Président de l’Association des proviseurs de lycées ayant des classes préparatoires aux grandes écoles (APLCPGE), proviseur du prestigieux lycée Louis-Le-Grand, Michel Bouchaud connaît les classes préparatoire mieux qui quiconque. Son regard sur un univers d’excellence qui se rapproche aujourd’hui des universités avec la signature de conventions dont le retard témoigne de tensions persistantes.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Comment se portent les classes prépas aujourd’hui ? On a le sentiment que les critiques contre elles se sont tues après quelques années où elles furent parfois virulentes.
Michel Bouchaud : On continue d’observer sur admission-postbac un appétit pour les classes préparatoires qui ne se dément pas chez les élèves. Qu’on le veuille ou non le passage dans l’enseignement supérieur suppose une transition que font très bien les classes prépas ; ce que comprennent bien d’excellents élèves, mais pas seulement eux. Avec 42 000 à 45 000 nouveaux préparationnaires chaque année, on est loin d’un élitisme pointu, d’autant que de nombreuses autres filières, comme le droit, la médecine ou encore l’économie-gestion, accueillent elles aussi d’excellents et de très bons élèves.
Un autre atout des classes préparatoires réside dans l’accueil de leurs élèves selon un processus classant : les élèves sont admis là où il sera le plus optimal pour eux d’étudier. Ceci est rendu possible car nos classes sont graduées à raison de leurs capacités à attirer les meilleurs élèves. Il y a donc des classes prépas pour tout le monde avec des niveaux très divers. Et toutes débouchent sur une Grande École et le grade de master.
C’est un parcours relativement bien sécurisé dans les prépas scientifiques et économiques où les concours font office de choix d’orientation puisqu’il y a de la place pour tous les candidats. Tout le monde n’intègre certes pas l’ENS, Polytechnique ou HEC mais tout le monde est certain d’intégrer une école plus ou moins généraliste à l’issue de sa prépa. Les débouchés offerts par les classes littéraires se sont étoffés amplement et ont gagné en lisibilité ces dernières années.
O. R : Mais tout le monde peut-il intégrer les meilleures prépas comme la vôtre? N’est-ce pas réservé à ceux issus des grands lycées de centre-ville ?
M. B : L’examen des dossiers des candidats se fait avec le plus grand sérieux et permet d’orienter les élèves de tous les lycées dans les prépas qui leur correspondent. En deuxième année nous avons ainsi aujourd’hui à Louis-Le-Grand un futur mathématicien célèbre, qui aurait sans doute pu passer le concours de l’École normale supérieure dès la première année, issu d’un lycée de Dammarie-Les-Lys pas particulièrement réputé. Son parcours là-bas n’était même pas excellentissime et pourtant nous l’avons sélectionné après avoir lu des appréciations vraiment pas ordinaires en maths dans son dossier. Ce talent, il l’a confirmé ensuite en obtenant le 1er prix du Concours général.
O. R : Les prépas ne sont plus depuis longtemps le seul moyen d’intégrer les grandes écoles. Pourquoi de très bons élèves choisissent-ils d’autres voies pour intégrer une grande école?
M. B : Une Grande École ou une formation d’excellence. Toutes les prépas sont concurrencées aujourd’hui, que ce soit par les Insa, les instituts d’études politiques (IEP), les études juridiques, la PACES (première année commune aux études de santé) ou les bi-licences qui sont accessibles dès le bac. Les parcours exigeants ne manquent pas dans des domaines bien différents.
Les prépas offrent des programmes exigeants – mais accessibles – conduisant à des formations de très haut niveau placées sous la tension que représente la préparation à un concours. On peut ne pas en avoir envie de s’engager dans un tel processus. Aussi je pense que les cursus de premier cycle devraient être plus fluides et permettre que l’on envisage des bifurcations plus aisées: de prépa en licence, de licence en prépa, de licence en bachelor et de bachelor en licence… Ensuite il est évident que nos élèves gagnent à rencontrer d’autres étudiants ayant connu d’autres parcours de formation (et réciproquement) ; issus de CPGE, de l’université, ou de l’étranger : tous se retrouvent une fois entrés en Grande École.
