«Les grands enjeux auxquels nous sommes confrontés sont d’abord ceux des technologies et de la compétitivité»: José Milano, président exécutif du groupe Omnes Education

by Olivier Rollot

Leader de l’enseignement supérieur privé français, OMNES Education forme chaque année 40 000 étudiants dans 15 écoles. D’ingénieurs avec l’ECE, de management avec l’Inseec ou l’ESCE, elles sont implantées dans huit villes en France et sept en Europe. Son président exécutif, José Milano, a réfléchi avec nous sur les grands défis qui attendent les établissements d’enseignement supérieur dans les années à venir. Il réagit également sur les questions d’évaluation de l’enseignement supérieur.

Olivier Rollot : Nous semblons arriver à un point de bascule de l’histoire. En tant que dirigeant d’un grand groupe d’enseignement supérieur amené à former des générations d’étudiants comment analysez-vous la situation ?

José Milano : Les grands enjeux auxquels nous sommes confrontés sont d’abord ceux des technologies, du développement durable et de la compétitivité pour l’avenir de la France et de l’Europe. Il y a 25 ans l’Europe c’était 25% du PIB mondial comme les Etats-Unis, nous sommes aujourd’hui à 16 % et les Etats-Unis toujours à 25%. Nous assistons à un effondrement de la compétitivité française et européenne par manque de maîtrise dans la technologie.

Dans notre modèle à faible croissance qui doit reconstruire notre compétitivité, et dans lequel la question de la qualification et requalification des jeunes, et des moins jeunes, est stratégique. Or, on entend les intentions de réindustrialisation de la France avec une réflexion insuffisante, me semble-t-il, sur l’urgence des compétences associées. Le secteur public n’est pas en situation de relever seul ces défis. La coopération entre les deux voies de formation, publique et privée, est nécessaire pour répondre aux investissements massifs que nous allons devoir réaliser, notamment sur le déploiement des intelligences artificielles génératives (IAG).

O. R : Vous préconisez un modèle collaboratif public / privé pour l’enseignement supérieur ?

J. M : Les modèles économiques de l’enseignement public et privé sont en difficulté. D’un côté les universités sont en difficulté financièrement. De l’autre, beaucoup d’écoles n’ont pas la taille critique, même les Grandes écoles. Une des voies est d’aller vers plus de collaborations public/privé y compris avec des financements des entreprises pour faire évoluer nos modèles économiques et en assurer la pérennité. Il nous faut des organisations en réseaux à la fois en France, et pour nous donner à tous de la visibilité à l’étranger où se situe une partie de notre avenir.

Par exemple, la Grande Ecole d’ingénieurs du groupe OMNES Education, l’ECE championne de l’IA, parle avec des confrères pour nouer des coopérations avec d’autres écoles publiques ou privées au service des entreprises. L’ECE développe grâce à son Intelligence Lab, véritable Fab de l’IA, la formation, l’innovation et la R&D. Nos écoles académiques collaborent étroitement avec l’université en matière de recherche. Nous devons sans doute aller plus loin dans d’autres domaines avec nos collègues du public et du privé.

Il s’agit de développer une coopération de qualité, et non plus exclusivement sur les coopérations de recherche académique. Les intelligences artificielles, issues principalement des startups et du monde de l’innovation, invitent à repenser les modes de collaboration.

O. R : L’enseignement supérieur privé lucratif semble en mal d’une régulation pour éviter certains abus. Que pensez-vous de l’« agrément » que veut donner le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à ceux qui seraient en quelque sorte vertueux ?

J. M : Nous avons besoin d’une régulation de qualité. Nous ne sommes pas partisans d’un développement erratique de petits établissements qui rend le paysage de l’enseignement supérieur privé difficilement compréhensible pour les étudiants et leur famille lors de leur choix d’orientation et de qualité parfois variable. Cette régulation doit être fondée notamment sur le taux d’employabilité des étudiants à la sortie de leurs études, le taux d’encadrement, ainsi que la qualité des enseignants académiques ou professionnels et des méthodes pédagogiques innovantes. Par exemple, le pourcentage d’étudiants présents à l’examen du BTS et le pourcentage de jeunes reçus sont de bons critères.

Mais c’est la capacité des établissements à garantir une employabilité de qualité à leurs diplômés qui compte, que l’on peut mesurer objectivement grâce à InserSup. La réforme envisagée va plutôt dans la bonne direction, avec le projet de loi qui prévoit notamment d’étendre le label Qualiopi aux établissements à vocation professionnelle, y compris lorsqu’ils ne sollicitent pas de financements liés à l’apprentissage.

O. R : Que pensez-vous des mesures prises pour freiner le coût des contrats d’apprentissage ?

J. M : L’apprentissage est un levier essentiel de la politique de jeunesse et d’emploi, qui facilite l’insertion professionnelle des jeunes par une formation qualifiante en entreprise. Après avoir créé un dispositif vertueux, l’Etat est en train de freiner progressivement les investissements dans l’apprentissage, en jouant en même temps sur de nombreux leviers, ce qui entraîne beaucoup de complexité et ne va pas vraiment dans le sens de la simplification nécessaire.

