Après les fusions des universités de Strasbourg et Aix-Marseille, l’Université Grenoble Alpes fait partie depuis le 1er janvier 2016 des très grandes universités réunifiées et pluridisciplinaires. Après avoir présidé l’université Stendhal, Lise Dumasy en est la première présidente. Elle nous décrit un éco-système grenoblois sûr de son avenir après sa récente sélection par le jury des Idex (initiatives d’excellence).
Olivier Rollot : Les trois universités de Grenoble (Joseph-Fourier, Pierre-Mendès-France et Stendhal) viennent de fusionner. Qu’attendez-vous de cette fusion ?
Lise Dumasy : A Grenoble il y a depuis très longtemps une logique de travail en commun entre les universités. Une logique qui s’est encore renforcée ces dernières années avec les dossiers d’Idex et d’accréditation. Ce dossier de la fusion, je le porte même depuis 2008, et ma deuxième élection à la tête de l’université Stendhal, quand les deux autres présidents s’y sont mis en 2012. Ensemble nous voulons créer une offre multidisciplinaire de formation et de recherche cohérente avec une université qui garde une taille maîtrisable avec ses 45 000 étudiants. Une grande université européenne comme nos voisines de Munich ou Turin.
O. R : Sur quels aspects allez-vous vous concentrer ?
L. D : On a d’abord beaucoup travaillé sur les fonctions support – l’informatique, la scolarité, le budget, l’organisation administrative en général – pour ouvrir dans les meilleures conditions et savoir ce qui pouvait être fait tout de suite en commun ou pas. Maintenant nous allons nous concentrer sur d’autres dossiers, comme la recherche ou la formation, tout en mettant en œuvre notre Idex ou les contrats d’objectif conclus avec le ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la Recherche.
O. R : Quel bénéfice a cette fusion pour les étudiants ?
L. D : Les étudiants y trouveront une capacité plus grande à construire des cursus bi et transdisciplinaires. Ils profiteront également des innovations pédagogiques apportées par chaque entité et transférables ailleurs.
O. R : Ailleurs, à Bordeaux, Montpellier ou encore Rennes, des fusions ont échoué faute de l’accord des universités plutôt spécialisées en lettres et sciences humaines. Comment êtes vous parvenu à convaincre votre université d’adhérer au projet de fusion ?
L. D : Stendhal était surtout spécialisée en lettres et langues avec un peu de SHS dont l’essentiel était à Pierre Mendès-France. Au départ les personnels de l’université que je présidais alors étaient un peu inquiets. Ensuite les modes de structuration ont évolué, et tout le monde a peu à peu compris que, si on voulait rééquilibrer l’université du côté des sciences humaines, il valait mieux travailler ensemble au niveau local qu’attendre tout du niveau national et qu’une fusion nous permettrait mieux ce travail commun qu’une simple participation à une COMUE.
O. R : Certains disent que les grandes universités de recherche devraient se concentrer sur les niveaux master et doctorat. Qu’en pensez-vous ?
L. D : Nous devons assumer l’ensemble de nos missions. Mais si on veut bien former les étudiants il nous faut des moyens. C’est simple : pour faire réussir les étudiants en difficulté il faut plus de ressources humaines, et pour faire réussir tous les étudiants, il nous faut avoir des filières diversifiées plus ou moins sélectives.
O. R : Selon un arrêt récent du Conseil d’Etat il est impossible de sélectionner à l’entrée en master des étudiants pour peu qu’ils soient titulaires de la licence adaptée. Comment allez-vous gérer cette décision ?
L. D : Il faut sortir rapidement de ce débat pour sécuriser les masters dans lesquels il n’y a pas assez de place – droit, LEA, Staps ou encore psychologie – même si nous n’avons jamais encore eu de recours contre un refus d’inscription. Nous attendons donc du ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la Recherche qu’il publie rapidement les décrets fixant les conditions de la sélection. Mais nous savons aussi que c’est très compliqué avec des syndicats étudiants défavorables au principe même.
O. R : Faudrait-il créer une sorte d’admission-postbac post licence ?
L. D : Globalement il y a de la place dans toutes les disciplines sur tout le territoire. On sait aussi que les étudiants de master sont assez mobiles. Aller étudier à l’autre bout de la France pour avoir une place dans la filière qu’on recherche n’en reste pas moins un vrai investissement que les familles les moins aisées auront du mal à réaliser.
O. R : Après le bac vous ne faites pas partie des universités qui sont contraintes de tirer au sort leurs étudiants dans certaines disciplines où ils sont trop nombreux à s’inscrire ?
L. D : Non mais nous adaptons notre pédagogie comme en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) en travaillant en pédagogie inversée et avec une partie des cours dispensés à distance.
O. R : Encore une démonstration de l’inventivité pédagogique de Grenoble. Il y a déjà longtemps que vos étudiants de médecine travaillent ainsi !
