La Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (FNEGE) a été créée en 1968 pour développer l’enseignement de la gestion dans le supérieur. Aujourd’hui elle entend également améliorer la connaissance de l’entreprise dans toute la société. Retour avec son délégué général, Pierre-Louis Dubois, sur les missions d’une fondation qui fédère aujourd’hui toutes les énergies dans le domaine de la gestion, des entreprises aux grandes écoles en passant par les IAE et les associations de recherche.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : La FNEGE s’occupe essentiellement de la promotion des études de gestion mais, cette année, vous prenez une nouvelle orientation avec la création d’Educ’entreprise, une série d’ouvrages numériques gratuits destinés à faire comprendre le fonctionnement des entreprises.
Pierre-Louis Dubois : Nous voulons faire comprendre l’entreprise au plus grand nombre alors qu’en France, l’entreprise n’est pas comprise et son vocabulaire ignoré. Beaucoup de Français confondent encore bénéfice et chiffre d’affaires ! Nous lançons donc trois livres numériques gratuits pour donner le vocabulaire de base de l’entreprise et comment elle se situe dans le circuit économique, quel est le rôle de l’État, etc. Un travail que nous avons effectué avec tous nos membres – écoles, universités, associations scientifiques – pour exprimer ces notions de manière juste et simple. S’il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un MOOC ces trois livres donneront lieu à une certification.
O. R : Vous parlez de méconnaissance de l’entreprise et pourtant les étudiants en gestion sont très nombreux en France.
P-L. D : Notre observatoire a même calculé qu’ils représentaient 18,4% du total des étudiants dans l’enseignement supérieur en additionnant grandes écoles, universités, BTS et DUT. Il y a également plus de 4 000 enseignants-chercheurs en sciences de gestion. Une chance formidable pour notre économie que le Forum de Davos a même signalée comme l’un des deux grands atouts de la France avec la qualité de nos infrastructures.
O. R : Cette qualité, la FNEGE n’y est pas étrangère !
P-L. D : Notre action a démarré à la fin des années 60 mais les grands pionniers de l’enseignement des sciences de gestion en France ont aussi été à l’université avec la création du certificat d’aptitude à l’administration des entreprises, devenu aujourd’hui un master, et dans les Grandes Ecoles. En effet, il y avait des écoles de commerce depuis longtemps – la création d’ESCP Europe date de 1819 – mais leur enseignement était à l’époque très pratique avec des professeurs vacataires et professionnels et quelques cours d’universitaires. Il faudra attendre le début des années 70 pour que l’enseignement et la recherche en gestion se développent vraiment en France et 1977 pour que soit créée la première agrégation. Notamment en favorisant les séjours des futurs professeurs de gestion à l’étranger au moment où les sciences de gestion y devenaient de plus en plus importantes, la FNEGE a effectivement joué un rôle dans ce développement.
O. R : Parce que, historiquement, les sciences de gestion ont toujours un peu été les « parents pauvres » de l’économie en France !
P-L. D : Il ne faut pas opposer économie et gestion car on ne peut pas comprendre l’entreprise sans comprendre ce qui se passe à l’extérieur. Qui aurait dit que Microsoft prendrait une telle place par rapport à IBM dans les logiciels et Facebook par rapport à Google dans les réseaux sociaux ? Je suis un enfant du Nord et j’y ai vu un paysage économique complètement bouleversé en cinquante ans avec la quasi disparition de l’industrie textile et la montée en puissance de familles comme les Mulliez (Auchan) ou les Arnaud (LVMH). J’ai été très marqué par deux rapports qu’ont sorti récemment les associations américaines (AACSB) et britanniques (ABS) des business schools sur le rôle des écoles de management dans l’innovation et nous allons sortir un livre blanc sur le sujet.
O. R : Depuis six ans que vous dirigez la FNEGE, vous avez constamment innové. Il y a deux ans vous avez inventé le BSIS (Business School Impact Survey) pour mesurer l’impact d’une école sur son territoire. Pourquoi cette création ?
P-L. D : Avec Michel Kalika, qui est vraiment la cheville ouvrière du BSIS, nous ne voulions pas créer une nouvelle accréditation mais donner aux écoles qui le souhaitaient un outil pour les aider à mesurer leur impact sur leur territoire auprès de leurs mandants. C’est peut-être important de dire à une entreprise que ses professeurs ont publié 75 articles de recherche dans des revues de gestion estampillées « 3 étoiles » mais ce qu’elles demandent aussi, c’est par exemple si ces professeurs sont aussi aptes à enseigner en formation continue ! Avec le BSIS on peut estimer en termes sociétal, d’innovation, de richesse produite, de communication ce qu’apporte une business school ou un institut d’administration des entreprises, comment 1 € dépensé en rapporte 12 à 50. Nous mettons en perspective les forces et les faiblesses de chaque établissement et livrons des préconisations.
