C’est le 30 janvier que la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a reçu des mains de Sylvie Brunet, présidente de la section Travail et emploi du Conseil économique, social et environnemental, un rapport sur l’apprentissage dont elle espère bien qu’il va permettre de rabibocher les parties. Car la réforme de l’apprentissage prend une tournure que personne n’avait anticipé tant les tensions entre les régions et le Medef s’exacerbent autour de la question du pilotage du dispositif. Les réunions des 19 et 26 janvier ont même dû être ajournées à la suite du boycott du Medef. Depuis la tension semble un peu retomber alors que bien d’autres acteurs font entendre leur voix. Les pourparlers ont finalement reprise le 2 février.
Que dit le rapport ? Le rapport de Sylvie Brunet formule 44 propositions qui devraient pour la plupart alimenter le futur projet de loi attendu au printemps selon Les Échos. D’autant qu’elles ne s’attaquent pas aux principaux points de tension. Sans aller jusqu’à la fusion que beaucoup préconisaient, le rapport suggère ainsi de « faire converger le contrat d’apprentissage et celui de professionnalisation ». La saisie des prud’hommes en cas de rupture de contrat au-delà de la période d’essai pourrait également être évitée. Par ailleurs le critère d’âge serait abandonné dans la fixation du salaire des apprentis pour ne conserver que le niveau de diplôme préparé. Toujours pour réduire les carcans réglementaires il serait possible de signer des contrats toute l’année et plus seulement entre juin et novembre.
L’opposition régions / patronat. Quand on parle d’un financement de 1,6 milliard d’euros il n’est pas étonnant que deux logiques s’affrontent avec tant de pugnacité. D’un côté celle d’un patronat qui estime savoir qui il doit et comment les former. De l’autre des régions qui défendent à la fois une logique territoriale, un « sens du service public » et… les emplois de leurs salariés. Depuis son élection, le 22 novembre dernier, à la tête de l’Association Régions de France (ARF), Hervé Morin le proclame : « Le système Medef-UIMM, c’est la main invisible du marché, la loi de l’offre et de la demande. Il faut un minimum de pilotage public, sinon on va assister à un appauvrissement considérable de l’offre de formation ».
Les points de vue se rapprochent. Mardi 30 un premier rapprochement a eu lieu entre la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) et Régions de France. Par le biais d’une lettre commune les deux organisations ont dit accepter de passer d’un système de subventions régionales des centres de formation d’apprentis (CFA) à un financement au nombre de contrats. Une logique qui était déjà celle des contrats de professionnalisation et qui est chère au patronat mais que refusaient par exemple les chambres de commerce et d’industrie. Pour autant la « péréquation national » que revendiquaient les régions – pour aider les zones moins favorisées – serait également actée. En échange les régions renonceraient au droit de véto qu’elles entendaient avoir quant à l’ouverture de nouveaux CFA.
Tensions au sein du gouvernement. Édouard Philippe et Muriel Pénicaud seraient en opposition selon le JDD. Le président de la région Normandie, Hervé Morin, aurait en effet l’oreille d’Édouard Philippe quand sa ministre pencherait plutôt du côté du Medef. Toujours selon le JDD, Jean-Michel Blanquer serait soucieux de préserver les lycées professionnels, gérés par les régions, et qui entrent en concurrence avec les centres de formation d’apprentis (CFA).
Écoles et universités se méfient. Alors que la semaine dernière la CPU appelait dans un communiqué « le gouvernement, les branches professionnelles ainsi que les régions, à une prise de conscience de l’enjeu social majeur que représente la formation par apprentissage dans l’enseignement supérieur » ce sont cette semaine la CGE et la Cdefi qui « appellent à maintenir le développement de l’apprentissage comme une voie d’excellence et de réussite pour l’enseignement supérieur ». Elles proposent notamment que le « hors quota » (pas destiné à financer l’apprentissage) puisse être distingué du dispositif d’apprentissage stricto sensu et qu’une nouvelle dénomination lui soit attribuée, telle que « contribution des entreprises au financement de l’enseignement supérieur ». Rappelant que les écoles ont subi une baisse moyenne de la taxe d’apprentissage de 37 % à la suite de la réforme mise en œuvre en 2014, elles demandent également que « le financement de l’apprentissage soit pris en charge à hauteur du coût réel de la formation supporté par les écoles » et que « le principe de libre affectation de cette contribution par les entreprises soit maintenu ».
Pour autant certains critères pourraient être établis selon elles qui citent « le taux d’insertion professionnelle des diplômés de l’établissement, sa politique en matière de transformation numérique ou d’innovation pédagogique, ses actions en termes d’ouverture sociale, d’égalité entre les femmes et les hommes, de handicap ou de responsabilité sociétale ». En ce qui concerne les établissements bénéficiaires, la CGE et la CDEFI préconisent de conserver la liste nationale, fixée par le Code du travail, des organismes éligibles aux ressources du « hors quota ».
Des logiques différentes. Tous ces débats permettent également de s’interroger sur la finalité de l’apprentissage. Acteurs majeurs du système, les chambres de commerce et d’industrie rejettent ainsi, par la voix de CCI France, une « logique de régulation de l’ouverture et des fermetures de places en CFA par le jeu de l’équilibre entre l’offre et la demande ». C’est-à-dire selon elles une « approche de marché où les CFA seraient rémunérés au contrat avec une profonde remise en cause des circuits de financement supprimant le lien financier direct entre l’entreprise et le CFA ».
Quant au président de l’Ugei (Union des grandes écoles indépendantes), Jean-Michel Nicolle, il estime que si « la responsabilité attribuée aux branches permet un meilleur équilibrage de l’offre sur l’ensemble du territoire » il bien prendre garde à « que la réponse de formation ne vise pas à couvrir les seuls besoins immédiats de l’économie mais prenne en considération les besoins futurs ». Et d’insister : « L’utilitarisme à ses limites et l’objectif est bien de donner aux jeunes une capacité d’adaptation, une flexibilité opérationnelle qui leur permettra de saisir les opportunités tout au long de leurs 40 ou 45 ans de vie professionnelle ! »
- La CCI Paris Ile-de-France vient de publier une enquête qui démontre que 88% des entreprises franciliennes elles pensent former des apprentis dans les 3 prochaines années. Cet intérêt se fait davantage ressentir dans les entreprises de plus de 250 salariés (94%) que dans les plus petites de 3 à 9 salariés (37%). Pour fidéliser leur relation avec les écoles, 66% des entreprises versent leur taxe d’apprentissage à un organisme collecteur en désignant un ou des établissements de formation bénéficiaires. 90% choisissent des établissements où sont formés leurs apprentis et 50% flèchent des établissements de formation au sein desquels elles recrutent leurs salariés.