Contestée, stipendiée par certains, la réforme du lycée et du bac généraux voulue par Jean-Michel Blanquer n’en avance pas moins. On sait maintenant peu ou prou quelles spécialités de première ont choisi les élèves et les épreuves terminales du bac se précisent peu à peu. Il n’en reste pas moins encore beaucoup de flou. « Globalement la réforme correspond à ce que j’en attendais même si, dans la mise en œuvre d’une réforme, il y a toujours des « effets de bord » qu’il s’agit de prendre en compte. Pour moi l’esprit de départ est préservé », commente Pierre Mathiot, directeur de Sciences Po Lille et auteur en 2018 du rapport qui a préfiguré la réforme en cours. Ce à quoi Philippe Watrelot, ancien président du Cercle de recherche et d’action pédagogique et professeur de sciences économiques et sociales au lycée Jean-Baptiste Corot à Savigny-sur-Orge (Essonne), lui rétorque : « Beaucoup de professeurs n’était pas forcément hostiles à la réforme au départ mais tout le monde en dénonce l’impréparation : pourquoi ne pas avoir attendu 2022 ? »
Le tronc commun n’est-il pas trop ardu pour certains? Le « tronc commun » d’enseignement du lycée de première et terminale représente 16 heures d’enseignement composées de :
- langues vivantes A et B 4 h 30
- français (philosophie en Tle) 4 heures
- histoire-géographie 3 heures
- enseignement scientifique 2 heures
- enseignement moral et civique 0 h 30
- éducation physique et sportive 2 heures
Si l’absence des maths fait débat d’autres s’interrogent : n’est-il pas risqué de proposer à tous les profils les même enseignements ? « Nous sommes critiques sur le très important tronc commun. Peut-on vraiment intéresser des profils très différents à des enseignements communs en histoire-géographie, philosophie ou encore à des enseignements scientifiques et mathématiques ? Il y a un vrai risque que certains se désintéressent et notamment des profils très scientifiques qui voudraient en apprendre rapidement davantage », s’interroge ainsi le président de la commission « Amont » de la Conférence des grandes écoles (CGE) – à ce titre en charge des questions de recrutement dans les Grandes écoles -, et directeur des Arts et Métiers, Laurent Champaney.
Comment prendre en compte les notes du bac dans la sélection ? Aujourd’hui les notes du bac ne comptent quasiment pour rien. Un autre objectif de la réforme est de rendre toute sa part au bac dans le choix des filières. A partir de 2021, elles seront prises en compte à hauteur de 80% de l’ensemble des résultats du bac si… on « regarde le calendrier de Parcoursup pour pouvoir notamment prendre en compte les deux notes de spécialités dont les épreuves auront lieu début mai », commente Pierre Mathiot.
54 heures consacrées à l’orientation, oui mais comment ? Il reste une inconnue importante sur ce que seront précisément les 54 heures consacrées à l’orientation. Il est d’autant plus difficile de définir leur contour que leur mise en œuvre intervient en même temps que la régionalisation des CIO (centres d’information et d’orientation). « Pour y parvenir, il faut que les professeurs y jouent un rôle encore plus important qu’aujourd’hui. J’entends qu’une partie d’entre eux disent n’avoir pas les compétences pour le faire mais ce serait logique au fond qu’ils s’efforcent de faire pour leurs élèves ce qu’ils arrivent souvent à faire pour leurs enfants », soutient Pierre Mathiot. « On transforme l’accompagnement actuel en aide à l’orientation en demandant aux élèves de choisir de plus en plus tôt leur avenir mais y aura-t-il ensuite de passerelles. Je discute beaucoup avec mes élèves qui disent ne vraiment pas savoir comment choisir », regrette de son côté Philippe Watrelot.
Comment s’organisent les enseignements « partagés » ? La mise en œuvre de l’enseignement commun scientifique comme des spécialités « histoire-géographie–géopolitique et sciences politiques » (HGGSP) et « humanités-littérature-philosophie » (HLP) n’est pas simple à organiser par des professeurs qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble… « C’est bien sûr nouveau et donc bouleversant au sens littéral du terme mais je crois que c’est une belle opportunité de regarder son métier et sa relation aux élèves d’une autre façon », assure Pierre Mathiot. Une belle ambition qui pourrait bien se fracasser sur le poids des disciplines. « Au final il y aura surtout de l’histoire-géographie en HGGSP car ce sont les professeurs ont le plus de poids. En HLP cela se fait au cas par cas avec parfois des marchandages sans fin avec les proviseurs », note Philippe Watrelot.
Le choc des spécialités. En plus de leur tronc commun les élèves de première et terminale sont appelés à choisir un enseignement optionnel de trois heures et trois spécialités de 4 heures chacune (réduites à deux de six heures chacune en terminale) parmi les douze proposées. Ce qui a suscité et suscite toujours force débats. Notamment chez ceux qui craignent de perdre du poids dans l’affaire. « La fin des séries explique sans doute la focalisation sur les spécialités car pas mal de monde cherche encore les séries derrière les spécialités mais je note qu’il n’y a aucun débat sur le contenu du tronc commun, sur les options, les heures d’orientation ou le grand oral qui avait pourtant tant fait parler de lui au début. En fait on se focalise actuellement à presque 100% sur 40% du volume horaire », regrette Pierre Mathiot.
Des spécialités… mais pas partout. Pour les choisir encore faut-il que les spécialités soient enseignées dans son lycée. Dans l’académie de Grenoble moins de quarante lycées proposent par exemple la spécialité « Numérique et sciences informatiques » sur un total d’un peu de 122. « Dans un grands lycée on peut ouvrir la plupart des spécialités – ou avoir des accords avec des lycées proches pour les autres – mais dans beaucoup de lycées les proviseurs ont dû demander à leurs élèves de faire quatre vœux (la moyenne est de 3,6) pour laisser la porte au dialogue et à des refus s’il n’y a pas assez de demandes pour ouvrir une spécialité », établit Philippe Watrelot. Certains lycées auraient ainsi fixé des « menus de spécialités » plutôt qu’une carte ouverte. Le pourcentage de vœux de choix de spécialités qui seront finalement acceptés sera scruté.