L. D : L’innovation pédagogique est effectivement un marqueur fort de l’université grenobloise avec de nombreuses expériences. 1500 étudiants suivent nos cours de FLE (français langue étrangère) à distance dans le monde entier. Nous sommes aussi capables de faire réussir des bacheliers professionnels en IUT puis en licence professionnelle. Nous avons été récompensés par trois Idefi (initiatives d’excellence en formations innovantes) – nous en dirigeons trois, dont la seule en langues – et cette préoccupation de l’innovation a été un point central dans notre dossier d’Idex.
O. R : La transdisciplinarité est au cœur des nouvelles pédagogies. En quoi cette hybridation des savoirs consiste-t-elle?
L. D : J’en distingue plusieurs. Une interdisciplinarité rapprochée : faire travailler ensemble par exemple des historiens et des professeurs de langue et civilisation étrangère, ce qui ne va pas forcément de soi ; une interdisciplinarité plus large : par exemple droit et physique… Dans ce dernier cas on travaille plutôt sur des réponses à des enjeux sociétaux et qu’il est souhaitable que les disciplines SHS soient associées dès la conception des technologies et pas seulement quand on cherche quels usages on pourrait faire de celles qui ont été conçues. Nous voulons aller dans cette direction, et la fusion, comme l’institution de pôles de recherche pluridisciplinaires, qui existent déjà à Grenoble depuis plusieurs années, nous y aideront
O. R : Cela a été une grande satisfaction pour vous et toute la Communauté d’universités et d’établissements (Comue) Université Grenoble Alpes d’être sélectionné par le jury des Idex mi janvier. Mais qu’est ce que cela vous vous apporter exactement ?
L. D : Cela a été une grande joie après un échec traumatisant lors de notre première tentative. Sur cette deuxième tentative nous avons su mettre en avant toutes les disciplines et bien considérer la recherche dans toutes ses dimensions, en lettres et sciences humaines et sociales, au-delà des sciences et technologies, très en pointe sur le site. Ce succès nous apporte un label mais surtout des moyens. Quand 80% de notre budget (450M€) est constitué de masse salariale chaque euro en plus compte et l’Idex ce pourrait être 15 millions d’euros chaque année pendant dix ans.
O. R : Au-delà de l’Idex que vous apporte votre Comue ?
L. D : C’est l’instrument de coordination entre les universités, les grandes écoles et les organismes de recherche. Un jour il faudra trouver une forme englobante générale et nous allons chercher notre propre solution ; c’est très difficile d’avoir la même solution dans toute la France avec des sites très différents. A Grenoble nous sommes une Comue relativement concentrée quand la Comue Université Bretagne Loire par exemple regroupe deux régions différentes. On ne peut pas travailler de la même façon dans les deux cas.
O. R : Universités et grandes écoles peuvent-elles bien s’entendre dans les Comue ?
L. D : Il faut trouver un fonctionnement dans lequel les grandes écoles n’aient pas la crainte d’être « avalées » par l’université. Il ne faut en aucun cas que la qualité de Grenoble INP soit dégradée. Mais ce n’est pas si compliqué car nous sommes très complémentaires à Grenoble sans quasiment de recouvrement. De plus l’ex université Joseph Fourier et l’INP travaillent depuis longtemps ensemble dans des formations et des laboratoires communs.
O. R : Ce n’est pas un peu plus compliqué entre votre institut d’administration des entreprises (IAE) et Grenoble EM ?
L. D : Dans ce cas il y a clairement du recouvrement et les étudiants candidatent souvent indifféremment aux deux. Nous l’avons affirmé sans détour : notre IAE est la school of management de l’université. Mais cela n’empêche pas à que nous travaillions aujourd’hui au rattachement de Grenoble EM à la Comue. Nous pensons qu’il vaut mieux travailler tous ensemble que laisser faire chacun de son côté.
O. R : Le ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la Recherche demande aux IUT de recruter plus de bacheliers technologiques. Y parvenez-vous aujourd’hui ?
L. D : Cela se passe plutôt bien et leur nombre progresse régulièrement. Nous travaillons avec le rectorat pour préparer en amont les bacheliers technologiques qui souhaiteraient rejoindre nos IUT.
O. R : Autre dossier où vous êtes poussé à vous développer : la formation continue. Où en êtes-vous ?
L. D : Nous souhaitons développer la formation continue, l’apprentissage et l’alternance, mais pour l’apprentissage nous ne sommes pas forcément aidés par des régions qui ont tendance à considérer qu’il faut se concentrer sur le secondaire plutôt que financer l’enseignement supérieur. En formation continue il faut considérer que nos concurrents sont multiples dont des chambres de commerce et d’industrie très bien implantées dans les langues ou l’information-communication par exemple. Il faut aussi trouver le modèle économique alors que nous rétribuons des personnels titulaires quand les autres acteurs ne travaillent qu’avec des vacataires.