Il préside depuis 2022 aux destinées d’un groupe qui pesait 140 millions d’euros de budget en 2023. Un groupe qui change de nom cette année pour devenir IGENSIA Education. Entretien avec un directeur qui trace sa voie dans l’enseignement supérieur : Stéphane de Miollis.
Olivier Rollot : C’est historique : quasiment 50 ans après sa création en 1975 le groupe IGS a changé de nom cette année pour devenir IGENSIA Education. Pourquoi ce changement de nom ?
Stéphane de Miollis : Nous sommes à l’ouverture d’un nouveau cycle pour le groupe qui s’adosse sur ses 50 ans avec la volonté d’accélérer son développement. Alors que l’acronyme de l’IGS c’était perdu nous avons souhaité conserver ses trois lettres, dans le même ordre, dans la nouvelle marque. IGENSIA a ainsi une consonance qui marque notre attachement au passé tout en nous projetant dans l’avenir.
Aujourd’hui le Groupe IGENSIA Education est un groupe multiculturel, international avec des étudiants de 113 nationalités, intergénérationnel avec des formations qui touchent des apprenants de 18 à 60 ans et grâce à la mission Hand’IGS qui œuvre pour l’inclusion des personnes handicapés et qui accompagne chaque année 400 personnes. Un groupe d’écoles ouvertes qui s’adressent à tous et auxquelles nous avons adjoint dans notre marque la mention « Education » pour bien établir notre mission. Enfin nous avons choisi une couleur jeune et moderne, le magenta très tendance ces deux dernières années. En résumé, nous donnons de la jeunesse à un quinqua !
O. R : Parlez-nous de ce nouveau cycle pour le groupe IGENSIA.
S. de M. : Nous avons commencé par rationaliser nos 5 CFA en créant une seule marque unique IGENSIA Alternance. Un lancement qui s’accompagnera en 2025 de l’ouverture en Ile-de-France du plus grand site dédié à la formation en alternance en France. Sur 11 000 m2 le Campus des Groues sera un véritable hub de l’apprentissage au carrefour de 3 QPV. Il recevra jusqu’à 3 000 étudiants à Nanterre au plus près du bassin d’entreprises de La Défense. Un hub qui sera à la fois proche des entreprises et des étudiants avec les lignes Eole et une ligne E qui amène les étudiants en quarante minutes de Mantes-la-Jolie en 2026.
C’est notre mission d’aller chercher ces étudiants que j’appellerais « invisibles » car, sans des formations comme celles que nous proposons, ils n’auraient pas accès à l’enseignement supérieur. Les CFA ont en effet une forte capacité inclusive pour accompagner ces étudiants dans leur démarche et les accompagner ensuite vers l’entreprise pour une mise à l’emploi.
O. R : Vous allez regrouper toutes vos formations dans ce nouveau campus ?
S. de M. : Ce nouveau hub recevra les étudiants formés par l’ensemble des CFA (centre de formation d’apprentis) du groupe. Ceux formés par les écoles restent sur notre campus du 10ème arrondissement de Paris. Demain nous regrouperons également nos 11 implantations parisiennes sur un campus commun. Déjà nous travaillons partout sur la qualité de l’expérience attendue qui est de plus en plus forte. Nous devons « enchanter » les lieux de formation avec par exemple une nouvelle cafétéria à Paris qui pousse nos étudiants à rester plus longtemps sur le site, voire tard le soir pour y préparer les cours.
La dimension « émotionnelle » des lieux de formation ne doit pas être négligée même si le digital a également sa place. Nous croyons beaucoup au campus comme lieu de vie en plus de lieu pour apprendre.
O. R : L’alternance reste plus que jamais au cœur de votre projet ?
S. de M. : Avec ce nouveau campus nous voulons effectivement nous positionner encore plus fortement sur l’alternance. Pour autant il faut bien avoir à l’esprit que les 850 000 alternants que nous avons aujourd’hui en France sont les plus faciles à aller chercher. Il faut aller maintenant également vers des jeunes qui n’auraient jamais imaginé avoir leur place dans l’enseignement supérieur et pour lesquels l’alternance est un bel escalier social. Escalier plutôt qu’ascenseur car il faut beaucoup d’énergie pour se lever chaque matin à 4 heures pour se former quand on habite loin et qu’on a peu de moyens. Savez-vous que notre CFA Codis, spécialisé dans la distribution et le commerce, distribue des produits de soin à certains de ses alternants qui sont dans le besoin ?
L’apprentissage est aujourd’hui devenu un vrai tremplin vers l’emploi qui correspond parfaitement à la première dimension du groupe IGENSIA Education qu’est l’inclusion.
O. R : Vous investissez donc fortement pour assurer ces développements.
S. e M. : Nous menons une politique d’investissement de 100 millions d’euros sur 5 ans dans le cadre d’un modèle qui reste 100% associatif. Nous avons déjà investi dans la mise en place de nouvelles infrastructures, de nouvelles plateformes technologiques et maintenant que les fondations sont plus solides, sur l’ERP pédagogique avec une dimension plus ergonomique. Mais aussi dans la recherche un investissement de 3 millions consacrée à identifier les compétences nécessaires dans les 3 ans à 5 ans. Il s’agit par exemple de mesurer l’impact de l’Intelligence artificielle (IA) appliquée au commerce pour préparer nos étudiants à être opérationnels. Une dimension à la fois professionnalisante et académique pour nous placer dans une trajectoire projective et ainsi préparer aux compétences de demain.