O. R : Mais qu’apportent encore les prépas de spécifique par rapport aux autres voies ?
M. B : La prépa forme pour chaque étudiant un moment d’épanouissement intellectuel que favorise la disponibilité que connaît le cerveau humain à l’âge considéré, c’est aussi le moment où l’on peut embrasser toutes les ambitions et se montrer ouvert à l’univers des possibles. En prépa, chacun va pouvoir se confronter aux études parmi les plus difficiles et apprendre à relever des défis intellectuels, le tout en étant guidé par d’excellents professeurs qui enseignent avec talent et disponibilité.
En prépa, on apprend tout autant par ses pairs car c’est l’émulation intellectuelle plutôt que la concurrence qui entre en jeu parmi nos élèves. Ils en conservent d’excellents souvenirs qu’ils nous rapportent régulièrement. Ainsi chaque année ceux qui en ont terminé avec leurs oraux de concours des la mi-juin continuent à venir en cours pour aider ceux qui les passent plus tard!
O. R : Preuve de leur qualité, les grandes écoles aimeraient recevoir plus d’élèves de prépas. Pourquoi n’y en a-t-il pas plus?
M. B : C’est difficile d’aller plus loin aujourd’hui, notamment pour des questions budgétaires. Ou alors il faudrait différencier davantage les classes prépas les unes des autres et adapter les concours en conséquence. Il y a vingt ans on a tendu à constituer des prépas moins différenciées en donnant le même programme dans chaque filière, notamment en sciences. Ce n’est pas forcément une bonne idée pour optimiser les performances.
O. R : Les concours classent les élèves de prépas scientifiques et économiques mais ceux issus des prépas littéraires ont très peu de chance d’intégrer une école normale supérieure!
M. B : Les débouchés en Grande École à l’issue de ces prépas littéraires restent insuffisants bien qu’ils se soient nettement améliorés avec la création de la Banque d’études littéraires (BEL). Après une khâgne, les étudiants littéraires peuvent intégrer à HEC, à l’ESSEC, mais aussi dans de nombreuses et diverses formations : soit en tout plus de 1000 places supplémentaires pour les littéraires en plus de leurs débouchés classiques dans les universités qu’il s’agit de ne pas négliger. Au total, les taux d’accès au grade de Master sont les mêmes pour les trois filières des classes préparatoires.
O. R : Avec la réforme récente du lycée pensez-vous que le niveau des élèves de terminale a baissé, notamment en terminale S?
M. B : Ils se montrent très ouverts aux technologies modernes tout en étant moins solides sur les savoirs classiques et basiques. Les élèves sont désormais moins entraînés au travail conceptuel, à la mémorisation des connaissances et à la réflexion qui s’installe dans la durée. La nouvelle organisation des lycées tend à vouloir mieux prendre en compte les besoins apparents des élèves mais elle engendre des différences plus grandes entre les formations délivrées d’un établissement à un autre, et même d’une classe à une autre. Ces différences ne sont certes pas nouvelles mais je crains qu’on les accentue en agissant de la sorte. On s’ingénie également à reporter à plus tard certaines acquisitions disciplinaires au mépris de l’appropriation indispensable de certaines notions fondamentales qui s’installent mieux dans le temps long.