Nous devons préserver ce dispositif d’insertion professionnelle et qui apporte une ascension sociale et une diversité croissante de profils d’apprenants au sein des entreprises. Mobilisons-nous plutôt pour pérenniser une politique d’apprentissage, reposant sur un modèle de qualité et soutenable pour les finances publiques.

O. R : Faudrait-il faire payer aux apprentis une partie du coût de leur formation comme certains le demandent ? Ce qui est impossible aujourd’hui sans une nouvelle loi je le rappelle.

J. M : Il pourrait y avoir des frais de scolarité qui équivalent à ceux de l’université pour les non boursiers, dans une logique de responsabilisation et de contribution partielle au coût réel de la formation en apprentissage, qui est aujourd’hui entièrement financé par l’État et les entreprises.

O. R : Plus largement comment faut-il former les jeunes aujourd’hui ?

J. M : Le monde est de plus en plus complexe ; il n’a jamais été si volatile, incertain, complexe et ambigu (VUCA). Nous sommes face à une société française de plus en plushétérogène avec des étudiants dont le niveau est de plus en plus divers.

Il faut donc créer plus de passerelles, plus de remédiation plus d’individualisation et d’employabilité. Il faut les accompagner, personnaliser l’enseignement pour ces jeunes plus digitaux alors que de nombreuses entreprises n’utilisent pas encore les IA. Mais nos outils pédagogiques répondent-ils aux besoins et aux compétences des jeunes ? Il nous faut par exemple développer l’hybridation de compétences. Ainsi, cette année, 11 000 étudiants du groupe OMNES suivent une autre discipline que la leur, et sur la rentrée 2025/2026, ce sera 40 000 étudiants qui seront formés à l’IA.

Des investissements massifs sont donc à prévoir, notamment sur l’IA, tout en veillant à revoir nos modèles pédagogiques, à renforcer encore les liens avec les entreprises et à personnaliser nos enseignements pour un nombre croissant d’étudiants et d’apprenants.

O. R : Le gouvernement insiste pour qu’on forme plus d’ingénieurs mais cela ne semble pas beaucoup avancer. A quels freins êtes-vous confrontés ?

J. M : C’est une problématique récurrente depuis plusieurs décennies qui devient aujourd’hui critique, comme en témoigne le rapport de l’Institut Montaigne. Nous avons aujourd’hui l’opportunité de construire un modèle global, performant et soutenable, capable de conjuguer excellence académique, impact économique et inclusion sociale.

Cela commence par un plus large sourcing des talents, en identifiant précocement les potentiels et en leur offrant des parcours adaptés et lisibles.

Ensuite, il est important de continuer à innover dans des nouveaux programmes ambitieux.

Par exemple, l’ECE propose une offre de formation innovante, connectée aux réalités industrielles. Elle s’illustre déjà par sa capacité à intégrer l’intelligence artificielle dans tous les niveaux de l’apprentissage, que ce soit dans les contenus, les outils pédagogiques ou les compétences ciblées. Par ailleurs, il est essentiel de ne plus se limiter aux formations de niveau Master, bien qu’elles restent clés. La montée en puissance des formations de niveau Bachelor, notamment pour les profils techniciens ou intermédiaires, est un pilier indispensable pour répondre aux besoins du tissu économique. L’ECE s’inscrit pleinement dans cette logique, en développant des programmes professionnalisants qui complètent l’offre d’ingénieurs, tout en favorisant l’insertion rapide et qualifiée. Le BTS CIEL qui ouvre dès la rentrée 2025/2026 est également un exemple d’innovation produit et complète nos voies d’accès.

L’enjeu est également de construire un modèle de relation pédagogique plus individualisé, agile, fondé sur la collaboration entre établissements, entreprises et territoires.

Milo, premier étudiant virtuel sera accueilli à l’ECE en septembre, suivra tous les cours de son cursus, avec ses camarades. En même temps, nous développons de nombreux outils pour les enseignants afin de les aider à accompagner des groupes hétérogènes. De même, nous avons lancé dans toutes les écoles du groupe des « Battles IA », permettant de renforcer la transversalité pédagogique : il s’agit de projets inter-écoles où les étudiants du second cycle de l’ECE, de l’INSEEC Grande École, de Sup de Pub et de HEIP travailleront ensemble sur des cas concrets (ex : projection d’une marque vers une nouvelle clientèle via l’IA ou apports de l’IA dans les relations internationales). Ces projets sur 3 jours permettront d’apprendre à prompter, tester et intégrer des outils IA en condition réelle de travail.

O. R : Il faut modifier les critères de recrutement pour élargir le vivier ?

J. M : En fait c’est plutôt le vivier qui remet en cause notre système de sélection. Notre modèle standard doit permettre de recruter des étudiants beaucoup plus agiles avec les technologies ; des étudiants sur lesquels nous devons nous appuyer sur leurs points forts et leur motivation.

