L’Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC) regroupe des enseignants issus de tous les établissements publics ou privés sous contrat ayant des CPGE économiques et commerciales. Son président, Philippe Heudron, revient sur leur actualité et leur force.
Olivier Rollot : Après plusieurs années où elles n’ont pas été épargnées par la critique, on ne semble pas trop s’attaquer aux prépas cette année.
Philippe Heudron: Il y a toujours des critiques mais il est vrai qu’elles sont moins virulentes que les années passées. Cela nous permet de réaffirmer notre identité : nous sommes des classes préparatoires aux grandes écoles, pas aux concours des grandes écoles. La classe préparatoire c’est avant tout une formation, pas une simple préparation !
La prépa est d’abord une formation généraliste avec des bases de culture générale – dont les mathématiques – large qui inclut aussi bien la géopolitique que l’économie, les lettres, la philosophie, les langues… Nous sommes sur le modèle des « arts libéraux » avec l’acquisition d’une large culture générale qui permet de développer un esprit de rigueur et d’analyse, et de s’adapter au changement. Au-delà des techniques ce que nous voulons ce sont des étudiants bien formés. Et heureux de l’être ! Toutes les enquêtes menées par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche le montrent : les élèves de CPGE plébiscitent leur formation.
O. R : Des élèves tellement heureux en prépas qu’ils disent souvent s’ennuyer ensuite dans leur école !
P. H: C’est un discours que j’entends parfois et les écoles ont travaillé à faire évoluer leur première année pour certains profils d’élèves qui ne s’y épanouissent pas. Certains en profitent aussi pour faire des licences universitaires en plus de l’école, par exemple en droit et d’autres, de plus en plus nombreux, un double diplôme dans une école d’ingénieurs comme par exemple l’Essec et Centrale Paris ou l’ENSAE, HEC et Polytechnique, l’EDHEC et Centrale Lille, etc…
0. R : On sait qu’il y a plutôt plus de places dans les écoles que de préparationnaires. Les écoles de management aimeraient recruter plus d’’élèves de CPGE mais on en ferme plus qu’on en ouvre.
P. H: Il faudrait ouvrir plus de classes prépas mais surtout au bon endroit ! Tout le problème est que le système n’est pas vraiment piloté. À mi chemin entre les deux grandes directions de l’éducation, l’enseignement supérieur (Dgesip) pour les programmes et l’enseignement scolaire (Dgesco) pour les moyens, les CPGE forment un réseau national qui mérite d’être articulé au plus haut niveau. Des associations comme la nôtre n’existent que dans les classes prépas car elles fédèrent le système et sont l’interface nécessaire avec les écoles comme avec la puissance publique.
O. R : Les prépas sont challengées par certaines écoles postbac, sans parler des bachelors qu’ont créé quasiment toutes les écoles de management. Que dites-vous aux étudiants qui préfèrent ces formations à la prépa et qui auraient pourtant tout à fait le niveau pour y entrer ?
P. H: D’abord qu’on n’apprend pas dans une formation postbac à travailler et à acquérir une culture générale utile toute sa vie comme on le fait en classe préparatoire. Ensuite que cela coûte très cher d’intégrer une école postbac ou un bachelor alors que la quasi-totalité de nos classes sont gratuites. Il faut aussi être conscient que les taux d’échec en première année dans les formations postbac sont importants alors que celles-ci ne possèdent pas d’équivalences pour aller à l’université comme c’est le cas pour nos étudiants.
Enfin nos classes mènent aux meilleures écoles de management ! La corrélation entre la valeur de l’école et le pourcentage d’élèves issus de prépas est visible dans tous les classements, en France mais aussi dans The Financial Times. Or, il y a de la place en prépas pour tous ceux qui veulent en jouer le jeu et s’investir dans le travail. Pour aller en prépa il faut y prendre plaisir.
O. R : Et être plutôt issu d’un milieu favorisé ! Surtout en prépas économiques et commerciales.
P. H: Au total les prépas reçoivent 35% de boursiers et ce chiffre monte à 60% en prépas économiques et commerciales option technologique. Mais il faut aussi être bien conscients qu’il y a deux fois plus de jeunes issus des catégories socio-professionnelles et des professions intellectuelles supérieures en bac S qu’en ES ou en L et quatre fois plus que dans les filières technologiques. Statistiquement on retrouve forcément plus d’élèves des milieux favorisés en CPGE. Mais c’est aussi un problème de coût des écoles avec un système de bourses qui reste insuffisant.
O. R : Depuis cinq ou six ans on constate un nouveau phénomène dans vos classes : de plus en plus d’étudiants préfèrent redoubler leur deuxième année (« cuber ») plutôt qu’entrer dans une école de management dont le niveau est inférieur à leur ambition. Certaines classes prépas – privées et chères – se sont même spécialisées dans ces « classes à cubes ». Qu’en pensez-vous ?
P. H: Contrairement à ce qui se passe dans les prépas scientifiques, où il y a plus de classes de 2ème année que de 1ère ce qui favorise ainsi un redoublement qui atteint les 26%, dans les prépas économiques et commerciales à chaque classe de 1ère année correspond une classe de seconde année. Les redoublements ne dépassent donc pas aujourd’hui les 9% et ceux qui le font sont relativement isolés au milieu des autres élèves. De « petits malins » se sont donc spécialisés dans les « cubes » et ont créé des classes qui leur sont réservés. On constate aujourd’hui que 25% des admis à HEC ou l’Essec ont redoublé leur deuxième année. Cela en valait-il la peine pour tous ceux qui ont préféré renoncer, un an avant, à passer les oraux de bonnes écoles ?
O. R : N’y a-t-il pas un risque que ce pourcentage de cubes rejoigne celui des prépas scientifique ? Ne faudrait-il pas l’empêcher ?
P. H: Juridiquement cela me semble difficile. Par contre les concours pourraient évoluer pour ne pas favoriser les redoublants.
O. R : Universités et lycées sont censés signer des conventions de partenariat selon la dernière loi sur l’enseignement supérieur. Où en est-on aujourd’hui ?
P. H: C’est très variable selon les académies et selon la façon dont les recteurs prennent le dossier, certains allant jusqu’à indiquer aux lycées comment contractualiser. L’important c’est qu’il n’y ait pas de mauvaises et de bonnes conventions sachant que, dans notre filière, très peu d’élèves vont à l’université.
O. R : La sociologie du prof de prépa a beaucoup évolué ces dernières années avec les départs à la retraite. Un prof de prépa se doit d’être aussi un chercheur aujourd’hui ?
P. H: Effectivement les départs à la retraite des dernières années ont été compensés par l’arrivée de jeunes professeurs titulaires de doctorat, notamment dans les disciplines scientifiques. Leurs qualités de chercheur n’ont plus rien à envier à celles de leurs confrères de l’enseignement supérieur. Pour autant ils restent avant tout dédiés à 100% à la réussite de leurs élèves et ne publient dans des revues scientifiques que de temps en temps. L’objectif d’un prof de prépa c’est de prendre des élèves tels qu’ils sont et de faire réussir des publics forcément différents selon les lycées.