De bonnes intentions peuvent parfois se révéler peu efficientes : ainsi on a voulu faire en sorte que les élèves ne fassent pas un blocage vis à vis des exigences que présente l’enseignement classique de la physique en favorisant une approche plus descriptive et peu modélisée par les mathématiques. Du coup les élèves sortent en fait du lycée sans en avoir fait suffisamment pour être mis en appétit. Résultat: la réforme provoque l’effet inverse du but recherché et nous assistons à une baisse régulière des inscriptions en PCSI (physique chimie science de l’ingénieur) et à un degré moindre en PTSI [physique, technologie et sciences de l’ingénieur]. En revanche la filière MPSI [mathématiques, physique et sciences de l’ingénieur] progresse notamment grâce aux deux spécialités mathématiques et informatique-sciences du numérique qui séduisent de plus en plus d’élèves et leur laissent mieux entrevoir ce que sont les disciplines concernées.
O. R : Comment procédez-vous exactement pour rattraper le niveau?
M. B : Pour remédier à cette moins bonne préparation aux études très exigeantes nous redéployons les moyens mis à notre disposition pour renforcer les acquis des élèves ou combler quelques lacunes et les mettre en situation de suivre des cours exigeants : les mathématiques et les sciences physiques font l’objet d’une mise à niveau en filière scientifique mais aussi les mathématiques dans les prépas économiques. Pour les lettres en revanche cela semble moins nécessaire.
Le premier semestre de première année est désormais considéré comme une période de transition offrant la possibilité de pousser progressivement le niveau des enseignements. Les disciplines littéraires et scientifiques telles que nos élèves les ont le plus souvent apprises au lycée ne répondent pas complètement aux attentes des enseignements donnés en CPGE et plus généralement dans l’enseignement supérieur. En fait cette réforme du lycée accentue encore le rôle de transition que joue avec efficacité les classes prépas.
O. R : Un sujet plus politique : les classes prépas sont censées signer des conventions avec les universités pour que leurs élèves aient la possibilité d’être également inscrits à l’université pour, éventuellement, y poursuivre ensuite plus facilement leur cursus. Où en est la signature de ces conventions? Il semble qu’elles aient pris beaucoup de retard.
M. B : Revenons en arrière: depuis 2007 et la transcription des règles européennes des équivalences, les ECTS, les classes prépas et les universités ont signé beaucoup d’accords de reconnaissance de niveau. Seulement tout n’est pas clair: 120 ECTS attribués en prépas MP ne permettent pas, par exemple, de poursuivre ses études en troisième année de licence de maths ou physique dans toutes les universités.
Aujourd’hui ces nouvelles conventions se préparent de manières très différenciées. Dans pas mal d’académies des points d’accords essentiels ont été trouvés alors que dans d’autres cela n’avance pas aisément. C’est particulièrement compliqué à Paris avec deux académies proches et de nombreux étudiants de prépas. Nous constatons même parfois que des propositions de convention se présentent en-deçà de ce qui existait déjà. Cela serait paradoxal de voir nos élèves inscrits dans des universités qui refuseraient de les diplômer !
Le principal problème consiste à prendre en compte tous les parcours prépas/universités alors qu’ils ne superposent pas tous : c’est simple en maths ou en physique ou en lettres mais plus difficile en biologie, en économie-gestion ou en géographie. Il faut alors passer des conventions qui prévoient qu’une partie seulement de la deuxième année de licence soit validée, 90 sur 120 par exemple. La loi de juillet 2013 nous donnait deux ans mais nous pensions arriver à signer les conventions dès décembre 2014. Aujourd’hui il faudrait parvenir à signer ces conventions avant l’été pour les appliquer dans la campagne admission-postbac 2015.
O. R : La signature de ces conventions vous semble une bonne chose?
M. B : La loi nous incite à signer des conventions qui vont sécuriser les parcours de nos élèves, cet aspect est très positif. De plus ce sera beaucoup plus facile pour eux d’enchaîner sur un double parcours grande école/licence-master qui pourrait enfin favoriser leur entrée en Ecole doctorale à l’étranger. Aujourd’hui ce n’est pas trop difficile de s’inscrire en doctorat après Polytechnique, Centrale, HEC ou l’ENS – même aux États-Unis où nos diplômes d’ingénieur sont considérés comme de même valeur que des masters of science pourtant obtenus après une année de plus – mais c’est beaucoup moins vrai pour les diplômés d’autres écoles.