C’est d’ailleurs une excellente idée qu’a eue Elisabeth Borne de relancer l’idée de propédeutique afin de donner de temps aux étudiants pour se préparer à l’entrée dans l’enseignement supérieur, en développant des expertises et des compétences, et renforcer ainsi leur chance de réussite, mais dans quel modèle économique l’opérer ?

O. R : La volonté d’Elisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de remettre à plat tout le système d’orientation des jeunes est nécessaire selon vous ?

J. M : L’orientation dans le secondaire est un chantier ouvert depuis longtemps malheureusement. Le système d’information n’est pas du tout à la hauteur des attentes des jeunes, de leurs familles, mais aussi des entreprises. Faire des stages en troisième ou en seconde pour un premier contact avec le monde de l’entreprise, c’est un début, mais au global, on assiste à un désastre humain et économique avec des taux énormes d’échec et d’abandon dans les premières années d’études.

La réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer qui est positive selon moi, n’a pas été complètement suivie d’une évolution complémentaire des filières de l’enseignement supérieur et des passerelles pour favoriser les orientations ou réorientations.

Notre défi est d’adapter davantage notre système d’offre aux profils des jeunes et aux besoins des entreprises.

O. R : Mais avez-vous les moyens, l’enseignement supérieur au sens large même, de répondre à tous ces défis ?

J. M : Il nous faut des ressources nouvelles, mais aussi des modes de fonctionnement différents. On peut faire des économies d’échelle avec des investissements en commun comme par exemple l’IT ou les campus. Le modèle d’OMNES Education, c’est la mutualisation des fonctions de back office sur une plateforme qui augmente ses écoles et qui permet un travail en réseau qui renforce leur efficacité et plus de coopération.

Les plans stratégiques actuels des écoles qui reposent souvent sur le développement de l’executive education et des bachelors sont très ambitieux.

Il faut combiner économies d’échelle et agilité, tout en continuant d’investir notamment dans l’IA et dans l’attractivité à l’international.

O. R : On peut s’attendre à voir beaucoup d’écoles en crise ?

J. M : La Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion)  a communiqué sur 15 établissements sur 43 audités en déficit ces deux dernières d’années, et beaucoup d’écoles d’ingénieurs ne sont malheureusement pas dans une situation plus favorable.

L’offre souvent innovante a souvent explosé ces dernières années et la démographie est désormais stable en France. Il faut s’attendre à ce que de nombreuses écoles traversent des périodes de grande fragilité pouvant les conduire jusqu’à des restructurations. Pourquoi ne pas instituer des critères de régulation financière avant l’ouverture d’une école ? En Allemagne, on doit provisionner le « run off », la cessation de son activité avec le coût des études au fur à mesure de la croissance du nombre d’étudiants. Ainsi une école peut régler la fin des études de ses étudiants quoi qu’il en soit.

O. R : Ces ressources nouvelles passent-elles en priorité par le recrutement de plus d’étudiants internationaux ?

J. M : Oui, car la France doit retrouver une position de leader mondial en matière d’attractivité des talents. Attirer davantage d’étudiants internationaux est essentiel : en quelques années, nous sommes passés du 4ᵉ au 7ᵉ rang des pays d’accueil, ce qui montre l’ampleur du défi. Accueillir des étudiants étrangers, c’est aussi une forme de soft power : on garde souvent un attachement durable au pays où l’on a étudié.

De notre côté, nous avons développé un réseau de plus de 650 agents dans le monde, et enregistré une hausse annuelle de 15 à 25 % du nombre d’étudiants internationaux depuis trois ans. Cela suppose d’adapter nos services pour répondre à leurs besoins spécifiques, mais leur présence est une vraie richesse : elle ouvre nos campus à la diversité, contribue au rayonnement de nos territoires, et renforce l’expérience étudiante.

O. R : Les territoires demandent constamment à que les établissements d’enseignement supérieur ouvrent de nouvelles filières. Comment gérez-vous leurs demandes ?

J. M : Les collectivités sont demandeuses et prêtes à financer l’installation d’écoles alors que les universités pourraient se désengager. Notre démocratie peut-elle accepter qu’on n’ait pas les mêmes chances de réussite à Roanne qu’à Lyon ? Pour répondre à ces inégalités, nous avons initié un partenariat avec le groupe scolaire Arago Sainte Anne de Roanne, afin de proposer, y compris dans les zones éloignées, une nouvelle formation Bac + 3 de qualité, professionnalisantes et reconnues par l’État, d’autres suivront.

Co-construire ce type d’initiative avec des partenaires ancrés localement permet de répondre aux attentes des familles, aux besoins des entreprises et aux enjeux de cohésion territoriale. Le digital peut aussi apporter des solutions : pour faire face à la baisse des effectifs dans certains lycées, il serait possible d’y créer des antennes pour les niveaux 6 et 7. Pourquoi l’enseignement supérieur ne serait-il pas accessible partout, pour tous, afin de mieux servir les entreprises et les territoires ?

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