« Quel rôle doivent jouer les EESPIG dans l’évolution de l’enseignement supérieur en France ? »: entretien avec Jean Charroin, président de la Fesic

by Olivier Rollot

Incertitudes ministérielles ou pas, en cette rentrée la loi de Modernisation et de régulation de l’enseignement du supérieur occupe encore largement les esprits. Président de la Fesic (Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif) depuis cet été, le directeur général de l’Essca, Jean Charroin, revient également avec nous sur les grands enjeux d’un enseignement supérieur à la croisée des chemins.

Olivier Rollot : Vous venez de prendre la présidence de la Fesic à un moment particulièrement important. En cette rentrée la loi de Modernisation et de régulation de l’enseignement du supérieur devrait être examinée au Parlement. Êtes-vous favorable à cette loi ?

Jean Charroin : Oui et j’espère qu’elle ira au bout même si on peut avoir des doutes dans le contexte politique actuel. Cette loi présente des éléments très positifs. Les établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général, les EESPIG, que la Fesic représente, font partie du premier cercle, des établissements qui devraient être « en partenariat » avec l’État.

Notre objectif est également de faire en sorte qu’ils ne deviennent pas une « espèce protégée en voie de disparition ». Grâce au contrat EESPIG, ces établissements bénéficient d’une reconnaissance et d’une protection, mais il faut éviter qu’ils disparaissent progressivement à cause de la diminution de leur visibilité ou de leur nombre. La question centrale est donc : quel rôle doivent jouer les EESPIG dans l’évolution de l’enseignement supérieur en France ?

O. R : Mais quels critères devraient être adoptés pour qu’un établissement puisse être partenaire ?

J. C : Notre position est assez claire : nous sommes favorables à une logique d’extension du partenariat à condition de préserver la notion de non-lucrativité. Il ne faut pas l’ouvrir à des acteurs privés lucratifs qui ont vocation à sortir du capital à plus ou moins long terme. Au-delà de la qualité de la formation il faut aussi avoir une logique de long terme de la gouvernance.

On nous dit qu’il y a des actionnaires patients mais c’est le principe même d’un investissement ! Être partenaire c’est s’inscrire dans une logique de continuité de service public laissant une large place à la pédagogie de long terme. Quelle est la pérennité d’un projet qui peut être de seulement 5, 7 ou 10 ans ?

Le deuxième « cercle », celui de l’agrément, peut-être plus ouvert.

O. R : Les EESC (établissements d’enseignement supérieur consulaire) doivent-ils entrer dans le premier cercle des partenaires ?

J. C : Ils semblent avoir vocation à l’être.

O. R : La nécessité d’être « agréés » pour avoir accès à Parcoursup vous parait-elle une bonne garantie de la qualité des établissements ?

J. C : Parcoursup est un dispositif utile et important mais aujourd’hui, il recense encore des formations non contrôlées et qui sont parfois de très faible qualité. Il est essentiel que la plateforme devienne un espace de confiance pour les jeunes et leurs familles. S’agissant de la garantie de qualité, il faudra être vigilant à ce que le référentiel de l’agrément soit claire et exigeant : taux d’encadrement, volume horaire, qualité pédagogique etc. Par ailleurs Parcoursup n’est pas le seul enjeu de l’enseignement supérieur, le secteur doit aussi relever des défis bien plus larges : la formation continue, la recherche, l’internationalisation, et surtout l’alternance.

O. R : Le financement de l’apprentissage doit-il évoluer en le réservant par exemple à de futurs établissements agrées ou partenaires ?

J. C : Je ne mésestime pas la question de nécessaire équilibre des finances publiques. Or certains acteurs très opportunistes ont profité de l’effet d’aubaine du développement de l’apprentissage pour se développer. Voir des établissements distribuer des dividendes après avoir touché des fonds publics est-ce normal ?

L’alternance joue aussi un rôle crucial en matière d’égalité des chances : elle permet à des jeunes d’étudier sans payer et de percevoir un salaire. Cela favorise une ouverture sociale réelle. Il est donc essentiel de maintenir ce modèle, tout en assurant que les fonds publics investis soient bien utilisés et réinjectés dans une mission éducative professionnalisante et qualitative.

La question du financement de l’alternance est cruciale. Si on considère l’alternance comme une composante du service public de l’enseignement supérieur, il faut penser à un modèle de financement pérenne. Certains établissements ont trop misé sur ce modèle sans réelle visibilité, et cela pourrait devenir risqué dans un contexte budgétaire contraint.

O. R : Que représentent les financements des EESPIG pour les établissements qui y ont droit ?

J. C : Cela reste marginal, en moyenne 5% de leurs ressources. Il est toutefois important de noter que cette subvention, qui intervient au titre des missions de service public, menées par les écoles EESPIG, ne les compense pas pour autant. Par exemple, la recherche, à elle seule, représente plus de 10% du budget des établissements.

