« L’université Gustave-Eiffel a une vocation nationale, avec plusieurs campus répartis sur le territoire, et un ancrage local fort »: Gilles Roussel, président de l’université Gustave-Eiffel

by Olivier Rollot

Université « hybride », à la croisée des écoles d’ingénieurs et d’architecture, de l’organisme de recherche et des formations universitaires de proximité, l’Université Gustave Eiffel est particulièrement engagée sur la thématique des villes et territoires durables. Son président, Gilles Roussel, évoque avec nous la construction du projet européen Pioneer, les tensions budgétaires qui fragilisent l’enseignement supérieur et la recherche, la place centrale de l’apprentissage et la nécessité d’une régulation du privé. Entre lucidité et détermination, il plaide pour une autonomie responsable.

 

UNE UNIVERSITE SINGULIERE DANS LE PAYSAGE FRANÇAIS

Olivier Rollot : Si vous deviez définir en quelques mots l’Université Gustave Eiffel, que diriez-vous ?

Gilles Roussel : C’est une université un peu « hybride ». Ni tout à fait une université classique, ni une école d’ingénieurs, ni un organisme de recherche — mais un peu de tout cela à la fois. Elle regroupe des laboratoires de haut niveau, trois écoles d’ingénieurs (EIVP, Géodata Paris et ESIEE Paris), une école d’architecture (ENSA Paris-Est) et une offre de formation complète, de la licence au doctorat, avec une forte dimension professionnalisante et une place importante pour l’apprentissage.

Notre singularité, c’est notre thématique : les villes et territoires durables. Nous avons une vocation nationale, avec plusieurs campus répartis sur le territoire, et un ancrage local fort, notamment en Seine-et-Marne. Nous remplissons une mission d’accès à l’enseignement supérieur pour un public souvent éloigné des grands centres universitaires franciliens. Gustave Eiffel, c’est une université tournée vers les territoires, connectée à la recherche, l’innovation et à l’action publique.

O. R : Vous êtes membre de l’alliance européenne “Pioneer”. Comment se développe-t-elle ?

G. R : Ce projet s’inscrit dans la continuité de notre positionnement. Nous avons toujours cherché à répondre à des appels à projets cohérents avec notre thématique, qu’il s’agisse de France 2030 ou des universités européennes. Pioneer, c’est notre dimension européenne : un partenariat entre établissements qui travaillent, chacun dans leur territoire, sur les mêmes enjeux de durabilité.

L’Université Gustave Eiffel en est le leader thématique. Elle coordonne le réseau autour de la ville et du territoire de demain, tout en renforçant le lien avec les
écosystèmes locaux de chaque partenaire. Cela permet aussi d’intégrer la dimension apprentissage et formation professionnelle à une logique européenne. Nous ne voulons pas être une université généraliste parmi d’autres, mais un acteur européen de la ville durable.

UNE RENTREE CONTRASTEE

O. R : Beaucoup d’universités disent recruter plus d’étudiants cette année. Est-ce le cas à Gustave-Eiffel ?

G. R : Nous n’avons pas forcément plus d’étudiants aujourd’hui. En réalité, on est quasiment pleins depuis longtemps, donc le nombre d’étudiants reste assez stable. Cela fait plusieurs années que nous n’avons pas augmenté nos capacités d’accueil, et celles-ci correspondent globalement au nombre d’étudiants que nous recevons chaque année.

Ce n’est pas le cas partout : certains établissements avaient des capacités d’accueil beaucoup plus importantes et ont connu des fluctuations. Il y a quelques années, je l’avais d’ailleurs évoqué en conférence de presse : on peinait à remplir nos capacités dans les disciplines scientifiques. Aujourd’hui, la situation s’est bien redressée, et même dans ces filières, l’attractivité de l’université est de retour.

Au niveau national, on observe une hausse du nombre d’étudiants, mais chez nous, on reste plutôt sur une tendance stable. On continue malgré tout à ressentir une certaine pression, car on se trouve dans un territoire où la démographie reste dynamique. D’un côté, le bassin de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée attire toujours de nouveaux jeunes entrant dans l’enseignement supérieur ; de l’autre, notre implantation partielle en Seine-Saint-Denis nous place aussi sur un territoire à forte croissance démographique. Globalement, on évolue donc dans un environnement où la demande reste soutenue.

O. R : Cette rentrée 2025 se déroule également dans un contexte financier compliqué. Comment le vivez-vous ?
G. R : Comme beaucoup d’universités, nous traversons une période difficile. En 2024, notre déficit s’élevait à plus de 12 millions d’euros. Nous savions qu’il se reproduirait en 2025 : rien de surprenant, mais l’incertitude demeure totale pour 2026.

