Plans stratégiques : quand les écoles de management se projettent en 2030

by Olivier Rollot

En 2025 les plans stratégiques des écoles de management se suivent sans totalement se ressembler dans un marché où il est plus que jamais nécessaire de s’adapter comme l’explique Anne-Sophie Courtier, la directrice générale de l’EM Normandie (lire son entretien dans ce numéro) : « Plusieurs phénomènes se cumulent : la baisse démographique, la crise du pouvoir d’achat, la réforme de l’alternance, l’impact de l’intelligence artificielle sur les métiers et les formations. En vingt ans, jamais les écoles de commerce n’ont eu à affronter autant de changements simultanés. Les familles hésitent à investir dans des études longues, les étudiants veulent des parcours plus courts, plus modulables. Les écoles doivent s’adapter. Vite ».

16 ans après la fusion du Ceram et de l’ESC Lille qui lui a donné le jour, Skema présentait ainsi ce 2 octobre son plan stratégique 2025-2030 avec sa directrice générale, Alice Guilhon : « Depuis la création de la première école de commerce à Lisbonne en 1750, les écoles ont suivi les demandes des entreprises. Aujourd’hui nous devons aller plus loin en préparant nos étudiants à des transformations sociétales et à des changements profonds dans le contrat social ». Au programme notamment  : de nouveaux campus à l’international et la création d’une « School for professional studies ».

Du côté de Kedge c’est la prudence qui prévaut comme l’indique Alexandre de Navailles en amont de la présentation de son nouveau plan stratégique Kedge 2030 : « Dans les années à venir nous allons développer l’école de manière contrôlée pour atteindre d’ici 2030 un chiffre d’affaires de 170 millions d’euros. Je préfère être réaliste dans un marché international complexe et une démographie chancelante. Ce plan est une accélération de ce que nous faisons déjà. Je ne crois pas qu’on puisse avoir une croissance de 70, 80, 100% dans les prochaines années ».

Avec son plan stratégique Audencia entend atteindre une « taille critique » qui ne justifie pas de rapprochement avec une autre école, pas forcément de management, même si ce « n’est pas exclu » explique Sébastien Tran, son directeur général. Une « taille critique » qu’entend également atteindre le directeur général de l’ISC Paris, Jean-Christophe Hauguel, qui a présenté son plan stratégique cette semaine se félicite d’être à la tête d’une « école indépendante et agile » qui entend aujourd’hui se « réinventer » avec son plan stratégique « ISC Paris 2030 ».

L’essentiel des plans stratégiques d’Audencia, ISC Paris, Kedge, Skema et l’Esdes présentés en cette rentrée 2025 et de l’EM Normandie, dévoilé quant à lui en mai 2025, et le point sur celui de emlyon présenté récemment par Isabelle Huault.

Alice Guilhon, Alexandre de Navailles, Sébastien Tran et Jean-Christophe Hauguel lors de la présentation de leurs plans stratégiques en cette rentrée 2025

DE NOUVELLES ECOLES DANS LES ECOLES

C’est une constante des plans stratégiques présentés cette année : les écoles de management étendent leurs activités à de nouveaux segments. Skema va ainsi créer une « School for professional studies » pour lancer des diplômes de niveau bac+3 dans des métiers en tension ou répondant aux besoins locaux. « Nous allons vers des programmes comme « Santé et IA » ou « Tourisme et IA » avec toute une gamme de diplômes visés qui seront dispensés dans le monde entier », explique Alice Guilhon, sa directrice général.  Une quarantaine de programmes ont déjà été identifiés en « analysant les écosystèmes locaux et nous travaillons déjà avec des entreprises pour créer ces programmes et permettre aux jeunes de les intégrer », précise Patrice Houdayer, directeur adjoint de Skema qui insiste : « Nous voulons créer des diplômes reconnus localement sur un modèle type visé / gradé avec des formations orientées métiers pour répondre à des demandes locales ». Ce sont 2 500 étudiants qui sont attendus dans les cinq ans dans ces écoles pour un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros.

