Bâtir de nouveaux campus c’est bien, penser à les adapter aux nouvelles pédagogies c’est essentiel. C’est dans cet esprit que la directrice générale de Neoma BS, Delphine Manceau, fidèle à son métier d’enseignant-chercheur, avance aujourd’hui.
Olivier Rollot : Nouveau campus à Paris, futur nouveau campus à Reims, rénovation à Rouen, Neoma repense aujourd’hui la totalité de ses campus. Sur quel rythme avancez-vous ?
Delphine Manceau : Nous avons inauguré en septembre dernier notre nouveau campus parisien et nous travaillons maintenant sur le projet de Reims pour 2025. Cinquante équipes d’architectes, dont les plus grands cabinets mondiaux, ont déposé leur candidature, nous en avons choisi trois qui ont soumis un projet très détaillé. Nous allons les départager d’ici avril. Le nouveau campus sera construit le long du canal de la Marne à l’Aisne, dans le quartier de Port Colbert qui est engagé dans un grand projet de transformation de l’espace urbain. Nous serons en face de l’Ecole supérieure d’art et de design (Esad) de Reims et entourés de nombreux logements et espaces de vie. En tout, nos bâtiments y occuperont 33 000 m2 contre 26 000 aujourd’hui sur nos deux campus rémois. A Rouen, nous préférons nous concentrer sur une rénovation en profondeur de notre magnifique campus actuel.
O. R : Avec quelles ambitions nouvelles construit-on aujourd’hui des campus ?
D. M : Nous concevons des lieux qui correspondent aux nouvelles pédagogies avec des espaces importants pour la vie étudiante, d’autres de co-working, beaucoup d’hybridations entre les disciplines, etc. Aujourd’hui les salles de cours sont modulables, les chaises ne sont plus fixées au sol. C’est passionnant car nous devons imaginer comment on enseignera dans vingt ans. Le temps d’un bâtiment est un temps long et il faut s’interroger sur tous les espaces. Le tout en respectant les critères environnementaux les plus exigeants.
O. R : Beaucoup de nouveaux campus ont vu le jour ces dernières années mais pas forcément dans des bâtiments dédiés à l’enseignement supérieur. A Reims vous partez vraiment d’une page blanche !
D. M : C’est une grande chance de construire ce nouveau bâtiment après avoir testé de nombreuses idées sur notre campus parisien. Chaque jour nous pouvons observer quels espaces sont pleinement appropriés par les étudiants et, à l’inverse, quels endroits sont peu utilisés. Nous pouvons ainsi comparer les usages que nous avions imaginés et ce qui se déroule vraiment. Ce sera une grande source d’enseignements pour concevoir le nouveau campus de Reims. En outre, c’est une opportunité unique de pouvoir imbriquer, au même moment, la transformation pédagogique, digitale et architecturale que connaît actuellement le secteur de l’éducation.
O. R : N’est-ce pas un peu paradoxal d’investir autant dans la pierre après des années passée largement en distanciel ?
D. M : Quand on me demande si nous avons toujours autant besoin de m2, je réponds que oui mais des m2 différents. Nos étudiants veulent se retrouver ensemble et pas seulement pour des cours. La pandémie a montré combien le présentiel et la vie collective sont importants et irremplaçables.
O. R : Comment les diplômés de Neomase placent-ils sur le marché du travail cette année post Covid ?
D. M : Le marché du travail est très bon et nos diplômés en bénéficient. Leur seul souci est de réussir leur intégration dans des entreprises qui travaillent encore largement en télétravail. Ce n’est pas facile de démarrer une carrière à distance. Beaucoup de relations sont informelles et on n’interagit pas uniquement avec son manager direct. Le café du matin, la bienveillance des collègues pour les nouveaux arrivants sont des éléments très importants. Un vrai enjeu d’intégration qui se traduit ensuite par la fidélité à l’entreprise. Nos jeunes diplômés piaffent de venir travailler en présentiel.
O. R : Où en sont les échanges internationaux d’étudiants, dont on sait combien ils ont été impactés négativement par la pandémie ?
D. M : Ils repartent très bien. Cette année, avec un effet de rattrapage, un nombre record de nos étudiants, pas moins de 2 500, vit ou va vivre une expérience internationale. Beaucoup moins dans une large partie de l’Asie mais beaucoup plus en Europe, aux Etats-Unis mais aussi en Corée du Sud. Pour cela nous signons de nouveaux partenariats : 50 en un an pour atteindre les 366 partenaires que nous avons en tout aujourd’hui.
