Portée par la libéralisation du marché de la formation et l’accélération de la transformation digitale, la filière EdTech a connu une croissance inédite en France et dans le monde ces dernières années. Mais 2022 a vu la conjoncture se retourner après les années euphoriques post Covid. « En dépit de ces bons résultats, l’écosystème français reste fragile. Encore morcelé, il compte peu d’acteurs ayant atteint la taille critique nécessaire pour se déployer à grande échelle » résument les auteurs du livre blanc Les technologies au service de l’éducation : une chance pour la France. Publié notamment par l’AFINEF, EducAzur, EdTech France, EdTech Grand Ouest et Numeum, il permet de faire le point.
- Une définition des EdTech : « Pluriel et hétérogène, l’univers des EdTech regroupe un ensemble d’acteurs, des jeunes startups aux entreprises et organismes de formation, offrant des solutions technologiques dédiées à l’enseignement scolaire et supérieur et à la formation professionnelle. Il peut s’agir d’éditeurs de logiciels, de concepteurs de solutions technologiques (plateformes, applications…) ou d’opérateurs de solutions. »
L’euphorie est retombée
Effet Covid oblige, 2021 a été une année exceptionnelle avec plus de 20 milliards de dollars injectés dans la filière EdTech au niveau mondial (une hausse de 30% par rapport à 2020). Une dynamique qui s’est fortement ralentie en 2022 avec un volume des levées de fond qui a chuté de 40%. Un contexte dans lequel a formation professionnelle en entreprise a été la seule en progression en 2022 en termes de financement par les fonds d’investissement, en hausse de 8%. De leurs côtés, l’enseignement scolaire reculait de 17,5% et l’enseignement supérieur de 16,6%.
En France après une année 2021 record avec 487 millions de dollars levés – ce qui a permis à la France de se classer au deuxième rang au niveau européen pour la quatrième année consécutive – la filière a connu un baisse de 81% des investissements en 2022. En 2023 l’un des acteurs phares du marché, Open Classroom, a par exemple été contraint de se séparer d’un quart de ses effectifs après avoir été classé comme une entreprise « très fragile » sur le site Infonet. Les cinq prochaines années devraient donc voir se profiler une consolidation de la filière car, comment l’explique Vincent Desnot, président et fondateur de Teach on Mars, le « marché est aujourd’hui très atomisé tant d’un point de vue géographique que fonctionnel. Les mouvements de consolidation doivent permettre la création de champions pan-européens ou mondiaux qui ont une taille critique pour se battre sur le marché et la création de suites fonctionnelles complètes et simples pour les clients ».
Un marché français tourné vers la formation professionnelle
Le marché français des EdTech est d’abord l’apanage des start up de la formation professionnelle qui est aujourd’hui dispensée à 45% de manière numérique. Avec des acteurs qui ont su dépasser les frontières nationales, comme 360° Learning, OpenClassrooms ou encore Corp Académies, ces EdTech représentent 85% du chiffre d’affaires de la filière en 2021. Et avec de belles progressions à l’avenir. « Longtemps considérée comme secondaire, la fonction formation est aujourd’hui un partenaire reconnu, voire incontournable, en support à la transformation accélérée des entreprises et des métiers, au développement et à la professionnalisation de leurs salariés ; plus encore, elle est un levier de leur attractivité », commente Jean Roch Houllier, head of operations, learning & digital du Groupe Safran.
Représentant 53% des acteurs les EdTech de la formation professionnelle sont de taille plus importante alors que les petites startups – 60% des EdTech ont moins de 10 salariés et un chiffre d’affaires inférieur à 500 000€ -, sont d’abords présentes dans l’enseignement supérieur (40% des EdTech) et à 27% dans le K12 (l’ensemble du cursus scolaire, de la maternelle au secondaire). Et les freins pour s’y développer sont nombreux. Notamment, notent les auteurs du livre blanc, du côté de professeurs « souvent circonspects à l’égard du numérique, souvent vu comme une contrainte, un pis-aller, pas comme une perspective porteuse d’espoir ». Un travail de fond reste donc à faire pour « embarquer les enseignants dans le numérique : cela passera par des sessions de formation (initiale et continue) au numérique et, au-delà, à l’ingénierie pédagogique via le numérique ».