La School of Public and International Affairs que va ouvrir Audencia se positionne quant à elle à la croisée du management, de la géopolitique, des sciences politiques et des affaires internationales. Cette nouvelle école délivrera des diplômes reconnus – Bachelor, Master et formation continue – et s’appuiera sur des spécialisations autour des villes et territoires, de la coopération public-privé, de la géopolitique et du développement international, ainsi que de l’impact des politiques publiques. Située sur le campus parisien, elle accueillera en septembre 2027 sa première promotion, avec pour ambition de former 500 étudiants d’ici 2030 pour « répondre à l’attente des jeunes comme des entreprises qui créent aujourd’hui des postes de chief intelligence officers ». Audencia va ainsi être composé de quatre écoles différentes.

18 mois après la présentation de son plan stratégique « Résonances 2024-2028 », et alors qu’elle vient d’être reconduite dans son poste de présidente du directoire et directrice générale de emlyon business school, Isabelle Huault pose la première brique de la création d’une nouvelle « Tech School » en 2027 qui passe dès le printemps 2026 par la création de « emlyon Propulse ». Il s’agit de programmes de formation continue à destination des professionnels non-cadres titulaires d’un diplôme allant de bac pro à Bac+2 ainsi que des personnes en reconversion ou en remobilisation professionnelle. Les trois premiers programmes lancés au printemps 2026 formeront aux métiers de « technicien en industrie et gestion des risques », « référent IA » et « chargé de clientèle omnicanal ».

VOUS AVEZ DIT PLURIDISCIPLINARITE

Dans le même esprit que la création de nouvelles écoles, le deuxième axe du plan stratégique de Kedge met l’accent sur la pluridisciplinarité et l’agilité, afin de « préparer des managers capables de conduire les transitions sociétales et technologiques ». Cela se traduit par un décloisonnement entre programmes (PGE, bachelors, schools spécialisées) et une pédagogie immersive. fondée sur l’action. De nouveaux dispositifs sont lancés : filière géopolitique intégrant diplomates et militaires, semestre entrepreneurial co-construit avec le fondateur d’Ornicar, et projets de transformation environnementale (programme SHIFT).

Sous la direction de son directeur général depuis septembre 2025, William Hurst, l’Esdes entend également renforcer la pluridisciplinarité et la RSE « inside », intégrées au cœur de la formation et de la recherche : chaque étudiant du Programme Grande École obtiendra un double diplôme universitaire mêlant management et sciences humaines dans une logique d’hybridation qu’explicite ainsi William Hurst : « L’hybridation, c’est le mélange de deux espèces. L’interdisciplinarité c’est le dialogue entre deux disciplines. La pluridisciplinarité c’est une vision holistique de disciplines allant du management à la philosophie, en passant par le droit, les sciences politiques, l’ingénierie ou l’histoire. Et en la matière, l’Esdes a un gros avantage car elle appartient par nature à une université pluridisciplinaire ».

DES ECOLES PLUS QUE JAMAIS INTERNATIONALES

C’est sa marque de fabrique. Dans les années à venirSkema continuera à grandir à l’international… en s’adaptant. « Initialement nous souhaitions nous installer en Russie, nous sommes finalement allés à Dubaï. Nous allons maintenant nous implanter en Inde et en Australie », explique Alice Guilhon. La croissance globale de Skema se fera ainsi à plus de 70% à l’international dans des pays en pleine croissance comme l’Inde. Les frais de scolarité n’augmenteront pas en France mais pourraient augmenter aux Etats-Unis ou ailleurs, notamment pour son MSc en finance classé deuxième dans le monde.

Le campus de Skema à Suzhou

Le troisième axe du plan stratégique de Kedge affirme quant à lui l’ancrage international et collectif de l’école. « Nous souhaitons doubler le nombre d’étudiants internationaux en passant à 2 000 » promet Céline Davesne, directrice des programmes et de l’international qui s’appuie pour cela sur ses trois campus de Chine, Afrique (BEM Dakar) et d’Inde pour « former la jeunesse qui fera demain la croissance mondiale ». Kedge proposera également quinze nouvelles opportunités de doubles diplômes internationaux chaque année à ses étudiants. Cette internationalisation toujours plus affirmée passe également par le déploiement de programmes co-construits avec des institutions locales et lancement d’un triple diplôme avec HEC Montréal et BEM Dakar. Un “African track” et un futur “Indian track” associent formation et engagement social dans les ONG locales.

C’est à Barcelone qu’Audencia va ouvrir son sixième « campus collaboratif » de concert avec l’École supérieure de commerce international de l’université Pompeu Fabra. D’ici 2030 un autre campus ouvrira en Afrique pour développer des programmes d’executive education. En tout Audencia disposera alors de sept campus à l’international.