Nous dépendons de deux ministères – l’Enseignement supérieur et la Transition écologique – et aucun arbitrage n’est encore tranché. Les hausses du point d’indice ou des cotisations retraites ne sont pas totalement compensées. Résultat : notre masse salariale explose, et nous n’avons plus de visibilité. Nous freinons l’activité partout où c’est possible : 20 % de baisse sur les dotations, investissements repoussés, projets gelés… mais cela ne suffit plus.

O. R : Vous évoquez un frein sur les investissements ?
G. R : Nous avons dû suspendre plusieurs projets immobiliers et reporter des rénovations prévues. Les CPER déjà engagés continuent, mais tout le reste est mis en pause. Nous faisons le strict minimum pour tenir nos engagements. C’est frustrant : on est obligés de gérer à court terme, sans pouvoir se projeter.

O. R : Vous disposez pourtant de ressources propres importantes.
G. R : Sur un budget d’environ 250 millions d’euros, près de 60 millions viennent de ressources propres : recherche, formation continue, apprentissage, contrats européens. Mais nous sommes déjà au maximum de ce que nous pouvons mobiliser.

Augmenter encore serait difficile : les projets européens financent en « coût complet », mais cela suppose un suivi administratif lourd. L’apprentissage, lui, ne permet aucune marge : chaque euro doit être réinvesti dans la formation. Et la Cour des comptes régionale veille scrupuleusement à ce que les fonds ne soient pas utilisés autrement. On nous demande d’être autonomes, mais on ne nous laisse pas les leviers pour l’être réellement.

O. R : Et la recherche partenariale avec les entreprises ?
G. R : C’est une source utile, mais marginale. On parle de quelques millions d’euros, pas plus. Les entreprises ne peuvent pas financer la recherche fondamentale : elles estiment déjà contribuer via leurs taxes. Et les marges sur ces projets sont étroitement encadrées. Il n’existe pas de “modèle économique miracle” pour équilibrer le financement d’une université.

L’APPRENTISSAGE, PILIER DU MODELE GUSTAVE EIFFEL

O. R : L’apprentissage représente une part importante de vos étudiants !
G. R : Environ 25 à 30 % de nos effectifs. C’est un pilier de notre identité : une université ouverte sur l’entreprise et sur les métiers. Cette année, les effectifs semblent stables, même si nous restons prudents tant que tous les contrats ne sont pas tous signés.

Mais la question du financement devient cruciale. Avec la dernière réforme en cours, les “restes à charge” pour les entreprises augmentent, et certains acteurs risquent de réduire leur recours à l’apprentissage. Nous craignons un effet domino : une baisse des contrats entraînerait une baisse mécanique de nos ressources et une perte d’attractivité pour les étudiants.

L’apprentissage fonctionne bien quand il y a de la visibilité et de la confiance. Aujourd’hui, ni l’une ni l’autre ne sont garanties.

POUR UNE REGULATION DU PRIVE ET UNE AUTONOMIE RESPONSABLE

O. R : Vous soutenez la loi sur la régulation de l’enseignement supérieur privé ?
G. R : Oui, c’est nécessaire. L’ouverture massive d’écoles privées, souvent opportunistes, a fragilisé l’apprentissage. Certaines structures se sont créées uniquement pour capter des financements, sans véritable qualité académique. Réguler, ce n’est pas restreindre : c’est protéger les étudiants et les entreprises partenaires.

O. R : Et du côté des réformes à venir, notamment sur l’accréditation ou les contrats d’objectifs ?
G. R : La philosophie va dans le bon sens : responsabiliser les établissements. L’autonomie, ce n’est pas l’indépendance ; c’est la capacité à agir vite, à adapter son offre sans attendre des validations interminables. Mais cette autonomie doit être accompagnée de moyens. Sinon, elle devient un fardeau. Donner plus de liberté sans plus de financement, c’est condamner les universités à l’impuissance.

LES FRAIS D’INSCRIPTION, UN FAUX DEBAT

O. R : L’augmentation des droits d’inscription pourrait-elle être une solution ?
G. R : C’est un non-sujet pour nous. Faire payer davantage les étudiants reviendrait à exclure les plus modestes. Si un jour cette idée revenait, il faudrait la compenser par un système de bourses et de péréquation solide, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Nous avons quelques formations continues ou internationales à tarifs spécifiques, mais elles ne peuvent pas financer la recherche ou la masse salariale. Le modèle économique d’une université publique ne doit pas reposer sur les étudiants.

UN APPEL A LA CLARTE ET A LA COHERENCE

G. R : En résumé, quelle est la priorité aujourd’hui pour l’enseignement supérieur ?
O. R : La clarté. Les universités ont besoin de visibilité budgétaire et d’un cadre stable. On nous demande d’être innovants, de participer à la réindustrialisation, de renforcer nos partenariats européens, mais sans garantie sur nos moyens humains et financiers. Nous restons pleinement mobilisés pour nos étudiants et nos territoires, mais il est temps que l’État nous redonne les moyens de notre ambition.

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