Où va le logement étudiant ?

by Olivier Rollot

La question ne se pose même pas : le déficit du nombre de logements étudiants est l’un des grands leitmotivs de chaque rentrée ! « Nous recevons toujours neuf demandes pour chaque logement que nous mettons en location. Dans toute la France nous en prenons 700 nouveaux en gestion chaque année. On estime qu’il manque environ 120 000 logements étudiants alors que l’État voudrait en construire en tout 45 000 nouveaux d’ici la fin du quinquennat », stipule par exemple la directrice générale de l’Arpej (Association des résidences pour étudiants et jeunes), Anne Gobin (lire son entretien dans ce numéro). Mais un rapport de la Cour des Comptes, publié en juillet 2025 sur Le soutien public au logement des étudiants, met un bémol : ce serait seulement en Ile-de-France que la situation serait inquiétante. De plus avec le choc démographique à venir – les projections des effectifs dans l’enseignement supérieur font état d’une hausse jusqu’en 2026 à 3 millions d’étudiants puis d’une stabilisation – il ne serait plus aussi nécessaire d’augmenter le parc étudiants.

Le rôle majeur des CROUS. On compte en tout environ 245 000 places dans des logements sociaux pour étudiants dont à peu près 174 000 dans des résidences Crous. « L’État nous a accordé 120 millions d’euros pour réhabiliter et construire des logements. Nous sommes capables aujourd’hui d’ouvrir chaque année 2 000 à 3 000 places et nous souhaiterions passer à 3 000 ou 4 000 dans le cadre du plan 35 000 logements étudiants que le gouvernement entend créer d’ici 2027 », explique Clément Cadoret,directeur général délégué du Cnous.

Bien insuffisant pour Marc Sciamanna vice-président de l’Eurométropole de Metz et administrateur national délégué à la vie étudiante de l’AVUF qui s’exprimait de la table ronde « Quel rôle les territoires peuvent-ils jouer pour améliorer l’expérience étudiante ? » organisée dans le cadre du Salon de l’Expérience étudiante en novembre 2024 : « Tant que cette question du logement ne sera pas résolue, les collectivités ne pourront pas porter pleinement leurs ambitions en matière d’enseignement supérieur, ce qui ajoute une pression sociale et géographique obligeant les étudiants à se former dans les grandes villes ».

Pour répondre à ces enjeux, les collectivités créent des observatoires du logement étudiant pour réaliser un diagnostic des besoins et de l’existant. Le réseau des Crous doit « entrer en symbiose avec tous les acteurs locaux, universités, villes, régions » confirme la présidente du CNOUS, Bénédicte Durand, qui demande à ce qu’il soit « présent dans toutes les dynamiques de gouvernance en signant des conventions avec les acteurs locaux. Une attention particulière doit être portée aux services étudiants dans les villes d’équilibre, à la situation des Crous des départements et territoires d’Outre-mer, ainsi qu’aux Crous dont les enjeux sociaux et démographiques sont les plus aigus, en particulier en Île-de-France ».

Une myriade d’acteurs dans le logement social. Au-delà des seuls CROUS les plans gouvernementaux successifs et la mobilisation des acteurs locaux ont permis une extension nette de 69 300 des logements étudiants à vocation sociale entre 2012 et 2023. L’offre a ainsi augmenté de 39 %, taux supérieur à celui de l’augmentation de la population étudiante sur la même période. Avec 245 000 logements étudiants à vocation sociale recensés en 2023, le ratio national a été maintenu à 8,2 places à vocation sociale pour 100 étudiants. Et cela alors que les réhabilitations du parc historique des Crous, initiées dans les années 2000, pour lesquelles 1 Md€ a été dépensé entre 2017 et 2023, si elle améliorent le confort des étudiants ont réduit de 11 000 places la capacité d’accueil suite à la transformation de chambres individuelles en appartements autonomes.

Les auditeurs de la Cour des Comptes estiment que si les pouvoirs publics « n’ont pas anticipé les conséquences, en matière de logement, de la hausse de 25 % de la population étudiante intervenue depuis 2012 », les APL et l’extension du parc à vocation sociale ont « permis d’absorber ce choc démographique ». Les données de l’Observatoire de la vie étudiante soulignent en effet que la part des étudiants décohabitants de chez leurs parents, qui fluctue peu, a augmenté de 2,5 points en 13 ans, pour atteindre 64,8 % en 2023. La France se situe à cet égard dans une situation médiane en Europe, alors même que les étudiants y sont plus jeunes que leurs homologues européens : le système français serait ainsi « plutôt favorable à la décohabitation ».

Dernier constat de la Cour des Comptes  : le parc géré par les Crous, qui représente les trois quarts des logements étudiants à vocation sociale, est mobilisé à hauteur de 36,5 % pour les partenariats de Campus France ou des établissements d’enseignement supérieur qui y logent des étudiants dans le cadre d’échanges internationaux.