L’EM Normandie va quant à elle ouvrir en 2026 la première année de son PGE à Dubaï. « Ce campus attire et doit nous permettre de recruter davantage d’internationaux originaires des EAU mais aussi d’Asie et d’Afrique. Nous développons aussi des programmes courts, summer schools et maintenant des winter schools pour les étudiants internationaux à Caen, Le Havre et Paris », commente Anne-Sophie Courtier.

A l’international l’ISC Paris est déjà implantée en Chine dans le cadre d’un partenariat local et va maintenant s’étendre en Afrique, en Asie – notamment à Hong Kong – et dans le Golfe. Deux alliances vont être créées à l’international pour le Global BBA et le Global DBA. La mobilité internationale va être « réinventée » avec la mise en œuvre de learning expeditions (LEX) plus courtes que les séjours académiques classiques, intitulées « Business for a Better World ».

A l’Esdes l’objectifs est de créer un cinquième campus collaboratif à l’étranger avec une cible de 30 % d’étudiants internationaux.

FORMATION CONTINUE FORCEMENT

Dans le cadre de son Audencia Corporate Service, Audencia lance un Executive Master avec l’Institut de refondation publique (IRP). Ce master vise à accompagner les décideurs et hauts responsables (des secteurs privé et public) pour « réinventer l’action publique, en alliant l’exigence du management privé à la spécificité des missions d’intérêt général ». Il accueillera sa première promotion dès janvier 2026 dans un format compatible avec des emplois du temps contraints : 80 % de modules en distanciel à 8 séminaires présentiels.

A l’ISC Paris la part de la formation continue devrait passer à 5% de son chiffre d’affaires avec par exemple la création d’un nouveau programme diplômant Executive de niveau bac+5 pour les professionnels en transition. Les alumni verront leurs compétences certifiées et renouvelées avec le développement d’une offre premium sur la plateforme digitale Alumni Lifelong.

A emlyon une nouvelle verticale autour du « Management à l’ère des incertitudes » va être créée avec plusieurs nouveaux programmes : un MSc Strategic Intelligence and Global Risks en formation initialeen propre à emylon et un executive master en Leadership et Management de l’Assuranceavec le Cnam. L’Executive Education se développera également en partenariat avec l’Institut de formation de l’Onu, l’environnement avec l’école Bioforce alors que des recherches seront menées avec l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Enfin un institut « Alternatives futures » qui notamment mener des recherches sur l’anthropocène avec la London School of Economics.

Toujours à Lyon l’Esdes entend développer un portefeuille de programmes en formation continue avec notamment la création d’un Executive MBA et un DBA d’ici 2030.

OUVERTURE SOCIALE

Audencia entend renforcer son engagement sociétal en s’alliant à l’association Quartiers d’Affaires, 1er réseau national d’entreprises implantées dans les quartiers prioritaires, pour accompagner les porteurs de projets et faire monter en compétences les dirigeantes et dirigeants de TPE-PME situés dans les 1 609 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Dès 2026, 150 personnes par an pourront être accompagnées au sein du programme « Grandir » de l’association, et bénéficieront d’une certification Audencia. Un nouvel Institut des vulnérabilités se veut un espace de recherche et de dialogue réunissant acteurs socio-économiques et académiques.

Kedge veut quant à elle rester toujours pionnière sur la RSE. « Nous voulons continuer à développer la RSE dans tous les programmes. Alors qu’on a souvent mis l’accent sur l’IA ces deux dernières années il faut revenir aux fondamentaux », signifie Alexandre de Navailles alors que son école fait partie de celles qui font passer les tests Sulitest et Task à tous ses étudiants : « La RSE n’est pas une mode et nous serons particulièrement actifs sur les sujets d’inclusion ». 3 000 étudiants sont soutenus par des bourses et l’objectif est de passer de 7 à 10 millions d’euros d’aides chaque année.

CORPS PROFESSORAL ET PEDAGOGIE

Le premier axe du plan stratégique de Kedge est consacré à la connaissance et à l’excellence académique et repose sur le renforcement de la recherche et de la faculté. KEDGE vise une recherche « à la fois rigoureuse et utile aux entreprises et aux territoires », en développant des pôles d’expertise régionaux (santé à Marseille, vin à Bordeaux, aéronautique et défense). « Nous avons aujourd’hui 223 professeurs permanents et allons en recruter 23 nouveaux en 2026 pour avoir un corps professoral permanent de 270 enseignants-chercheurs en 2030 », explique Isabelle Fagnot, la doyenne de Kedge.

