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« Depuis 2015 nous avons totalement transformé Sciences Po Aix »

Rostane Mehdi

Après près de dix ans passés à la direction de Sciences Po Aix on directeur, Rostane Mehdi, trace avec nous le portrait d’un institut qui a su retrouver ses lettres de noblesse après des années difficiles.

Olivier Rollot : Vous êtes maintenant depuis près de dix ans à la tête de Sciences Po Aix. Quelles grandes évolutions avez-vous pu constater au cours de vos deux mandats ?

Rostane Mehdi : Je suis arrivé à la direction de Sciences Po Aix dans un moment de crise aiguë. Une crise de gouvernance extrêmement grave qui a pris fin la semaine du 15 avril 2024 avec la condamnation de mon prédécesseur à dix-huit mois de prison avec sursis.

Depuis 2015 nous avons totalement transformé Sciences Po Aix en repensant son organisation dans le cadre d’instances dont je respecte scrupuleusement les compétences. Nous avons réinstitutionnalisé le fonctionnement comme les process pour sécuriser les décisions de façon à ce qu’aucun collaborateur ne soit exposé à des risques inconsidérés.

C’est dans ce cadre que nous avons rationalisé notre offre de formation pour proposer des cursus personnalisés, fondés sur l’ouverture à l’international, l’hybridation des connaissances et l’innovation pédagogique, tout en offrant aux étudiants une spécialisation de haut niveau.

O. R : Quelles sont les grandes thématiques de recherche et de formation de Sciences Po Aix ?

R. M : Il faut avoir conscience que ce qui caractérise d’abord Sciences Po Aix c’est son enracinement méditerranéen. Notre cœur de formation est consacré au monde arabe et à la Méditerranée. Nous proposons par exemple un certificat d’études sur le Monde arabe contemporain sur 2 ans qui peut être poursuivi en parallèle de la première et de la deuxième année et qui comprend l’acquisition de compétences linguistiques.

Par ailleurs nous sommes dans une région de grande culture avec beaucoup de festivals et de musées dont ce serait une grave erreur de nous couper. Nous dispensons donc un master Politique culturelle et mécénat qui attire de plus en plus de candidats dont certains déjà formés à ces sujets, par exemple à l’Ecole du Louvre.

Notre troisième sujet c’est l’Europe, un sujet pour lequel nous avons fortement misé sur l’innovation pédagogique avec un serious game, le Brussels’ World Simulation (BWS), que nous avons créé en 2018. Chaque année il rassemble 200 étudiants qui, pendant dix semaines, vont se lancer dans des négociations dans des conditions comparables à ce celles de l’Union européenne. Principalement issus de notre quatrième année, ils vont jouer tous les rôles qu’on peut trouver à Bruxelles – députés, commissaires, représentants des États membres, tiers, ONG, journalistes -, avec un fil X dédié et un plateau vidéo professionnel. Dix semaines dont l’acmé se joue lors d’une session plénière, en 2022 au Parlement européen et en 2023 dans des hémicycles régionaux. Le succès est tel que d’autres établissements nous ont rejoint depuis le lancement : en France Aix-Marseille Université, HEC Paris, Sciences Po Strasbourg et Sciences Saint-Germain; à l’international l’université allemande de Freiburg et la Faculté d’études européenne de Ciuj-Napoca en Roumanie.

Quatrième sujet essentiel pour nous : les métiers de la défense, de la géostratégie et du renseignement. Il faut savoir que la région PACA est la première en France en termes de sécurité et de défense avec des écoles comme l’Ecole de l’Air, des industriels comme Naval Group ou Safran et la principale base maritime d’Europe à Toulon. Il y a donc toujours eu des enseignements dédiés à la défense à Sciences Po Aix comme, par exemple, un master Géostratégie, défense et sécurité internationale très prisé. Nous avons plus récemment créé un certificat puis un Mastère Spécialisé Conférence des Grandes écoles sur le Renseignement.