La situation particulière de l’Ile-de-France. Dans leur rapport les auditeurs de la Cour des Comptes estiment que la pénurie de logements n’est aujourd’hui très importante qu’en Ile-de-France où ils appelle à un « changement de stratégie ». Une situation, associée à la densité des établissements d’enseignement supérieur et des transports publics franciliens, qui se traduit par un taux de cohabitation en hausse, près de deux fois supérieur à celui des autres régions (47 % contre 27 %) et des temps de transport plus élevés. « Les pouvoirs publics, y compris nationaux, doivent concentrer leur attention sur cette région, qui présente de réels signes de décrochage par rapport au reste du territoire », requièrent les auditeurs.

Comment finance-t-on le logement étudiant ? Le logement social étudiant est complété par les APL pour les 44 % d’étudiants logés dans le parc privé. Représentant 2,3 Md€ en 2023, soit 15 % de l’ensemble des aides personnelles au logement, les APL versées aux étudiants sont en augmentation de 30 % en euros constants depuis 2005.

Du côté des CROUS l’activité hébergement, qui présentait des taux de couverture excédentaire tel que calculé jusqu’en 2021, hors crise Covid, est devenue déficitaire en raison notamment du gel des loyers depuis plusieurs exercices à la demande de l’État alors même que l’ensemble des propriétaires constataient une hausse du coût de l’énergie et des fluides (plus de 20 M€ en 2022 et plus de 40 M€ en 2023). « Nous devons mieux assurer la solidarité entre les 26 Crous. Certains se portent mieux que d’autres en possédant des bâtiments quand d’autres, créés plus récemment, sont en difficulté », souligneClément Cadoret,

Rentables des associations comme l’Arpej le sont forcément. Si elle bénéficie d’une subventionde l’État (AGLS) pour les résidences sociales qu’elle gère celle-ci ne représente que 0,02% de son budget de 77 millions d’euros. « Notre équilibre financier repose sur l’optimisation de nos taux d’occupation. Il est de 99% au global et en Ile-de-France et 96% en région », signifie Anne Gobin. Le modèle d’Arpej c’est d’être locataire d’un immeuble dont le propriétaire est un bailleur social. « Nous avons une grille de répartition des travaux bailleur/Arpej annexée à la convention de location. Nous finançons le mobilier des résidences, ce qui représente en moyenne 2300€ initiaux par logement » détaille la directrice générale.

La décisions de la construction d’un logement social étudiant résulte d’une décision collective. Dans le cas de l’Arpej ce sont dans 70% des cas des bailleurs qui la sollicitent car « ils disposent d’un foncier ou parce qu’un promoteur leur propose un bâtiment en « Vente en l’état futur d’achèvement » (VFA) et nous partons en équipage très en amont du projet », explique Anne Gobin. Dans les 30% restant c’est le promoteur qui propose un projet et l’association sollicite ailleurs l’un des bailleurs avec lesquels elle travaille déjà. 

« Nous travaillons à la fois avec des promoteurs et des collectivités très en amont. Nous devons être vigilants sur la nécessité de développer de nouvelles résidences en fonction des projets de développement des universités et des écoles », confirme Maïté Dessailly, directrice d’exploitation Résidences étudiantes de Twenty Campus du Groupe Sergic, qui a ouvert septnouvelles résidences étudiantes à la rentrée 2025 et en possède vingt en tout.

Des résidences de plus en plus qualitatives. Une résidence étudiante aujourd’hui c’est un espace de vie qui « doit être très qualitatif » signifie Maïté Dessailly. Ses résidences comptent donc aussi bien des espaces communs partagés de co-working que des cafétérias pour servir le petit déjeuner : « Nous sommes très attentifs à qu’il y ait un cadre sécurisé et un repas par jour servi avec boissons, fruits laitages ». Des services para-hôteliers tel le ménage deux fois par mois sont également proposés aux locataires qui sont essentiellement des étudiants mais peuvent également être des jeunes travailleurs. L’important c’est de « faire que les lieux soient générateurs de liens et permettre de se concentrer sur ses études ».

Même réflexion du côté de l’Arpej comme l’explique Anne Gobin : « La solitude peut être subie ou choisie. Dans nos résidences on peut choisir d’être totalement seul chez soi en toute autonomie ou de partager des espaces communs accessibles à tous. Le cahier des charges auxquels répond chaque résidence repose sur la qualité d’usage. Il y a par exemple un bureau dans lequel travaille l’un de nos collaborateurs et que les jeunes peuvent solliciter si besoin ».

Cruciaux pour des jeunes qui vivent leur première expérience sans leurs parents, Twenty Campus propose des temps d’échanges collectifs à la rentrée entre les nouveaux locataires. Et ensuite la vigilance reste de mise. « Sans nouvelles de leurs enfants pendant quelques jours les parents nous appellent et notre régisseur fait le point », reprend Maïté Dessailly quand Anne Gobin conclut : « Notre mission c’est de les accompagner afin d’être demain des locataires autonomes ailleurs. Ce sont des citoyens de demain en apprentissage de la vie collective ».

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