Elle va présenter le nouveau plan stratégique de SKEMA à la prochaine rentrée et vient de prendre le poste de secrétaire de la Conférence des Grandes écoles (CGE). Comment envisage-t-elle l’avenir des business schools, comment veut-elle encore développer son école, comment la dirige-t-elle : rencontre avec Alice Guilhon.
Olivier Rollot : Comme en 2009, quand vous avez la réalisé la fusion Ceram / ESC Lille, les écoles de management semblent de nouveau à un tournant de leur développement ?
Alice Guilhon : Quand nous avons créé SKEMA en 2009 nous avons réalisé une fusion entre égaux. Atteindre une taille critique est plus que jamais nécessaire. Le marché de l’enseignement supérieur est globalisé, nous devons y installer des marques visibles et puissantes.
Dans le même temps, nous sommes confrontés à des officines privées qui occupent un territoire que les acteurs « historiques » n’ont pas su occuper. Des officines qui ont su se développer via le marketing digital. Nous devons jouer avec les mêmes règles du jeu que ces officines en créant des programmes qui répondent aux besoins des entreprises et des territoires. Nous pouvons nous autoriser à penser différemment !
La communication est aujourd’hui un élément central du développement du secteur comme on a pu le constater avec les classes préparatoires. Leur problème était aussi un problème de communication. Avec les écoles de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm), nous avons mis en place une campagne digitale de promotion du modèle classes prépas. C’était une façon de montrer notre attachement à ce modèle unique dont la pérennité ne devrait plus être questionnée.
Le développement des Intelligences artificielles est également un choc – nous l’avions d’ailleurs anticipé à SKEMA en créant dès 2019 un Centre d’Innovation en IA à Montréal. De même, nous avons lancé quatre écoles thématiques il y a cinq ans et je suis heureuse de constater que d’autres écoles en font autant aujourd’hui.
En résumé, nous contribuons à redistribuer les cartes et nous avons en France la chance de pouvoir nous appuyer sur un ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui sait s’adapter. Ce qui est possible en France en matière de lancement de programmes par tous types d’acteurs, serait totalement impossible aux Etats-Unis, en Chine ou au Brésil. Aujourd’hui nous sommes reconnus dans ces pays par les Ministères mais aussi grâce au label EESPIG et aux évaluations du Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). A Dubaï, nos reconnaissances en France nous ont fait gagner huit mois pour obtenir les accréditations locales KHDA et CAA.

L’entrée du campus parisien de Skema
O. R : Parmi les grands bouleversements que nous vivons il y a celui d’une université américaine chaque jour attaquée par l’administration Trump. SKEMA possède un campus aux Etats-Unis, à Raleigh, cela vous touche-t-il ?
A. G : Nos visas pour les Etats-Unis pour les étudiants internationaux se débloquent depuis le 19 juin, c’est un soulagement. Mais s’ils n’avaient pas pu partir aux Etats-Unis, nos étudiants auraient pu aller sur l’un de nos autres sites internationaux. La Chine est restée fermée pendant trois ans durant le COVID sans que cela ne nous ait causé de souci. C’est la force de notre structure qui nous permet de nous adapter aux différents risques géopolitiques.
O. R : Dans un contexte disons troublé, rien ne vous empêche de dormir aujourd’hui ?
A. G : Absolument rien si l’on parle de l’école dans son environnement. Nos résultats financiers sont excellents, nos classements exceptionnels et nous recevons de plus en plus d’étudiants. Après quinze ans de croissance à deux chiffres, je veux continuer à monter en qualité en France et à nous développer à l’International. En France, nous nous allons nous limiter pour le PGE à recruter 600 élèves issus de classes préparatoires et à 100 admis sur titre en première année. Et à l’International, notre modèle est d’avoir 50% d’étudiants locaux et 50% d’étudiants internationaux. Nos détracteurs disent que nous n’envoyons que des Français à l’international, ce qui est faux depuis bien des années !
O. R : Il y a quelques mois vous avez émis l’hypothèse de voir des fonds d’investissement entrer au capital de SKEMA. Est-ce vraiment envisageable ? Pourriez-vous fusionner avec une autre école ?
A. G : J’avais voulu détendre l’atmosphère en parlant de fonds. On ne peut pas exclure de recourir à des financements privés pour financer sa croissance. Mais à SKEMA, nous pourrions doubler de taille dans les cinq ans sans faire appel à des financements extérieurs. Nous n’excluons rien mais je ne veux pas toucher à notre statut associatif.
Quant à une fusion nous n’y pensons pas mais nous pourrions racheter un établissement à l’international comme nous l’avions engagé il y a deux ans aux Etats-Unis. Je souhaite conserver notre indépendance et notre mission d’intérêt général et nos professeurs sont parfaitement alignés avec cela.
O. R : Que pensez-vous de l’intégration de la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) dans le Hcéres qui semble se dessiner ?
A. G : Quand j’ai lancé la Cdefm en 2021, nous avons constaté avec Mathilde Gollety, Thierry Coulhon et Anne-Sophie Barthez qu’il fallait simplifier les processus d’accréditation. Cette réflexion sur un rapprochement des évaluations date de 2021. La seule bataille à mener aujourd’hui est celle de conserver une commission paritaire dans laquelle les écoles soient jugées par des universitaires et des représentants des écoles. Nous avons de toute façon besoin d’une agence d’évaluation mais pas d’un millefeuille avec 50 instances. La CEFDG est une organisation remarquable et efficace sur laquelle il faut capitaliser.