De même deux instituts vont être créés pour « fédérer et valoriser les expertises de l’ISC Paris » : Sigma dans la finance durable et Digit dans la transformation digitale. Le tout avec une démarche visant à donner plus d’impact à la recherche. « Alors que nos enseignants-chercheurs sont depuis longtemps appelés à travailler avec d’autres écoles pour plus publier, nous allons également leur demander de publier ensemble pour favoriser l’impact de l’école », définit Nabil Ghantous, directeur du laboratoire de recherche de l’ISC.

Les objectifs chiffrés

  • Audencia en 2030 ce devrait être 12 000 étudiants, un budget de 150 millions d’euros et 700 collaborateurs dont 250 enseignants-chercheurs.
  • Skema en 2030 ce sera 16 000 étudiants, 250 professeurs permanents dont 90% d’internationaux, 250 M€ de budget annuel et 12 implantations dans le monde.
  • Kedge en 2030 ce sera 170 millions d’euros de chiffre d’affaires, 12 000 étudiants dont 2 000 internationaux et 270 enseignants-chercheurs.
  • ISC Paris en 2030 ce sera 3 000 étudiants, 60 enseignants-chercheurs et un chiffre d’affaires de millions d’euros.
  • L’Esdes en 2030 ce sera 3 000 étudiants, 81 professeurs permanents

DES IA MAIS RAISONNABLEMENT

Dans le cadre de son nouveau plan stratégique Skema a présenté une doctrine sur l’enseignement du management à l’ère de l’IA dont le premier engagement est que « les professeurs ne seront pas remplacés par les IA » comme l’explique Alice Guilhon : « Nous nous donnerons le droit de ne pas aller partout avec l’IA en présentant une doctrine qui sera affichée partout dans l’école ». Créatricede ses propres outils d’IA, Skema ne signera aucun accord avec des IA comme Mistral ou ChatGPT. Les IA vont également être sollicitées par Skema pour révéler les compétences larges des étudiants – musique, littérature, mathématiques, etc. – avec la création d’une « banque de CV augmentée » liée à une plateforme IA destinée à rapprocher les aspirations des jeunes diplômés et des entreprises.

De même un compagnon « Audenc-I.A » va accompagner les étudiants d’Audencia, notamment pour les aider dans la composition de leur parcours. Des parcours de plus en plus personnalisés pour des profils particuliers. « Les étudiants sont de plus en plus de compositions individuelles avec des étudiants sportifs de haut niveau, parents, aidant que nous allons encore mieux accompagner avec notre fondation » ; commente Sébastien Tran.

Le nouveau campus d’Audencia à Paris Saint-Ouen

DES CAMPUS RENOVES ET AUGMENTES

180 millions d’euros vont être investis dans les dix campus actuels de Skema qui aspireront au label « Great place to work ». « Nous serons non seulement un lieu d’apprentissage mais aussi inspirant », se projette la directrice dont l’organisation sera portée par une plateforme enrichie par l’IA accessible par tous les étudiants.

Pour recevoir 2 500 étudiants à Paris un deuxième campus d’Audencia devra ouvrir le premier recevant en 2026, c’est une nouveauté, les étudiants du programme Grande école dès leur première année de cours. Toujours à Paris ce sont 1 500 m2 supplémentaires de locaux qui vont être créés par emlyon pour recevoir en tout 2 500 étudiants, dont ceux de la Tech School mais aussi de bachelors. Cela devrait être dans le bâtiment actuel sur deux étages supplémentaires alors que l’école a préféré ne pas s’implanter sur le nouveau campus de Galileo où les « travaux étaient déjà bien lancés ». Un investissement de cinq millions d’euros.

ÊTRE RENTABLES !

Alors que cette année la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) a entrepris d’ajouter des critères de rentabilité dans ses évaluations face à certaines dérives – elle évoque 18 écoles sur 38 en déficit en 2024 -, la question de la rentabilité de ces plans stratégiques est bien évidemment cruciale comme le note Jean-Christophe Hauguel : « Il ne faut pas faire progresser le chiffre d’affaires si ce n’est pas corallé par une progression de la rentabilité. Certaines écoles s’y sont risquées ces dernières années et le regrettent ».

Olivier Rollot

Rédacteur en chef

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