Un étudiant sur trois envisage d’arrêter ses études pour des raisons de santé mentale selon le Baromètre national de la santé mentale des étudiants que vient de publier Ipsos bva pour la plateforme de prévention en santé mentale teale et l’Iéseg. L’étude« Bien-être et les habitudes des étudiants en matière de santé » publiée par l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) en collaboration avec la DGESIP (Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle), montre quant à elle qu’un tiers des étudiants présente les signes d’une détresse psychologique. « La performance académique ne peut se construire sur le mal-être. Les établissements doivent prendre leur part de responsabilité en intégrant pleinement la santé mentale à leurs politiques éducatives et sociales », demandeArmelle Dujardin-Vorilhon, directrice des études et de l’expérience étudiante de l’Iéseg quand Julia Néel Biz, cofondatrice et CEO de Teale (lire son entretien dans ce numéro) s’exclame : « Ce baromètre révèle une réalité glaçante : la santé mentale n’est plus un sujet périphérique, elle conditionne directement la réussite et l’avenir de nos étudiants. Leur offrir un soutien adapté est un impératif collectif, pas un supplément optionnel ».
- La santé mentale des étudiants a été un sujet largement traité en novembre 2024 sur le premier Salon de l’expérience étudiante. Une conférence lui sera encore consacré en 2026.
Des constats alarmant. Alors qu’en 2025, la santé mentale a été désignée « Grande cause nationale » le Baromètre dresse un constat sans appel : moins d’un étudiant sur deux se considère en bonne santé mentale (45 %), trois sur cinq présentent une suspicion de détresse psychologique (contre 36 % dans l’ensemble de la population française) et 38 % envisagent même d’arrêter leurs études en raison de leur mal-être.
Un sujet auquel Delphine Manceau, présidente de la Conférence des Grandes écoles (CGE) et directrice générale de Neoma, est particulièrement attentive : « La santé mentale des étudiants est aujourd’hui une priorité mondiale dans l’enseignement supérieur. Dans un contexte post-COVID, marqué par une incertitude accrue et des crises multiples — géopolitiques, climatiques, économiques —, les jeunes font face à une anxiété sans précédent. Face à cette réalité, notre mission a évolué : nous devons accompagner nos étudiants dans une approche globale du bien-être, sans pour autant les infantiliser. Nous les préparons à affronter un monde complexe, incertain, tout en leur offrant un cadre protecteur et des repères solides ».
Les chiffres de la souffrance. Stress permanent, troubles du sommeil, isolement, violences, éco-anxiété, les étudiants cumulent des fragilités qui mettent en péril leur réussite académique et leur avenir professionnel. Six étudiants sur 10 (57 %) considèrent ainsi que leurs problèmes de santé mentale sont un frein pour suivre le rythme de leurs études. Alors que plus d’un tiers (34 %) d’entre eux a le sentiment que personne ne cherche à les aider, près de six étudiants sur dix affirment qu’en cas de souffrance psychologique ils se tourneraient vers un psychiatre/psychologue (60 %) ou un outil d’IA (58 %). L’étude révèle ainsi une accumulation de symptômes préoccupants chez les étudiants interrogés :
● 56 % se sont sentis constamment plus tendus ou stressés ;
● 52 % ont plus mal dormi à cause de leurs soucis ;
● 47 % ont plus le sentiment de ne pas pouvoir surmonter leurs difficultés ;
● 46 % se disent plus malheureux ou déprimés ;
● 42 % déclarent avoir perdu plus confiance en eux ;
● 33 % vont jusqu’à se considérer plus que d’ordinaire comme « quelqu’un qui ne vaut rien ».
Selon l’OVE, 48% des étudiants se déclarent souvent ou en permanence très nerveux et 30% souvent ou en permanence tristes et abattus. Les femmes (38%) et les étudiants les plus âgés (37% des plus de 25 ans) se déclarent particulièrement touchées mais moins que les étrangers (39%), les étudiants issus d’un ménage d’un employé ou d’un ouvrier·(47%) ou d’un ménage d’inactifs (54%).

Qui sont les étudiants en détresse psychologique selon l’OVE
Première année : une vulnérabilité accrue. L’entrée dans l’enseignement supérieur apparaît comme un moment particulièrement délicat. Voire dangereux comme lors de ce bizutage en faculté de santé à Toulouse : fin septembre dernier des étudiants ont été retrouves attachés aux arbres et dénudés par les plus anciens comme le montre ce reportage de TF1 !
Selon le baromètre, les étudiants de première année sont ainsi les plus exposés aux violences : 33% déclarent avoir subi des violences psychologiques et 28 % du harcèlement scolaire, contre respectivement 28 % et 23 % en moyenne. Leur sentiment d’isolement est également renforcé : 57 % se sentent seuls et 42 % estiment que personne ne cherche à les aider.
Alors que plus de deux étudiants sur cinq (43 %) ont subi au moins un type de violence au cours de leurs études l’Observatoire des VSS dans l’ESR estime quant à lui qu’un étudiant sur dix est victime de VSS et 1 sur 20 de viol. Et comme le rappelait sa présidente, Gaëlle Berton, sur le Salon de l’expérience étudiante « un tiers des victimes de VSS l’ont été durant un événement d’intégration et un sixième durant la première semaine de l’année scolaire ».
