ECOLE D’INGÉNIEURS, PORTRAIT / ENTRETIENS

Comment se forge un destin : Laurent Champaney, président de la CGE, les Grandes écoles au coeur

Juin 2023 : il vient d’être réélu président de la Conférence des Grandes écoles (CGE). Mais comment se forge un destin ? Pour Laurent Champaney, également directeur des Arts et Métiers, le déclic qui change une vie s’est produit en seconde : « Je n’étais pas particulièrement bon élève, au point que mes parents avaient envisagé de m’inscrire dans l’école professionnelle d’EDF. J’ai finalement choisi une seconde technique. Mes rencontres avec l’acier, la matière, l’usinage, la fonderie, m’ont donné envie de comprendre et une vraie passion pour les sciences et les technologies ».

L’entrée dans la carrière universitaire

Laurent Champaney poursuit donc ses études en filière E (remplacée en 1995 par la filière S options sciences de l’ingénieur) puis par une classe préparatoire à Angers – sa ville de naissance – avant d’obtenir un DEA en mécanique des structures de l’université Pierre et Marie Curie (aujourd’hui Sorbonne Université) et d’intégrer l’ENS Cachan (devenue ENS Paris-Saclay) : « J’aurais pu entrer aux Arts et Métiers après ma prépa mais je pensais déjà à enseigner, à donner envie aux autres de comprendre le monde et de le changer. Et être payé me donnait également une certaine indépendance ». Et s’il poursuit sa route universitaire en obtenant une agrégation puis en doctorat avec « « Une nouvelle approche modulaire pour l’analyse d’assemblages de structures tridimensionnelles »» c’est toujours avec une vision très opérationnelle : « Ce qui me passionne c’est la recherche appliquée. J’aime réaliser des choses, bricoler. Je n’ai jamais vraiment été intéressé par la partie publication du métier d’enseignant-chercheur ni par les congrès ».

Son premier poste d’enseignant sera en 1996 de PRAG à l’Université Versailles Saint-Quentin où il deviendra ensuite maître de conférence jusqu’en 2005. Il y rencontre l’une des femmes qui vont marquer sa carrière, Raymonde Drouot, la directrice du département de mécanique : « J’ai toujours eu des mentors femmes comme Marie Reynier, qui a été ma professeure à Cachan avant de diriger les Arts et Métiers puis d’être conseillère du Premier ministre, Edouard Philippe, ou Claire Dupas qui me confie la direction du département de génie mécanique de l’ENS Cachan ». Il y passera sept ans avant de rejoindre les Arts et Métiers en 2012.

L’expérience américaine

Sept années ponctuées par un passage d’un an aux Etats-Unis. En 2009 Laurent Champaney est professeur invité à l’université de Californie à Los Angeles, la très fameuse UCLA, avec une disponibilité d’un an : « C’était un projet de recherche qui n’a pas vu le jour. J’ai finalement beaucoup enseigné à des étudiants de troisième année de bachelor ». Installé à Santa Monica, il y retrouve un environnement américain qu’il connaissait déjà bien pour y avoir souvent voyagé en famille dans le cadre d’échanges de maison : « Mais je n’étais pas pour autant totalement fluent. J’ai passé beaucoup de temps à améliorer mon anglais. Cela a été une superbe expérience professionnelle ». Aujourd’hui encore il voyage beaucoup pour « comprendre les autres ».

Professeur aux Etats-Unis il y apprécie beaucoup la dynamique, la fierté d’être étudiant comme enseignant : « On y retrouve à la fois un profond respect du professeur et une certaine proximité. Après l’examen final j’ai eu beaucoup de remerciements de mes étudiants, un peu comme en classe préparatoire à l’agrégation à l’ENS ». Il y est en revanche « surpris du caractère très académique des formations d’ingénieur » : « Il n’y avait qu’un seul TP et il consistait, pour des raisons de sécurité, à seulement regarder un technicien utiliser une machine ».

De plus les étudiants sont « très passifs, même en doctorat » : « C’est aussi pour cela que nos doctorants sont très appréciés : ils ont une vraie réflexion ». Aujourd’hui il dit encore à ses étudiants combien cette expérience a été « formidable » mais qu’il ne « faut pas réaliser son PhD là-bas ».

Déjà père de deux enfants, Laurent Champaney découvre également ce qu’est le système éducatif américain : « Au lycée tout le monde est ensemble et les professeurs donnent de la fierté à tout le monde. C’est très agile avec des professeurs hyper investis ».

Son arrivée aux Arts et Métiers en 2012

Après trois autres années passées à l’ENS, Laurent Champaney accepte en 2012 le poste de directeur général adjoint des Arts et Métiers. Arrivé en même temps que le nouveau directeur, Laurent Carraro, il prendra sa suite à la direction générale de l’école en 2017 quand ce dernier décide de partir après un premier mandat et lui « tend la perche » pour lui succéder :« Je ne me sentais pas encore prêt, je pensais plutôt à la direction d’une plus petite école, j’avais déjà répondu à une candidature pour un poste de directeur général adjoint à CentraleSupélec mais à attendre le bon moment on ne fait jamais rien ! » Et très tôt Laurent Champaney a su se rendre utile. Président du BDE de l’ENS, directeur du département de génie mécanique de l’ENS Cachan, vice-président de jurys d’agrégation, président de la Conférence des Grandes écoles (CGE) depuis 2021, il enchaine les postes et les responsabilités.

