Regroupant l’actuelle université fusionnée, sa Comue (communauté d’universités et d’établissements), Grenoble INP, Sciences Po Grenoble, l’Ecole d’architecture, son Polytech ou encore son IAE la nouvelle « Université Grenoble-Alpes » va voir le jour début 2020. La présidente de la Comue, Lise Dumasy, et le président de l’université, Patrick Lévy, reviennent sur le processus de création et les ambitions de cette nouvelle université.
Olivier Rollot : Où en est le projet de nouvelle « Université Grenoble-Alpes » que vous portez et qui doit voir le jour début 2020 ?
Patrick Lévy : Nous sommes dans le sprint final. Les conseils des différents établissements sont en train de voter les statuts. Ceux-ci sont la résultante du texte fondateur à la base de la construction de notre nouvel ensemble et de quatre mois de travail réalisés l’année dernière et diffusés depuis janvier 2019. Je crois qu’on peut dire que tout a été mené en concertation et que tout le monde s’en félicite.
En juillet nous devrions pouvoir présenter le projet voté par tous les établissements. Il restera ensuite au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) à l’examiner et au gouvernement à l’entériner par un décret et la nouvelle « Université Grenoble Alpes » verra le jour le 1er janvier 2020.
Lise Dumasy : En janvier le président sera élu par le conseil d’administration comme dans une université classique. Auparavant tous les conseils devraient avoir voté d’ici au 11 juillet prochain sur le projet de statuts. Quand le décret de création de la nouvelle université aura été publié nous aurons une gouvernance provisoire pour gérer la future nouvelle université tout en conservant pour un temps l’université actuelle comme la Comue. En lien avec la présidente de la Comue, le président de l’Université Grenoble Alpes présidera alors l’université transitoire.
O. R : Mais qu’est-ce qui va changer par rapport à l’actuelle Comue ?
Lise Dumasy : Même si elle rassemble à peu près les mêmes forces que l’actuelle Comue, la nouvelle université est très différente. Et d’abord parce qu’une Comue se situe à côté des établissements ce qui constitue une très forte difficulté pour aller plus loin. Chaque établissement a ses propres conseils avec seulement des services délégués à la Comue. Cela fonctionne plutôt bien à Grenoble mais on ajoute en fait une légitimité extérieure à une légitimité déléguée. Dans la nouvelle université il y aura vraiment une université avec son directoire et des composantes qui vont construire la politique globale de l’université. Nous n’aurons qu’un seul établissement, qui n’est pas la reproduction de l’université actuelle, et qui donnera aux composantes des objectifs et des axes de travail.
Patrick Lévy : C’est un mode de fonctionnement très différent. Par exemple nous avons créé des « unités de service » qui regroupent des services de l’université comme de ses établissements-composantes. Par exemple le Centre de santé universitaire qui doit se positionner dans une offre générale. Bien sûr les établissements, notamment les établissements-composantes, reçoivent leur budget directement du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en direct mais il faut un pilotage de l’ensemble. Que ce soit pour les ressources humaines, le contrôle de la masse salariale ou encore la cohérence budgétaire, nous avons travaillé à définir ce qu’est une université et comment les missions sont réparties entre elle et ses composantes.
Dans ce cadre nous avons inventé la notion de « tutelle-associée » pour déléguer la gestion partielle ou totale d’un certain nombre de laboratoires aux établissements-composantes. Nous ne voulons par exemple surtout pas limiter la démarche de valorisation de Grenoble INP, l’institut d’ingénierie de la nouvelle Université Grenoble Alpes, en matière de recherche. Celle-ci travaillera donc avec une gestion déléguée au nouvel Institut d’ingénierie et de management, si c’est l’appellation définitive qui est finalement retenue.
O. R : Début 2020 il n’y aura donc plus d’université ni de Comue (communauté d’universités et d’établissements) mais un ensemble fusionné regroupant universités et Grandes écoles ?