O. R : On semble entrer dans une période de turbulences dans l’enseignement supérieur. On parlait du choc démographique à venir en 2030 mais c’est dès cette année que beaucoup d’établissements vivent un « choc de recrutement » !

J. C : La question de la taille critique va devenir de plus en plus pressante, notamment à cause :

  • de la baisse démographique des étudiants ;
  • des contraintes budgétaires (financement de l’alternance, investissements technologiques comme l’IA) ;
  • de la transformation du modèle économique.

Aujourd’hui il me semble que nous sommes dans un effet ciseau : les établissements ont continué à ouvrir plus de places alors que le nombre de candidats stagne. Il faut aussi réfléchir aux conséquences de la réforme du bac et de la baisse du nombre de profils scientifiques susceptibles d’entrer dans des école d’ingénieurs. Et particulièrement des femmes.

C’est aussi pour cela que nous avons privilégié la résilience dans le nouveau plan stratégique de l’Essca contrairement à certains plans qui affichent des ambitions qui peuvent paraitre irrationnels ou sont dans des stratégies de prédation.

Il est possible que des fusions entre établissements deviennent inévitables dans les années à venir.

La participation aux projets européens et à la recherche est aussi un enjeu majeur. Certains établissements sont prêts, d’autres non. Une montée en compétence est nécessaire. Mais beaucoup d’écoles restent de taille modeste : comment alors s’intégrer dans des dynamiques de site ou de recherche à grande échelle ?

De même beaucoup d’écoles doivent aujourd’hui investir — notamment dans les technologies comme l’intelligence artificielle — sans être certaines de la pertinence de ces choix à 2 ou 5 ans. Les plans stratégiques sont donc difficiles à établir. Il y a une instabilité politique, institutionnelle, technologique et écologique qui rend les projections complexes.

L’immobilier reste également un sujet stratégique. La plupart des bâtiments sont sur-utilisés entre septembre et février, puis quasi inoccupés à partir d’avril (stages, mobilités internationales, etc.). L’avenir pourrait consister en des campus plus flexibles, adaptés à une présence étalée sur toute l’année, et à des modèles plus hybrides travail/études comme aux États-Unis ou au Canada.

O. R : Qu’est-ce qui pourrait vous empêcher de dormir dans ce contexte pour l’Essca ?

J. C : Je dors peu et bien. Je suis même plus serein pour l’Essca que je ne l’ai jamais été avec le plan stratégique de résilience que nous avons adopté. Le moment où nous avons investi pour notre expansion territoriale était opportun mais il ne pouvait être retardé ou reporté. Il fallait tenir compte de la croissance résiduelle de la décennie 2015-2025. Il faut dorénavant faire preuve de précautions.

Je considère aussi que le positionnement multi-campus de l’école est une bonne option pour les familles qui trouvent un intérêt à la proximité.

O. R : Dans ce contexte l’enseignement supérieur va-t-il rester une activité rentable pour les investisseurs ?

J. C : L’enseignement supérieur privé a longtemps été attractif pour les investisseurs, mais avec la baisse démographique, cela va changer. On verra moins d’investisseurs orientés développement, et plus d’acteurs de la restructuration. Cela impactera aussi la capacité à obtenir des financements, notamment dans l’immobilier ou la recherche.

Dans les écoles de management en particulier, le coût de la recherche devient problématique. Le maintien des accréditations internationales repose en partie sur cette activité, mais toutes les écoles n’ont pas les moyens de la soutenir. Il faudra démontrer l’impact de la recherche, faute de quoi elle pourrait être remise en cause dans un contexte économique sous tension.

Quant à la formation continue, elle est très développée dans les écoles de management (executive education), beaucoup moins dans les écoles d’ingénieurs. Le potentiel de développement reste fort, mais inégal selon les types d’établissements.

O. R : Vous serez on l’imagine actif lors des prochaines échéances électorales. Notamment l’élection présidentielle de 2027.

J. C : La prochaine élection présidentielle sera un moment clé pour faire des propositions. Les financements directs – la subvention d’équilibre – seront difficile à obtenir. En revanche, des financements sur projet, avec un retour sur investissement académique ou économique, me semblent plus réalistes. L’enjeu est de proposer un projet cohérent, ambitieux et aligné avec les priorités nationales.

Les institutions représentatives comme la Conférence des Grandes écoles (CGE), la Conférence des directeurs d’écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi), la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) ou France Universités contribuent à faire avancer les débats. Il est important de coordonner les positions, même en cas de désaccords, pour gagner en cohérence dans le dialogue avec les pouvoirs publics. Des échanges réguliers sont prévus entre responsables pour porter des propositions communes.

L’enseignement supérieur privé d’intérêt général entre dans une phase de réalisme stratégique. Il ne s’agit plus seulement de surfer sur la croissance passée, mais d’adapter le modèle à un monde plus complexe, plus incertain. Il faudra faire des choix, coordonner les efforts, et surtout défendre un projet éducatif clair, lisible et aligné avec l’intérêt général.

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