De ses cinq années aux côtés de Laurent Carraro, parfois difficiles tant l’opposition entre celui-ci et la puissante association des anciens fut frontale, il conserve le souvenir de « sa capacité à innover » : « Il a mis l’école dans une bonne dynamique avec le changement de statut et le passage à un établissement unique des huit campus de l’école ». Pendant ces années Laurent Champaney aura notamment été à la base de la création du bachelor des Arts et Métiers, l’un des tous premiers à voir le jour dans une école d’ingénieurs, et du développement de l’apprentissage qui concerne aujourd’hui 1000 de ses 6000 étudiants.

Deux mandats à la tête des Arts et Métiers

Pendant son premier mandat Laurent Champaney aura ouvert de nombreux dossiers comme la filialisation des activités de formation continue, la restructuration de la pédagogie, la dynamisation de la recherche et surtout le retour à une situation financière saine. Mais en 2022 devait-il postuler un deuxième mandat ? « Je me suis posé la question. J’avais indiqué que je ne ferai pas de deuxième mandat, qu’après dix ans il fallait que je pense à changer. Peut-être à repartir à l’étranger. Mais le Covid avait repoussé la conclusion de nombreux dossiers. Je voulais encore renouveler la dimension métiers de l’école, notamment en y ajoutant une couche digitale, pour réaffirmer notre identité et réancrer l’école sur ses fondamentaux, lui donner une fierté. Il faut également inscrire l’école dans une politique RSE plus affirmée. J’ai décidé de rester. »

Cette dimension numérique passe par le développement d’une Evolutive Learning Factory, une sorte d’« usine école évolutive » : « Avec le développement de l’apprentissage, il s’agit de transformer notre outil pratique de formation pour former plus d’étudiants ». Mais encore faut-il trouver des moyens comme c’est le cas pour certains laboratoires de l’école qui n’ont pas de financement récurrent tout en demandant des investissements importants en termes d’équipements. La solution : « Aller chercher des financements pour la formation comme nous le faisons pour la recherche. Il ne faut pas toujours tout attendre de l’Etat ». Seulement il ne faut pas non plus que l’Etat mette des bâtons dans les roues de l’école comme il l’a fait en bloquant une très mesurée augmentation des droits de scolarité en 2021 : « Nous envisagions une augmentation de 1900€ par an pour les 80% de nos élèves qui ne sont pas boursiers, soit un total de 2500€ par an qui nous aurait permis de dégager chaque année deux millions d’euros supplémentaires sur un budget total de 130 millions avec nos filiales. Une hausse qui nous aurait mis au même niveau que la plupart des écoles qui nous précèdent dans les classements. Mais nous avons rencontré l’opposition d’un certain nombre d’étudiants et d’alumni qui mettaient en avant des questions d’ascenseur social ».

Le modèle des Arts et Métiers et des Grandes écoles

Arts et Métiers c’est 11 implantations, huit campus et trois sites dans toute la France. Un modèle multisite qui rapproche l’école des collectivités, un modèle de formation avec beaucoup d’équipements qui lui donnent de la valeur mais… pas toujours assez de moyens pour se développer : « Nous sommes persuadés d’être le modèle utile pour l’industrie. Ce que nous demandons à l’Etat ce n’est pas de l’argent mais de l’agilité ». Un exemple : son corps professoral spécifique, recruté après une première carrière dans l’industrie, est en voie de s’éteindre : « Le plus jeune a aujourd’hui 53 ans alors que nous avons besoin de ce type de profil qui n’entre pas dans les grilles de la fonction publique ». Pour y remédier l’école fait participer des enseignants payés par sa filiale aux enseignements : « Nous avons besoin de ces enseignants moins académiques pour délivrer des cours en formation initiale mais aussi en apprentissage et en formation continue ».

A la présidence de la Conférence des Grandes écoles depuis 2021, Laurent Champaney y a découvert d’autres modèles, qui l’ont « aidé à trouver d’autres façons de faire ». « Il ne faut pas hésiter à ouvrir plus de partenariats public – privé comme à CY Cergy Paris Université ou à l’université Gustave Eiffel qui se sont toutes deux rapprochées d’école d’ingénieurs privées », prône-t-il. A la CGE il vit une expérience qui « profite à l’école en termes de visibilité » tout en lui permettant de faire avancer les dossiers des Grandes écoles : « Nous faisons beaucoup de lobbying parlementaire. Un aspect sur lequel nous ne communiquons sans doute pas assez ». Aujourd’hui Laurent Champaney souhaite briguer un deuxième mandat à la tête de la Conférence des Grandes écoles en juin prochain à l’occasion du renouvellement de ses instances.

  • Les « jumeaux numériques » des Arts et Métiers. « Vous vous déplacez avec votre GPS : Google Map est un jumeau du système routier connecté au réel qui envoie des informations pour affiner les calculs et proposer un meilleur itinéraire. » C’est ainsi que Laurent Champaney explique ce que sont les jumeaux numériques qui envahissent aujourd’hui tous les secteurs et pour le développement desquels son école a reçu des financements. Son JENII (Jumeaux d’Enseignement Numériques Immersifs et Interactifs) bénéficie en effet du plus important budget de l’appel à manifestations d’intérêt « Démonstrateurs Numériques dans l’Enseignement Supérieur » (DemoES). « Aujourd’hui quand les avions sont inspectés visuellement, les informations sont envoyées à leur jumeau numérique. Un bâtiment neuf possède son jumeau numérique, reprend le directeur. Ces jumeaux peuvent également être très réels comme quand un golfeur est modélisé en laboratoire pour lui permettre d’améliorer ses mouvements tout en évitant de se blesser : « Avec JENII nous développons une pédagogie qui utilise la technologie des jumeaux numériques et permet ainsi de simuler des actions, dont certaines seraient dangereuses à mettre en œuvre réellement ».
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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