O. R : Comment avez-vous l’idée de créer ce Mastère Spécialisé Renseignement ?

R. M : Dans les pays anglo-saxons il y a une vraie culture de ce type de formation dans les universités. Nous l’avons créé suite à une commande du Coordonnateur du renseignement et de la lutte contre le terrorisme aux dix instituts d’études politiques. Nous sommes également soutenus par l’Académie du renseignement pour former des cadres, publics ou privés, à tout le spectre des questions militaires, géostratégiques comme financières du renseignement. Nous ne formons pas des agents de renseignement mais des cadres au fait de ces questions.

De plus nous avons créé en décembre 2023 une chaire du renseignement avec le professeur d’histoire spécialiste de ces questions, Olivier Forcade. Le président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, Serge Lasvignes, y participe également. Nous y ferons de la recherche appliquée en lien avec les attentes du secteur privé tout en disséminant nos compétences en organisant des workshops.

O. R : Quelle importance revêt la recherche pour Sciences Po Aix ?

R. M : Nous sommes parmi les fondateurs de l’Amidex, l’Idex d’Aix-Marseille, de l’institut d’études avancées d’Aix Marseille, l’Iméra, avec une chaire Albert Hirschmann et cotutelle de trois unités mixte de recherche (UMR). En quelques années nous sommes ainsi passés d’une activité de recherche embryonnaire au déploiement d’une véritable politique scientifique qui fait désormais partie des marques de fabrique de la maison. Et ceci, avec la meilleure articulation possible entre la recherche, l’enseignement et la professionnalisation.

Des étudiants à l’entrée de Sciences Po Aix

O. R : On l’a vu avec votre serious game européen, l’innovation pédagogique est un autre marqueur fort de Sciences Po Aix.

R. M : Nous avons bénéficié de l’appui très précieux de l’Idex pour développer ce jeu et nous pouvons aujourd’hui affirmer que c’est un très bel investissement. Mais au-delà, nous sommes soucieux d’interroger les processus d’apprentissage et d’explorer les leviers d’une pédagogie résolument réflexive et innovante. Nous venons même de publier un livre blanc à ce sujet et nous sommes prêts à partager notre expertise avec d’autres disciplines qui souhaitent s’aligner sur nos standards.

O. R : Le concours d’entrée dans les sept Sciences Po du Réseau ScPo a lieu en ce moment. Combien de candidats avez-vous cette année ?

R. M : Nous recevons entre 13 et 14 000 candidats chaque année pour 1 100 places. Après les années Covid nous sommes revenus à un concours écrit qui nous parait absolument essentiel. Il est à la fois le garant d’une rassurante simplicité républicaine et des compétences nécessaires pour intégrer un IEP : savoir écrire et construire un raisonnement.

De plus nous avons déployé une politique de diversité avec le programme PEI qui nous permet de préparer des élèves issus de REP et REP+ à entrer dans l’enseignement supérieur.  ici à Sciences Po Aix, 32% de nos étudiants sont boursiers.

O. R : Quand on parle Sciences Po on pense vite aux questions politiques et elles sont très nombreuses aujourd’hui dans les universités. Vos étudiants ont un temps voulu inviter Jean-Luc Mélenchon sur votre campus. Cela ne s’est finalement pas fait. Pourquoi ?

R. M : Sur le principe je n’y voyais aucun inconvénient mais les évènements du 7 octobre et certaines déclarations faites par Jean-Luc Mélenchon nous ont amenés à reconsidérer notre position. Ce qui a, vous l’imaginez, provoqué un certain émoi chez nos étudiants.

Je suis très attaché à la liberté d’expression mais dans le cadre de procédures, le respect des lois et règlements de la République et sous réserve que les conditions de sécurité et de sérénité soient réunies. Dans le moment sensible où nous nous trouvions, il m’a paru plus opportun d’inviter un élu de la Nation. C’est donc finalement Manuel Bompard qui est venu. De plus j’ai suggéré aux étudiants à organiser des débats sur la question de Gaza en faisant intervenir un professeur de relations internationales et l’ancienne responsable des Nations Unies en charge de l’aide humanitaire à Gaza.

Je suis heureux que nos étudiants aient des convictions et il faut qu’ils les inscrivent dans un cadre alors que nous sommes un établissement public auquel un devoir de neutralité s’impose.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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