O. R : Dans cette nouvelle ère pour le groupe IGS son fondateur, Roger Serre, a tiré sa révérence. C’était ce que vous aviez envisagé à votre arrivée à la tête du groupe?
S. de M. : Roger Serre a démissionné de la présidence du groupe à l’été 2022 après avoir beaucoup contribué à la construction du groupe. Avec mon arrivée il a préféré passer la main et se concentre aujourd’hui sur la gestion du groupe Compétences et Développement.
O. R : Dans vos développements actuels il y en a un qui peut surprendre : votre alliance avec l’Institut Supérieur Maria Montessori. On est loin de l’enseignement supérieur ?
S. de M. : Non car la pédagogie développée par Maria Montessori peut s’appliquer à tous les âges. Aux plus jeunes comme aux 18-24 ans et pourquoi pas au grand âge dans une logique d’autonomie. Des formations de 0 à 99 ans pourquoi pas ? Pour lutter contre la maladie d’Alzheimer, la méthode Montessori peut être efficace. Nous entrons dans une ère fantastique avec un apport des neurosciences qui confirme les hypothèses du Dr Montessori. Et nous devons également réfléchir à créer des formations pour accompagner les acteurs du « care » dans le service à la personne et accompagner les aînés.
Pour revenir aux effets immédiats de notre alliance nous avons repris deux écoles d’application pour les 3-6 ans et les 6-12 ans. Des écoles qui forment l’ensemble des éducateurs Montessori tout en recevant également 170 enfants. A l’avenir nous pourrions même envisager de recevoir les enfants en bas âge, qu’ont certains de nos étudiants, sur nos campus dans des crèches avec la méthode Montessori.
O. R : Le sujet est sur toutes les lèvres aujourd’hui : qu’attendez-vous de la création éventuelle d’un nouveau label pour l’enseignement supérieur privé ?
S. de M. : L’enseignement n’est pas un produit comme les autres et ne doit pas le devenir. A partir du moment où des fonds publics participent à son financement il doit y avoir une exigence et une excellence. Le régulateur doit permettre aux familles de se retrouver dans l’offre pléthorique de formation alors qu’il faut aujourd’hui être un spécialiste pour comprendre le fonctionnement d’un système qui génère de la complexité avec sa multitude d’acteurs. Il nous faut donc aujourd’hui une régulation qui tende vers l’excellence. Il faut faire comprendre à ceux que j’appelle les « opportunistes lucratifs » que le système éducatif n’est pas un secteur comme les autres. Aujourd’hui notre association des Entreprises éducatives pour l’emploi (3E) entend justement prendre le lead pour produire sa propre régulation.
O. R : Le label doit-il accordé à des formations, comme c’est le cas aujourd’hui pour les formations publiques, ou à des établissements dans leur ensemble ?
S. de M. : Si la vocation du nouveau label est de rendre le système plus lisible le mieux est que ce soit par établissement. Si on choisissait un système par formation il faudrait au moins cinq ans pour toutes les évaluer et cela créerait des dissonances entre les formations déjà évaluées et les autres. Il faut rendre le système plus lisible en le tirant vers le haut.
O. R : L’autre débat du moment porte sur le financement de l’apprentissage et les mesures de rabot régulières que le gouvernement apporte. Quel est votre sentiment sur l’avenir d’un système aujourd’hui très largement déficitaire ?
S. de M. : Nous comprenons les contraintes budgétaires de l’Etat et sommes prêts à y contribuer. Pour autant je ne peux pas croire que la mise en emploi d’une plus grande part des jeunes aujourd’hui n’ait aucun lien avec le développement de l’apprentissage. Le développement de l’apprentissage doit être pris dans une logique d’investissement et peut-être faudrait-il favoriser les populations qui en ont vraiment le plus besoin. S’il y a des efforts à faire, ils ne doivent pas l’être au détriment des moins favorisés.
Une politique publique qui a donné de tels résultats doit absolument être préservée et les financements pérennisés. Aujourd’hui la loi de finance 2024 n’est toujours pas bouclée alors que nous avons besoin de temps long. Nous contribuons à une mission de service public pour laquelle nous demandons plus de stabilité. Améliorer la qualité des formations a un cout et une réduction des financements risquerait de mettre cette qualité en cause.
Aujourd’hui 90% de nos diplômés de nos titres renouvelés récemment trouvent un emploi dans les six mois. Nous y parvenons parce que nous leur donnons la main à l’entrée en formation avec un encadrement spécifique et les coûts afférents. Il faut bien prendre garde à ne pas dégrader la capacité à trouver un emploi des jeunes.
O. R : Faut-il réserver les financements aux niveaux de formation les moins élevés comme on l’entend parfois ?
S. de M. : Cesser de financer les niveaux 6 et 7 reviendrait à créer des inégalités sociales dans l’accès à la formation pour les personnes les plus contraintes.