O. R : Vous l’avez évoqué, SKEMA a été pionnière dans le développement des IA. Qu’est-ce que cela change pour SKEMA et pourrait changer pour vos diplômés ?
A. G : Notre grande bataille avec les IA est celle du vrai et du faux. Il nous faut former nos étudiants pour qu’ils comprennent que les IA ne disent pas toujours la vérité, sinon nous aurons rapidement des promotions d’ignares ! Nous mettons beaucoup de garde fous et c’est un sujet important que nous évoquons souvent avec Frédérique Vidal qui vient de nous rejoindre en tant que directrice de la stratégie et de l’impact scientifique.
Aujourd’hui les investissements dans les IA sont colossaux partout dans le monde et notamment aux Etats-Unis et en Chine. Nous devons en France et plus largement en Europe être un trait d’union dans la société pour développer une IA éthique et respectueuse des libertés fondamentales.
Si on considère les investissements réalisés par exemple aux Émirats Arabes Unis, leur souhait est d’être vertueux et engagés pour une société mondiale plus durable, vous auriez pensé cela il y a 5 ans ? Ouvrons-nous à ceux qui souhaitent investir dans une société plus durable et désirable ! Il faut pouvoir penser différemment le monde et faire parler la jeunesse comme nous l’avons fait en créant Youth Talks qui a eu un impact considérable partout dans le monde. Être à l’écoute des jeunesses est notre rôle principal désormais. Une autre de nos contributions est, avec nos professeurs de PANSER le monde aujourd’hui plutôt que de le PENSER !

Un campus de Skema en Chine
O. R : Vous parlez du rôle des écoles dans la formation des étudiants. Mais quelle manageuse êtes-vous ?
A. G : Je suis plutôt bienveillante et à l’écoute aidée par des gardiens du temple dans une « maison » créée il y a 16 ans qui se développe avec beaucoup de projets et beaucoup de travail. Je crois beaucoup à la qualité des équipes et à leur engagement, et que la qualité de vie au travail est centrale pour réussir un projet tel que SKEMA. Souvent les collaborateurs disent qu’il y a trop de projets ou que cela va trop vite ! Je dois donc veiller constamment à ce que rapidité et innovation ne soient pas synonymes de précipitation. Je travaille en direct avec les treize personnes du Comex qui me rapportent directement, chacun ayant de très gros périmètres. Pour ma part, je me consacre beaucoup à l’impact de SKEMA et aux relations extérieures mais en gardant du temps pour tous. Tous les quatre mois tous nos collaborateurs peuvent m’interroger dans un « Ask the dean ». Je suis très sensible à la qualité managériale ce qui est parfois atypique dans l’environnement académique alors même que nous enseignons le management !
O. R : On vous imagine constamment en voyage ?
A. G : Je passe entre 10 et 15 jours par mois à l’international pour maintenir le sens de nos actions avec nos équipes. Cette transmission de mémoire est très importante alors que nous ne sommes plus que trois du comex d’origine encore à ce niveau de poste. J’ai d’ailleurs créé une direction du Knowledge management en 2011 pour ne pas perdre la mémoire de ce que nous avons fait (fusion et développement mondial, codification des pratiques et du tacite, etc…). Je veux éviter de réinventer ce qui a déjà été éprouvé. Je préfère être au courant de tout ce qui se passe à SKEMA pour donner du sens à ceux qui n’ont pas notre histoire en tête et peuvent ne pas comprendre les décisions prises. C’est aussi pour cela que je suis revenue à 100% à SKEMA après la présidence de la Cdefm qui m’occupait 60% de mon temps. Notre quatrième plan stratégique sera donc dans la lignée des trois premiers. C’est notre chance d’avoir pu écrire une nouvelle page stratégique en 2009 en tirant le meilleur de 160 ans d’histoire cumulée des deux écoles fondatrices.
O. R : Vous voulez être au courant de tout. Vous laissez quand même de l’autonomie à vos équipes ?
A. G : Beaucoup ! Parfois un peu trop d’ailleurs mais nous fixons une ligne stratégique avec des projets et chacun doit exécuter la feuille de route avec une large autonomie. Un point particulièrement important pour moi est l’engagement pour l’école, si un collaborateur ou une collaboratrice venait à critiquer ou se répandre sur notre projet, cela ne serait pas acceptable notamment parce ce que SKEMA est une création très entrepreneuriale depuis son origine.
O. R : Vous êtes vous même particulièrement attentive aux classements ?
A. G : Nous venons d’être classés 2ème par le Financial Times pour notre master en finance. Nous sommes top 20 pour l’Executive Education et top 15 pour le GEMBA. En France nous avons atteint la quatrième place dans le dernier classement du Parisien. Oui effectivement ce sont des belles réalisations dont l’école est fière. Nous avons avec l’équipe classement une attention particulière pour analyser les critères et s’assurer que nos diplômes y répondent. Pour autant notre stratégie n’est pas de coller aux classements mais de travailler sur la qualité de nos programmes comme nous l’avons fait en finance en recrutant des professeurs comme Florencio Lopez de Silanes, Laurent-Emmanuel Calvet ou Rafael Matta pour créer un pôle de chercheurs en Finance de premier rang international.
Nos processus qualité et accréditations nous poussent vers une amélioration permanente et les classements y contribuent également.
Nous mettons donc la barre plus haut chaque année, c’est une course d’endurance et non un sprint mais il faut parfois savoir prendre une pause pour célébrer ces résultats exceptionnels.