout ce qui a été effectué par Pierre-Louis Dubois et ses équipes pour redonner à la FNEGE toute sa place dans la communauté.
La FNEGE représente aujourd’hui un endroit unique où des institutions, par ailleurs terriblement concurrentes, peuvent se rencontrer. Ce rôle doit être maintenu et accru. Par ailleurs, mesurer l’impact et la valeur sociétale des business schools représente un enjeu considérable. Les organismes d’accréditation doivent savoir ce qui a ou n’a pas un impact réel. C’est une question de ressources.
O. R : Les questions de pédagogie doivent-elles également être au cœur des missions de la FNEGE ?
M. T : Longtemps la FNEGE a même produit une revue pédagogique qui s’est éteinte à la fin des années 90. Aujourd’hui, il y a là un vrai enjeu dans le rôle de l’enseignant qui n’enlève rien à la part prise par la recherche dans l’évaluation des enseignants. D’ailleurs quand on regarde l’histoire des organismes d’accréditation, on voit que la recherche doit aussi accroître la qualité de la pédagogie.
P-L. D : Ce qu’il faut c’est une diversité des moyens pédagogiques. Le cours magistral a par exemple toute sa place et est toujours celui qui marque le plus dans un cursus.
O. R : A la fin 2016 paraîtra une étude que vous consacrez aux « ressources des business schools ». Vous n’avez pas parfois le sentiment que les professeurs de gestion se concentrent tellement sur leur recherche et leur carrière qu’ils en viennent à négliger leur apport global à leur établissement ?
M. T : Si les enseignants doivent absolument publier leurs travaux, notamment les plus jeunes, c’est aussi bien pour leur carrière que pour la notoriété de leur établissement. Les bonnes commissions d’évaluation doivent aussi valoriser différents produits de recherche, comme un rapport d’études ou une intervention dans un congrès, et pas seulement les revues de recherche. Le HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) a admis ces « autres produits de la recherche » comme l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) ou l’EFMD.
P-L. D : Il y a forcément des tensions entre le temps et les difficultés de la recherche et l’investissement dans l’institution dont on fait partie. La nécessité de publier a fait évoluer la dimension académique mais il y a des temps différents dans une carrière. Pour se consacrer plus à la recherche, diriger un programme ou même une école.
M. T : Au final d’ailleurs, la gestion des corps professoraux se fait plutôt bien.