Saclay, Hesam, PSL : fin 2014 trois grandes Comue parisiennes ont changé de direction. La première a mis son avenir dans les mains d’un grand chercheur, Gilles Bloch, la deuxième au directeur d’une des plus grandes écoles d’ingénieurs françaises que sont les Arts et Métiers, Laurent Carraro, la troisième à ancien président de l’université Cergy Pontoise et également chercheur, Thierry Coulhon. Trois personnalités, trois Comue, trois cas pratiques qui donnent l’occasion de se pencher sur ce que seront demain les Comue.
Des dirigeants très politiques
De 2006 à 2009, Gilles Bloch a été directeur général de la recherche et de l’innovation au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Après avoir été son conseiller spécial, Thierry Coulhon a été directeur adjoint du cabinet de Valérie Pécresse, de 2009 à 2010, et a ensuite piloté de programme « campus d’excellence » dans le cadre du Grand emprunt. De 2008 à 2011, Laurent Carraro a été conseiller scientifique pour les formations auprès du directeur général de l’enseignement supérieur.
Ces trois présidents de Comue sont trois héritiers de ces « années Pécresse » qui ont tant transformé l’université se trouvent ainsi à la tête de trois gros « paquebots » qu’ils se sont employés en leur temps à créer. Trois personnalités capables de conduire à bien le déploiement de leur Comue en se faisant respecter de leurs mandants comme de leur tutelle. Mais également trois « volontaires » qui n’ont pas rencontré une rude concurrence : seulement quatre candidats « crédibles » s’étaient présentés pour la présidence de PSL et cinq à Paris-Saclay. C’est dire si la gouvernance de ces grands ensembles un peu flous, dans lesquels les établissements membres semblent vouloir garder la plupart de leurs prérogatives, suscite plus de craintes que d’envie. Pas étonnant donc que ce soient des profils très « politiques » qui s’y risquent…
Quel équilibre entre les universités et les grandes écoles ?
Paris-Saclay et Hesam et PSL ont cela de particulier dans le paysage français des Comue qu’elles s’inscrivent dans un modèle où l’équilibre est assuré entre universités et grandes écoles. Paris Sud et l’UVSQ se partagent ainsi le pouvoir avec l’École polytechnique, HEC ou encore CentraleSupélec Paris au sein de Paris-Saclay quand Paris 1, les Arts et Métiers ou encore ESCP Europe tentent de trouver un équilibre dans une Hesam toujours bien mal en point et dont quatre membres (EHESS, EPHE, École des Chartes et l’École française d’extrême Orient) ont récemment rejoint Paris Sciences et Lettres pour y trouver le réconfort d’une Comue plus proche de leurs préoccupations de grandes écoles.
Si on y ajoute la démission de Monique Canto-Sperber de la direction de PSL ou les questions sur l’« excellence » d’une Comue Paris-Saclay ouvert à l’UVSQ et, sans doute demain, à l’université d’Évry, on mesure combien l’équilibre est difficile à trouver entre les deux grands modèles de l’enseignement supérieur français. Les règles d’unanimité de PSL, largement responsables de la crise, devraient au moins être bientôt réformées.
Des tailles « raisonnables »
Parce qu’à elle toute seule l’Ile-de-France regroupe un quart de l’enseignement supérieur français (plus de 650 000 étudiants en 2012-2013) il n’était pas envisageable d’y constituer une seule grande Comue à l’image de ce qui se fait partout en France. Il a donc fallu réfléchir à des Comue qui ne sont pas seulement régionales et regroupent des établissements qui se veulent complémentaires dans des ensembles de tailles « raisonnables » : moins de 60 000 pour Hesam et Paris-Saclay et un peu plus de 15 000 pour PSL.
Des proportions qui se rapprochent de celles que vante Jean Tirole, notre récent Prix Nobel d’économie, pour lequel il faudrait des « ensembles pluridisciplinaires de 15 000 étudiants », ou des universités leaders dans le monde (20 000 étudiants à Harvard, 11 000 à Yale, 16 500 à Cambridge, etc.). En tout cas loin des 220 000 étudiants de la Comue Bretagne Pays-de-la-Loire ou des plus de 100 000 d’Aix-Marseille.
En ligne de mire : le Classement de Shangaï
Si quelques universitaires chinois ne s’étaient pas posé la question de la valeur des universités en 2003, reléguant ainsi les universités françaises loin des meilleures américaines et britanniques, sans doute les Comue n’existeraient pas aujourd’hui. Mais voilà le Classement de Shangaï existe et a même été rejoint par quelques clones. Nous sommes dans un monde de classement et les universités françaises ne peuvent y briller qu’en se réunissant pour atteindre cette fameuse « taille critique » qui leur permettra de progresser.
Mais encore faut-il que les ratios étudiants / enseignants chercheurs soient du niveau mondial. Dans le cas de PSL ses 15 000 étudiants sont face à 2500 chercheurs, soit un ratio d’excellence 1 à 6,5. Le ratio est un peu plus faible à Paris-Saclay, dont les 60 000 étudiants sont au contact de 10 500 enseignants-chercheur et chercheurs, et le ratio baisse encore pour Hesam : 55 000 étudiants pour 3 500 enseignants, enseignant-chercheur et chercheurs, soit un ratio de 1 à 15,7. Clairement leur nombre de publications, leurs apports à la recherche, leur nombre de doctorants ne peuvent pas être les mêmes. Comment vont-elles se positionner sur la scène mondiale ?
Quel rôle pour chaque Comue ?
Dans un rapport publié fin 2014 sur la sélection à l’université, le think tank Terra Nova rappelait qu’un quart des universités concentraient plus de la moitié des moyens de recherche, et que, « nonobstant le caractère national des diplômes, il n’est pas vrai qu’elles sont toutes en mesure de proposer strictement le même enseignement ». Et enfonçait ainsi le clou : « N’est-il pas préférable que chacune joue avec ses atouts propres, liés à une localisation, à un bassin d’emploi, au rassemblement de compétences spécifiques ? Les universités où la recherche ne pèse pas aussi lourd ont bien des atouts ; elles offrent souvent un meilleur suivi aux étudiants de licence que les universités les plus proches du modèle international d’universités de recherche ».
Même si le gouvernement semble aujourd’hui vouloir rapprocher leurs moyens, les universités comme les grandes écoles n’ont déjà pas toutes les mêmes objectifs d’excellence aujourd’hui. Même si des pôles d’excellence peuvent exister dans chaque Comue, toutes ne peuvent pas posséder en leur sein l’université de Strasbourg, Polytechnique ou l’UPMC. Après l’heure des regroupements va venir l’heure des choix.