Nous privilégions en effet l’immersion de nos étudiants en petits groupes où ils suivent la pédagogie du pays. Pas plus de cinq étudiants dans chaque université partenaire pour bien s’imprégner de la façon dont on enseigne dans chaque pays, se mélanger avec les étudiants locaux, s’intégrer véritablement à la culture locale. De plus c’est important de pouvoir indiquer le nom de l’université locale sur son CV. Un semestre passé au sein de la KAIST en Corée, de la Bocconi à Milan ou d’un IIM en Inde, c’est très utile si on cherche ensuite un stage ou un emploi dans le pays.
O. R : Les déplacements internationaux n’en constituent pas moins une très importante source de carbone. Faut-il les limiter ? Se focaliser sur l’Europe ?
D. M : Nous constatons une très forte appétence de nos étudiants pour reprendre les déplacements internationaux. Pour les longs séjours, d’un semestre ou davantage, cela fait complètement sens. Mais la question se pose de manière aigue pour des study trips d’une semaine.
O. R : L’hybridation des savoirs, des écoles, est au cœur des développements de l’enseignement supérieur. Pour Neomaqu’est-ce que cela représente?
D. M : Notre programme mixte en tech et management, TEMA, fonctionne très bien. Il intègre un semestre en accord d’échange non pas à l’international mais dans une école ou université d’une autre discipline comme une école d’ingénieur ou de coding. Plus globalement, les échanges vers d’autres disciplines sont une vraie richesse pour les étudiants mais ils répondent aussi à une vraie attente des entreprises. Aujourd’hui il faut maîtriser les datas et les techs pour faire du marketing par exemple. Le seul souci c’est que les systèmes de reconnaissance des diplômes ont encore du mal à suivre ce mouvement d’hybridation et restent fortement structurés par discipline.
Mais, s’il y a aujourd’hui beaucoup d’hybridations entre le management et les ingénieurs, ce n’est pas la seule. Nous avons ainsi signé un partenariat de double diplôme en géopolitique avec l’IRIS. Et c’est pertinent de travailler avec les Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) pour développer les biotechnologies et travailler sur la transition climatique. Nous dispensons ainsi un Mastère spécialisé conjoint avec AgroParisTech, intitulé Masternova, qui permet d’acquérir une double compétence en sciences du vivant et en disciplines managériales.
O. R : Où en êtes-vous de l’ouverture sociale de Neoma? Que pensez-vous de l’idée de donner des « bonifications » aux boursiers lors des concours ?
D. M : Aujourd’hui 39% des étudiants du programme Grande école de Neoma, en incluant les étudiants en apprentissage, sont aidés financièrement à un titre ou un autre. Le nombre d’étudiants aidés a progressé de 30% depuis 2018, avec le triplement de notre budget bourses.
Aucun étudiant ne renonce à intégrer Neoma pour des raisons financières. Nous les accompagnons même dans leurs demandes de prêts auprès des banques, et notamment pour qu’ils puissent en obtenir même quand ils n’ont pas de caution parentale. C’est important car, dans les milieux défavorisés, il y a parfois une vraie appréhension vis-à-vis de l’emprunt même si on explique qu’à la clé du diplôme, il y a un bon emploi qui permettra de rembourser le prêt.
Quant aux bonifications que vous évoquez, nous n’en avons pas besoin puisque nos concours nous permettent de recruter de nombreux boursiers dans des proportions comparables à l’université.
O. R : C’est un élément déterminant pour la réputation des business schools. Comment définiriez-vous la politique de recherche de Neoma ?
D. M : En cinq ans, nous avons doublé notre capacité de recherche et multiplié le nombre d’étoiles par 2,5. Il y a un an, nous avons décidé de nous investir tout particulièrement dans quatre aires d’excellence multidisciplinaires : The World We Want, sur les sujets de transition climatique et sociétale et d’inclusivité ; Future of Work, sur les nouvelles pratiques du travail et les nouveaux métiers ; AI, Data Science and Management, sur la manière dont les données et la tech transforment les entreprises et le management, avec également les questions éthiques que cela pose ; et The Complexity Advantage sur la question de la complexité des entreprises, par exemple en matière de supply chain. Les professeurs qui s’y investissent vont bénéficier de budgets spéciaux et de l’apport de doctorants. Mais pour autant, de nombreux autres domaines restent également importants pour nous.