Patrick Lévy : Il existe en fait deux catégories de composantes. Grenoble INP, Sciences Po Grenoble et l’Ecole d’architecture conservent leur personnalité morale. Dans le cadre de la nouvelle université, l’école d’ingénieurs Polytech intégrera Grenoble INP Institut d’ingénierie. En y rattachant ensuite l’institut d’administration des entreprises (IAE) il pourrait ensuite devenir Grenoble INP Institut d’ingénierie et de management. Mais encore une fois, cette appellation reste à confirmer.
Trois autres entités sans personnalité morale sont constituées en regroupant les UFR en santé, sport, humanités et société, les UFR de sciences et les instituts universitaires de technologie (IUT). Ces derniers au sein d’une Ecole universitaire de technologie. Ne se situent pour l’instant en dehors de ces trois nouvelles entités que les facultés de droit et d’économie ainsi que l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine.
O. R : Comment les personnels de l’actuelle université réagissent-ils à cette nouvelle mutation qui intervient après les fusions des universités de Grenoble en 2016 ?
Lise Dumasy : Ils savaient que la fusion des universités était une première étape. Aujourd’hui il n’y a pas deux universités de sciences humaines et sociales qui se marchent les unes sur les autres, pas de sites lointains à réunir. Nous travaillons depuis longtemps dans une perspective claire ponctuée de nombreuses assemblée générales. En fait nous ne faisons qu’introduire les services de l’actuelle Comue dans la nouvelle entité et 95% des personnels ne vont voir aucun changement.
O. R : Et pour les étudiants cela change quelque chose ?
Lise Dumasy : Pas dans leur quotidien mais cela va permettre de rapprocher les structures et donc les possibilités de travailler ensemble dans de nouvelles formations transversales. Sans parler des événements qui vont voir le jour. Quand nous avons créé l’université fusionnée nous avons créé un événement de rentrée qui a tout de suite connu un vif de succès très au-delà de nos attentes. De plus nous créons un « Parlement étudiant » qui réunira deux fois par an tous les élus étudiants.
O. R : Comment définiriez-vous vos objectifs principaux avec la mise en œuvre de cette nouvelle Université Grenoble-Alpes ?
Patrick Lévy : Nous portons l’ambition d’une université ancrée dans le territoire et à forte visibilité internationale. Aujourd’hui nos multiples entités ne sont pas compréhensibles au-delà de dix kilomètres de Grenoble. Il nous fallait une stratégie unique pour être une université parfaitement reconnue dans le monde à l’horizon 2030 alors que nous sommes implantés sur un petit territoire, évidemment concurrencé en Europe et dans le monde. C’est le projet que nous portons depuis 2012 avec Lise Dumasy et Brigitte Plateau qui était à l’époque administratrice générale de Grenoble INP. En bénéficiant d’ailleurs d’une grande stabilité politique qui nous a permis de construire un projet ambitieux.
Lise Dumasy : Quand on travaille à l’international on constate vite que la dichotomie universités / grandes écoles ne sert à rien. La simplification que nous portons va profiter à toutes les composantes et nous permettre d’être plus lisibles à l’international. Et aussi en France d’ailleurs.
O. R : Comment va être organisée votre gouvernance ?
Patrick Lévy : Elle est dérogatoire avec un président élu par le conseil d’administration et un directoire comprenant des représentants des six composantes académiques que je vous ai citées. L’Idex que nous avons obtenu, et espérons bien pérenniser, sera porté par la nouvelle université avec un co-pilotage avec les organismes nationaux de recherche.
Lise Dumasy : Nous avons conservé des conseils d’universités très classiques avec des demandes de dérogation pour que toutes les disciplines soient représentées. A côté de l’exécutif le directoire propose toutes les grandes orientations de la politique de formation et de recherche qui est ensuite discutée dans les conseils. Ce directoire est donc une instance beaucoup plus décisionnelle que ne n’est aujourd’hui le conseil des membres de la Comue.
O. R : Qu’en est-il par exemple des relations internationales ? Sont-elles pilotées au niveau central ou par chaque composante ?
Patrick Lévy : Elles se répartissent aux trois niveaux : de l’université, des composantes et des UFR ou écoles. Il ne faut jamais oublier que ce sont les enseignants-chercheurs qui font vivre les échanges. Le tout dans une stratégie décidée au niveau de la nouvelle université pour les relations internationales comme pour la communication. Nous travaillons également sur de nouveaux logos pour bien différencier la nouvelle université de l’UGA actuelle.