Ce que font les institutions. Depuis plusieurs années, le bien-être psychologique des étudiants fait l’objet d’une attention toute particulière du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR). De nombreux dispositifs sont mis à leur disposition afin que nos jeunes puissent trouver rapidement une écoute, une aide concrète. Une étude dite Mentalo a également été lancée sur la santé mentale des 11-24 ans et on attend ses résultats en 2026. Le MESR résume ici son action.
Créée en 2007 par la Cdefi, la CGE et le BNEI, la démarche Cpas1otion vise à accompagner les établissements membres de ces 3 organisations dans la mise en œuvre d’actions concrètes de préventions contre les conduites addictives, les comportements à risques et les harcèlements et violences sexistes et sexuelles. Un séminaire de prévention et de sensibilisation rassemble les directeurs d’écoles et les présidents de BDE. Il a pour but d’accroître la prise de conscience et l’engagement du binôme pour l’adoption d’une démarche prévention commune.

Les étudiantes, premières victimes du mal-être. Le baromètre confirme une autre réalité déjà documentée mais trop souvent ignorée : la santé mentale des étudiantes est bien plus fragilisée que celle de leurs homologues masculins. Seules 37 % d’entre elles estiment être en bonne santé mentale, contre 53 % des hommes.
Cette vulnérabilité accrue se double d’une exposition massive aux violences : 30 % des étudiantes déclarent avoir subi plusieurs formes de violences (psychologiques, harcèlement, violences sexuelles), un cumul qui alourdit durablement leur charge mentale. Comme le soulignent les auteurs de l’étude les étudiantes « cumulent donc une double peine — fragilité psychologique et violences subies — qui appelle une réponse ciblée des établissements et des pouvoirs publics. Ignorer cette dimension genrée, c’est condamner une partie de la jeunesse à affronter seule un fardeau disproportionné ».
Des causes multiples et entremêlées. La détérioration de la santé mentale étudiante est le produit d’une accumulation de pressions. Les études elles-mêmes sont en première ligne : 68 % des étudiants redoutent leur avenir professionnel, 64 % les examens, 60 % leurs résultats. À cela s’ajoutent des contraintes financières lourdes (60 % citent leur situation économique comme un facteur d’anxiété), un climat sociétal anxiogène où l’éco-anxiété touche 36 % d’entre eux, et leur consommation d’écrans, mentionnée par 38 % des étudiants.
Le baromètre révèle une autre réalité inquiétante : 43 % des étudiants ont subi au moins une forme de violence au cours de leur scolarité dans le supérieur. Qu’il s’agisse de violences psychologiques, de harcèlement scolaire, de bizutage ou même de violences sexuelles, ces comportements minent directement l’équilibre psychologique des jeunes.
Des disparités fortes selon les filières. La santé mentale des étudiants n’est pas homogène : certaines filières apparaissent particulièrement vulnérables. Les étudiants en Lettres, arts et sciences humaines sont les plus fragilisés : seuls 34 % se disent en bonne santé mentale, et 67 % présentent une suspicion de détresse psychologique.
À l’inverse, les filières perçues comme plus professionnalisantes affichent des résultats sensiblement meilleurs : 54 % des élèves d’écoles d’ingénieurs estiment être en bonne santé mentale, et jusqu’à 65 % en hôtellerie-tourisme-loisirs. Selon l’étude ces écarts « traduisent l’impact de la charge de travail, des perspectives d’emploi ou encore du rapport aux débouchés. Ils soulignent l’urgence de mettre en place des dispositifs de prévention différenciés, adaptés aux spécificités pédagogiques et aux réalités socio-professionnelles de chaque cursus ».
Un isolement préoccupant. Au-delà des symptômes et des causes, le baromètre met en lumière un sentiment d’isolement massif. Plus d’un tiers des étudiants (34 %) considèrent que personne ne cherche à les aider, et 55 % n’auraient pas recours aux dispositifs proposés par leur établissement en cas de problème psychologique. Le paradoxe est frappant : alors même que 64 % des étudiants savent que leurs établissements proposent des mesures de soutien, la moitié des étudiants ne saurait pas vers qui se tourner (54 %).
Selon l’enquête de l’Observatoire de la vie étudiante, 34% des étudiants déclarent avoir consulté un professionnel de santé pour des problèmes émotifs, nerveux, psychologiques ou des problèmes de comportement au cours des 12 derniers mois : 21% un psychologue, 19% un médecin généraliste, 9% un psychiatre, 3% un psychothérapeute ou un psychanalyste et 10% un autre professionnel de santé. Les étudiantes ont plus souvent consulté un professionnel pour des problèmes émotifs, nerveux, psychologiques ou des problèmes de comportement que leurs homologues masculins (41% des étudiantes et 26% des étudiants).