Les maths en tête. Cette année 70% des élèves de seconde ont choisi la spécialité « Mathématiques » de première selon les chiffres partiels divulgués par le ministère de l’Education. Les deux autres spécialités les plus demandées sont également très classiques puisqu’il s’agit des sciences de la vie et de la Terre (52,2 %) et de la physique-chimie (un peu plus de 50%).
En tout un peu plus d’une moitié des futurs élèves de première générale choisiraient trois spécialités scientifiques. Ce qui correspond peu ou prou au même pourcentage que ceux qui optaient jusqu’ici un bac S. « 51% des élèves font des vœux qui, en gros, rappellent les précédentes séries du bac. Cela veut dire tout de même que près de 49% demandant des « triplettes » qui ne correspondent pas aux ex-séries ce que je trouve être déjà une excellente nouvelle », se félicite Pierre Mathiot qui note aussi que 24% demandent l’une des nouvelles spécialités pluridisciplinaire « Humanités-littérature-philosophie », qui permet un accès à la philosophie dès la classe de 1ère, et 43% « Histoire géographie géopolitique et science politique ». Il devrait également y avoir plus d’élèves de 1ère qui suivent un enseignement de « Sciences économiques et sociales » qu’aujourd’hui.
Assez de maths ou pas ? Pour se concentrer sur la seule spécialité « mathématiques » le chiffre de 70% signifie à la fois beaucoup plus de demandes qu’il n’y avait d’élèves en S mais aussi moins qu’il n’y avait d’élèves de ES. En cumulant les élèves de deux séries on parvenait en effet à environ 85% des effectifs qui suivaient un enseignement de maths au lycée. « Ce qui est bien c’est sans doute le « moins mais mieux ». 70% c’est un très chiffre intéressant car ce sont probablement des élèves qui ont envie de faire des maths. Parmi les 52% d’élèves aujourd’hui en filière S combien sont-ils inscrits dans cette série alors qu’ils n’ont aucune intention de faire des études scientifiques ensuite? », analyse Pierre Mathiot. Mais cette spécialité n’est-elle pas trop dure justement pour les 35% d’ex-ES ? « La teneur du programme est difficile de l’avis des professeurs de maths au point que certains ont dissuadé leurs élèves de la choisir. Il y aura sans doute beaucoup d’abandons en terminale au profit des « mathématiques complémentaires », retient Philippe Watrelot qui imagine que « la spécialité pourra être allégée comme cela a été le cas du programme de SES de 2012 ».
Le président de l’Union des classes préparatoires scientifiques (UPS), Mickaël Prost résume ainsi le débat : « Le nouveau lycée formera mieux aux mathématiques les seuls élèves qui auront choisi de faire des mathématiques. C’est la principale crainte de tous ceux qui auraient souhaité la présence des mathématiques dans le tronc commun. Cela rend le choix de la spécialité mathématiques – voire l’option de terminale « mathématiques expertes » – ou a minima de l’option « mathématiques complémentaires » essentiel ».
Contrôle continu : 40% de la note finale. Le contrôle continu va prendre une plus grande place puisqu’il comptera pour 40% du bac. Mais le bac sera-t-il pour autant plus simple à organiser comme c’était l’objectif ? « Pour ma part j’avais préconisé un système proche des bacs blancs actuels pour laisser de la souplesse au système. J’espère que le système ne sera pas trop complexe ni trop lourd. Par exemple si l’élève est considéré durant les épreuves comme un « candidat », notamment pour garantir le caractère national des épreuves, alors cela impliquera une organisation plus lourde », admet Pierre Mathiot. Un contrôle continu qui limite de plus la liberté pédagogique des professeurs. « Jusqu’ici nous nous mettions d’accord sur le contenu des bacs blancs. Maintenant nous allons devoir tous faire le même programme pour piocher dans une banque de sujets nationale », constate Philippe Watrelot.
Quelles épreuves terminales ? Au nombre de quatre les épreuves terminales du nouveau bac général sont composées de :
- la philosophie (coefficient 8) ;
- le « grand oral » (coefficient 10) ;
- un enseignement de spécialité (coefficient 16) :
- un enseignement de spécialité (coefficient 16) ;
- le français (épreuves anticipées de première) (coefficient 10).
Et là aussi les débats sont vifs… « Les épreuves d’histoire-géographie du bac 2021 deviennent un ensemble incohérent, à l’image de la réforme », dénonce un professeur d’histoire, Thibaut Poirot, dans une tribune du « Monde » : « Les élèves devaient jusqu’ici fournir un écrit long de type composition (une introduction, une problématique, un plan, une conclusion) puis une étude de documents ou un croquis, sur une durée d’épreuves variant entre trois et quatre heures suivant les séries générales. (…) Cet écrit est ramené à deux heures, soit deux fois 10 points, entre une « réponse argumentée » en une heure puis une « analyse de documents » en une heure également, donc forcément superficielle, voire infaisable ». Oui mais en l’occurrence ceux qui auront choisi la spécialité HGGSP auront une épreuve plus difficile. Quant au fameux « grand oral » qui a tant fait parler de lui, un certain flou règne toujours autour constate Philippe Watrelot : « Qui doit y préparer, dans quelles heures, nous n’en savons rien. Cette épreuve n’aura le caractère antidémocratique qu’on lui prête que s’il n’y a pas de formation ».