Huit écoles de management (ESC La Rochelle, Audencia, IAE Lyon, IAE Grenoble, Toulouse Business School …) ont déjà utilisé le BSIS et autant sont en train de le faire. Aujourd’hui le BSIS est devenu le Business School Impact Survey et nous le réalisons conjointement avec l’un des grands accréditeurs de business schools dans le monde qui est l’EFMD. Plusieurs applications ont été réalisées hors frontières grâce à l’EFMD (San Telmo, Saint Gall, Corvinius, etc.)
O. R : Vous avez également travaillé à augmenter le nombre de doctorants en gestion, aujourd’hui largement insuffisant.
P-L. D : Nous avons créé un Observatoire des thèses de gestion dont nous estimons le nombre aux alentours de 360 chaque année en France. C’est notoirement insuffisant et nous importons beaucoup plus de thésards que nous en exportons. De plus, si ces doctorants sont excellents en recherche – une priorité dans un système fondé sur les classements et les accréditations – ils n’ont pour bon nombre d’entre eux pas eu d’expérience significative de l’entreprise ni d’expérience internationale majeure. Nous nous sommes donc demandé comment compenser ces lacunes et nous avons développé le concept de doctorat en apprentissage.
O. R : Un doctorat apprentissage c’est totalement inédit ?
P-L. D : Oui et on nous a d’ailleurs conseillé de signer plutôt des conventions CIFRE mais cela n’a pas bien fonctionné pour notre programme en sciences de gestion. Or nous considérons qu’être intégré dans une entreprise est nécessaire pour effectuer certains travaux de recherche. Comme d’autres nous préconisons donc la création d’un « doctorat professionnel » en plus de l’académique.
Mais nous pensons également à une possibilité d’obtenir un doctorat en VAE (validation des acquis de l’expérience) qui serait destiné d’abord à des titulaires d’un doctorat dans une autre spécialité qui voudraient valider leur expérience en sciences de gestion (avec un programme d’appui). Dans la mesure où ils seraient déjà docteurs, on ne pourra pas leur reprocher de posséder un doctorat dévalué, critique que nous voulons absolument éviter.
O. R : Toujours dans l’objectif de mieux former les futurs professeurs de gestion, vous aviez développé plusieurs projets projets.
P-L. D : Dans le cadre des Labex (laboratoires d’excellence) du Grand emprunt, nous voulions envoyer chaque année 60 post doctorants dans les meilleures universités du monde pendant six mois. Le projet était porté en partenariat avec HEC, l’Essec, l’ESCP Europe, Paris Dauphine, l’École polytechnique, Mines ParisTech, des laboratoires du CNRS en sciences de Gestion et l’appui de l’EFMD, de l’AACSB, des Associations académiques en Sciences de Gestion (unanimement) et du Medef mais il n’a pas été retenu.
Une belle occasion ratée mais nous avons développé depuis les « Junior Professor Awards » (JPA) qui nous permettent de délivrer des prix – d’un montant de 10 000 € – à de jeunes enseignants-chercheurs pour les aider à partir six mois à l’étranger. Nous leur demandons en échange de produire un article de recherche publiable dans une excellente revue scientifique et un rapport pour une entreprise partenaire du JPA.
P-L. D : Certains chercheurs sont parfois déconnectés des réalités de l’entreprise mais il faut aussi prendre bien garde à l’autre écueil qui serait de n’effectuer des recherches qu’uniquement en fonction des besoins des entreprises qui sont parfois difficiles à appréhender. Nous avons donc créé un outil pour faire éclore les besoins des entreprises et nous constatons qu’ils sont à certains égards différents de ceux que nous voyons dans notre observatoire des thèses. Nous ne voulons surtout pas créer un système directif mais il n’est pas aberrant de voir les problèmes que se posent les entreprises et ce que les docteurs pratiquent.
O. R : Pour aider les écoles de management à estimer la qualité des recherches de leurs professeurs vous avez publié en 2013 un « Classement des revues scientifiques en sciences de gestion ». La liste que publiait le CNRS ne suffisait pas ?
P-L. D : La liste du CNRS comprenait essentiellement des revues économiques et certaines revues en sciences de gestion. Il n’existait pas de liste en sciences de gestion. Depuis le CNRS a ajouté plusieurs revues de gestion dans sa liste et l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres, future HCRES) prend le meilleur classement de chaque liste pour ses évaluations. Nous recommencerons ce travail de sélection des revues scientifiques en 2016.
O. R : La publication d’articles dans les revues spécialisées c’est important mais vous voulez également redonner ses lettres de noblesse au livre.
P-L. D : Nous avons fondé à cet effet un « collège de labellisation » des livres. Les auteurs proposent leurs livres – 30 la première année, 90 cette année – qui sont labellisés s’ils contribuent à la recherche. En outre, nous remettons aussi des prix. Cela rejoint les préconisations de l’Aeres qui estime qu’un jeune chercheur doit avoir publié trois articles dans une revue référencée ou deux articles référencés et une autre contribution (qui peut être un livre) dans ses cinq dernières années de travail. Il me semble qu’il ne faut pas condamner un « genre » comme le livre dont on sait combien il inspire les recherches dans tous les domaines.