Cap sur les Grandes écoles de management
Dans l’enseignement supérieur les Grandes écoles, de management essentiellement, semblent le meilleur vecteur de développement pour les EdTech. « Les grandes écoles sont friandes des EdTech. Nous conservons des pilotes ou des POC avec de jeunes EdTech, mais pour les déploiements à grande échelle, nous choisissons des startups avec une certaine taille critique, ayant montré leur capacité à grandir avec nous », explique Pierre Paul Cavalié, le chief digital officer de Skema BS. C’est, d’une part, lié à nos processus qualité, d’autre part à la compétition mondiale entre écoles. Les réseaux d’écoles peuvent avoir jusqu’à plus de 10 000 étudiants : il faut des solutions robustes pour apporter une expérience étudiante de qualité. »
A contrario les universités restent un univers largement fermé. « Les universités, on n’a pas d’autres choix que de passer par des appels à projet (PIA4, DemoES) si on veut avancer. Et encore c’est dur : on doit tout construire, le travail d’évangélisation est titanesque », regrette Nicolas Elkoubi, directeur commercial chez Craft AI.
7 axes et 12 propositions pour « répondre aux enjeux d’accélération de la formation par le numérique »
L’AFINEF, EducAzur, EdTech France, EdTech Grand Ouest et Numeum ont mené ensemble un travail de fond, pour faire émerger 12 propositions, développées en 7 axes, pour « répondre aux enjeux d’accélération de la formation par le numérique ».
Les sept axes
1 – Accélérer la formation des professeurs : Alors que la formation des professeurs est un enjeu clé pour accélérer la formation par le numérique, moins de 5% d’entre eux ont effectivement utilisé les ressources mises à leur disposition en 2015 dans les banques de ressources du numériques (BNRE) proposées par l’Education nationale.
2 – Faciliter et sécuriser l’accès aux marchés : Bien que les professeurs soient les premiers utilisateurs des solutions d’apprentissage par le numérique, ces derniers doivent compter sur les financements des collectivités et de l’Education nationale (ou de leur établissement, pour les professeurs d’université) pour utiliser le numérique en appui à leur enseignement, ce qui constitue un frein réel.
3 – Jouer l’union et renforcer la collaboration : La filière étant constituée d’un tissu de près de 500 startups, elle semble mal armée pour faire entendre sa voix. Il est donc primordial de renforcer la cohésion du collectif, déjà à l’œuvre au sein des deux associations représentatives des entreprises Edtech (Afinef et Edtech France).
4 – Prioriser et fluidifier les investissements : Les financements actuels n’ont pas permis l’émergence de suffisamment de « champions » français des EdTech, notamment par manque de priorisation des investissements et un manque d’ « agilité » dans la gestion.
5 – Accélérer la création de la plateforme des données de l’éducation : Si les data et learning analytics sont aujourd’hui essentiels, une “base de données”
permettant de rassembler l’ensemble des données d’apprentissage n’existe pas encore, bien qu’elle fasse partie des communs numériques en cours de déploiement par la Direction du Numérique de l’Education (DNE).
6 – Donner plus de visibilité au périmètre et ambitions des « communs numériques » : Les acteurs de la filière EdTech (les startups en premier lieu) manquent encore de visibilité sur le périmètre et la définition des « communs numériques » en cours de constitution. Cette absence de visibilité est un frein au développement économique des EdTech positionnées sur le marché scolaire (frein à l’investissement, au recrutement, crainte pour la pérennité des entreprises mêmes).
7 – Créer une instance dotée de moyens et d’objectifs ambitieux pour accélérer la formation par le numérique, tout au long de la vie: Les ministères, la DNE, le SGPI, et les collectivités déploient une énergie certaine pour mettre en œuvre la formation par le numérique. Pour les aider dans cette tâche, il est essentiel de mettre en place une instance opérationnelle, chargée de gérer la mise en œuvre de la feuille de route, sur le terrain, avec les acteurs de terrain.
Les 12 propositions
• Proposition 1 : inclure une brique « ingénierie pédagogique par le numérique », dès la formation initiale des professeurs.
• Proposition 2 : inclure des modules de formation au numérique et à l’ingénierie pédagogique par le numérique dans la formation continue des professeurs.
• Proposition 3 : déployer à large échelle un chèque « EdTech » pour les professeurs, sur le modèle du « Pass culture ».
• Proposition 4 : consolider le CPF, en finançant le reste à charge sur les métiers en tension.
• Proposition 5 : renforcer les moyens des hubs régionaux EdTech.
• Proposition 6 : créer une bannière visible et puissante de l’écosystème.
• Proposition 7 : soutenir les EdTech par la commande publique.
• Proposition 8 : prioriser les investissements sur l’IA.
• Proposition 9 : conditionner les aides à des obligations en matière d’inclusion et de responsabilité numérique.
• Proposition 10 : simplifier les procédures d’appels d’offres publics et d’appels à projet.
• Proposition 11 : étudier la faisabilité d’un hub commun aux données de l’Education et de l’Enseignement Supérieur.
• Proposition 12 : créer un Haut-Commissariat chargé de la mise en œuvre des ambitions françaises d’accélération de la formation par le numérique.