Recommandations et leviers d’action. Au-delà du constat, le baromètre propose des pistes concrètes. Pour les établissements, il s’agit de « faire de la santé mentale une priorité stratégique, de former leurs personnels, de rendre visibles et accessibles les dispositifs, d’alléger la charge académique et d’instaurer une tolérance zéro face aux violences ». Il y a d’ores et déjà des obligations légales de mise en place de référents dédié dans les établissements mais « ce n’est malheureusement une obligation que pour les établissements publics. Il y a donc une grande disparité entre le privé et le public. Il y a également un manque cruel de moyens et de financement », déplore Gaëlle Berton.
Les étudiants peuvent également jouer un rôle important : 636 étudiants relais-santé « bien-être » ont ainsi été déployés dans 59 établissements et plus de 6 500 secouristes en santé mentale formés dans le milieu étudiant. « La première action de prévention, c’est de multiplier la pair-aidance. La parole entre jeunes est particulièrement puissante : les jeunes ont souvent eux-mêmes vécu des choses difficiles et ils savent trouver les mots. Leur intervention complète l’action des professionnels, facilite la libération de la parole sur la santé mentale, et rend l’orientation vers des professionnels plus naturelle », commente Marie Trellu-Kane, présidente et co-fondatrice d’Unis-Cité. association pionnière du Service Civique qui a lancé dès 2019 avec la Fondation ARHM un programme de prévention santé mentale en pair-à-pair. Chaque année près de 200 volontaires âgés de 16 à 25 ans sont formés par des experts en prévention et accompagnés par des experts en santé mentale.
Une responsabilité que prennent directement en charge les établissements comme l’expliquait le docteur Frédérique Monchablon sur le Salon de l’expérience étudiante : « Arts et Métiers a formé des étudiants avant de les immerger dans la communauté étudiante pour repérer les signaux faibles chez d’autres étudiants. Leur mission et de les inciter à aller vers une personne professionnelle de santé ou autre qui pourra les aider et les accompagner ». L’université de Côte d’Azur s’appuie quant à elle sur des « secouristes en santé mentale » qui sont des étudiants chargés de repérer les étudiants en difficulté afin de les réorienter vers des professionnels de la santé. Issus de filières liés à la santé – infirmier, kiné, psychologues – ils sont rémunérés et formés, notamment à faire prendre conscience aux étudiants de leurs addictions. « Nous insistons sur l’addiction en général. Il ne faut pas s’arrêter à un produit mais aux mécanismes de l’addiction. Il faut leur apprendre à gérer leur stress, à comment dire non, au-delà des discussions strictement médicales », insiste Coraline Carbonell la responsable du Centre de Santé de l’université.
Construire un « tremplin vers l’autonomie ». La santé mentale des étudiants est également particulièrement scrutée par les responsables des résidences étudiantes. « Outre fournir un logement fonctionnel, abordable et de qualité,notre objectif constant est de créer du lien social : Welcome day au début de l’année, nouvelle année en janvier, fête des résidents en juin, nous voulons avant lutter contre l’isolement », explique Anne Gobin, la directrice générale de l’Arpej (Association des Résidences Pour Étudiants et Jeunes) qui insiste : « Notre mission c’est de les accompagner afin d’être demain des locataires autonomes ailleurs. Ce sont des citoyens de demain en apprentissage de la vie collective ».
Pour Delphine Manceau il s’agit justement de construire un « tremplin vers l’autonomie pour que chaque étudiant puisse se construire, se sentir accompagné, et aborder avec confiance les défis du monde d’aujourd’hui et de demain. Concrètement, cela passe par des dispositifs robustes : des cellules d’écoute psychologique avec des professionnels dédiés mais aussi une vie étudiante épanouissante qui favorise le vivre ensemble et de nombreuses activités associatives, sportives, caritatives, culturelles, sociétales… La vie étudiante, qui est un des marqueurs des grandes écoles, est plus importante que jamais ! »
- Méthodologie : Le Baromètre repose sur une enquête menée par l’institut Ipsos pour Teale et l’IÉSEG School of Management, auprès de 2 000 étudiants constituant un échantillon national représentatif de la population étudiante vivant en France âgée de 18 ans et plus selon la méthode des quotas, laquelle a été appliquée au genre, à l’âge, à la région et au type de cursus suivi. Elle s’appuie sur des données collectées via un questionnaire auto-administré et anonyme, administré en ligne du 20 juin au 17 juillet 2025. Outre des questions déclaratives, ce questionnaire intègre un indicateur clinique de santé mentale reconnu : le GHQ-12 (General Health Questionnaire). Ce questionnaire auto-administré comporte 12 questions visant à évaluer l’état mental d’une personne au cours des semaines passées. Le GHQ-12 mesure quantitativement le niveau de souffrance psychologique, de souffrance psychique ou de « mal-être » des individus. Il est utilisé pour détecter les signes de détresse psychologique et les troubles psychiques mineurs dans la population. Il couvre quatre domaines : la dépression, l’anxiété, le retentissement social et les plaintes somatiques. Les étudiantes et étudiants interrogés proviennent ainsi de zones géographiques variées, possèdent un niveau académique allant de Bac +1 à Bac +6 ou plus, et sont inscrits dans différents types d’établissements (écoles privées, universités, CPGE, etc.) et filières (sciences et technologies, commerce et management, sciences sociales, etc.).