O. R : Qu’en est-il des établissements qui ne font pas partie de la nouvelle université ? Je pense en particulier à Grenoble EM et l’Université Savoie Mont-Blanc.
Patrick Lévy : GEM sera un établissement associé comme il l’était à la Comue. Quant à l’Université Savoie Mont-Blanc, cela a été son choix de se différencier en 2015 de la stratégie de site élaborée dans le cadre de l’initiative d’excellence, pour affirmer une trajectoire indépendante, ce qui était tout à fait clair depuis lors. Ils vont se réapproprier la gestion du doctorat. Nous organisons avec eux et le ministère, la suite, notamment sous forme de co-accréditation des écoles doctorales lorsque c’est possible et souhaitable.
Par ailleurs, nous discutons de co-tutelle éventuelle pour certains laboratoires partagés par l’USMB avec le CNRS. Les relations s’inscriront par ailleurs globalement dans le cadre d’une convention de rapprochement. Je respecte évidemment leur volonté d’indépendance.
Lise Dumasy : La volonté de l’Université Savoie Mont Blanc de rester à part a plutôt simplifié le processus. Sinon il aurait fallu intégrer deux universités pluridisciplinaires dans une même entité.
O. R : Mais aurez-vous les moyens financiers de vos ambitions ?
Lise Dumasy : Comme toutes les universités françaises nous devons travailler avec une proportion du PIB investie dans l’enseignement supérieur inférieure aux autres grandes nations. Nous sommes aussi coincés par le « glissement vieillissement technicité (GVT) qui alourdit mécaniquement notre masse salariale selon les années. Il nous faudrait pouvoir mettre des fonds de côté les années où il n’évolue pas trop pour pouvoir les avoir à disposition les autres années.
Du côté des financements extérieurs le montant d’un Idex peut paraître faible au regard de notre financement global mais il ne faut pas oublier que 80% de notre budget global est occupé par la masse salariale. L’Idex nous permet de consacrer des moyens là où nous voulons le faire. Les appels à projet donnent également des moyens importants. Le souci est que le preciput, le financement qui permet de les gérer, est trop faible et que finalement on s’appauvrit à mesure qu’on gère plus d’appels à projet car cela pèse sur nos services. Il faudrait que le preciput atteigne 20 à 25% du financement total.
Patrick Lévy : Aujourd’hui les établissements ne sont plus en déficit même s’il n’est pas toujours facile de gérer les évolutions de notre masse salariale. Il serait opportun que nous puissions bénéficier d’une programmation financière pluriannuelle. C’est peut-être ce qui se dessine à travers la future loi de programmation de la recherche. Pour nos autres ressources, nous espérons conserver la jouissance des crédits de l’Idex et nous répondons régulièrement à de nouveaux appels d’offre. Mais il faut surtout que le gouvernement se décide vraiment à mieux doter les grandes universités de recherche.
Il nous faut plus. Plus régulièrement. Notamment parce qu’aujourd’hui les carrières ne sont pas assez attractives pour attirer les meilleurs profils. Cela ne passe pas uniquement par une hausse des rémunérations mais aussi par de meilleures conditions de travail. On n’est aussi pas du tout assez attentifs à la situation des femmes dans l’enseignement supérieur.
O. R : Vous participez régulièrement à des réunions avec vos collègues présidents des autres universités. L’architecture que vous mettez en place est-elle proche de celle qu’on retrouve sur les autres regroupements en voie de création ?
Patrick Lévy : Il y a une architecture commune avec des particularités régionales et ce n’est pas un problème d’avoir autant de systèmes différents. Nous nous sommes pour notre part beaucoup attachés à respecter la démocratie universitaire avec 70% d’élus dans les conseils et jusqu’à 80% de membres issus de l’enseignement supérieur et de la recherche. Outre le CNRS et l’Inria, l’Inserm vient d’ailleurs d’annoncer sa participation aux trois conseils qui vont être l’ossature de notre nouvelle université. Nous avons pris des engagements et nous allons les tenir.