Ces conventions permettent une association intelligente avec les universités alors que la création des ComUE (communauté d’universités et d’établissements) les rapproche des Grandes Écoles. Seulement cela ne se passe bien. Je ne sais si c’est à cause de la concurrence entre les établissements, qui cherchent tous à recruter les meilleurs élèves, ou si c’est le signe d’un mécontentement face à la charge de travail supplémentaire que provoquent ces conventions, mais cela ne se passe pas bien. Je ne comprends vraiment pas qu’on ne parvienne pas à modéliser ces conventions alors que les prépas ne revendiquent pas le caractère automatique de la validation de tous les parcours.
O. R : Et qu’en est-il de la répartition des sommes versées par les étudiants pour leur inscription à l’université. Les lycées veulent-ils toujours en toucher une partie?
M. B : Pour le moment, cette question n’entre pas dans la discussion portant sur les conventions de coopération, elle a été renvoyée à la décision de notre ministère. La position de l’APLCPGE est favorable à ce que nos élèves payent des droits d’inscription universitaires, comme le font ceux qui s’inscrivent à l’université, même s’ils ont des charges supplémentaires liées au passage des concours. Ces droits ont vocation à être servis à l’université mais, dans la mesure où nos élèves passent l’essentiel de leur temps dans les lycées et n’abusent ni des bibliothèques universitaires, ni de la médecine universitaire ni des installations sportives, il ne nous paraîtrait pas absurde qu’il y ait le reversement d’une partie de ces droits (25 à 30%) aux lycées. Cela nous permettrait de ne plus faire payer de frais de photocopies ou d’améliorer notre capacité à remplir notre mission d’orientation du lycée au postbac, le « -3 / + 3», en en couvrant les coûts afférents. À cet égard, chacun sait combien est crucial l’accompagnement de l’élève qui chemine de l’enseignement secondaire vers l’enseignement supérieur.
O. R : Mais que se passerait-il si un étudiant refuse de payer ces droits?
M. B : Les droits seront certainement payés directement à l’université et il n’y a pas sanctions prévues si un étudiant ne s’en acquitte pas. En ce cas, ils seront privés des bénéfices de la convention : accès aux bibliothèques, aux installations sportives, à la médecine universitaires….
O. R : L’exemple d’une bonne entente prépa/université c’est l’accord que Louis-Le-Grand vient de passer avec Paris 1.
M. B : A Louis-Le-Grand, nous avons de nombreux élèves qui s’intéressent au Droit dans toutes nos prépas, mais cela n’aurait évidemment aucun sens d’entrer directement en deuxième ou troisième année de licence de droit après une ou deux années de prépas. Nous avons donc décidé d’organiser des conférences avec nos collègues de l’UFR de Droit, elles sont réparties au long de l’année et se poursuivent par trois semaines de cours intensifs donnés pendant le mois de juillet. A la suite d’un examen organisé début septembre, nos élèves de première année peuvent ainsi obtenir le L1 de Droit. Ces derniers passent le L2 dans les mêmes conditions en seconde année.
L’an passé une bonne quarantaine de préparationnaires ont bénéficié de cette formation supplémentaire avec un taux de réussite relativement élevé : plus de 80%. Ces parcours complémentaires intéressent aussi bien des étudiant intégrant l’ENS, HEC ou Centrale ; ils poursuivront certainement leur cursus complémentaire au moins jusqu’à l’obtention de la Licence de Droit.
O. R : Un jour les prépas pourraient-elles intégrer les ComUE aux côtés des universités et des grandes écoles?
M. B : Les conditions ne sont pas toutes réunies aujourd’hui mais un jour, dans cinq ou dix ans, si leur spécificité est reconnue et leur budget sanctuarisé, pourquoi ne pas l’envisager?