Avec plus de 135 000 étudiants, la Communauté d’universités et d’établissements (Comue) Université de Lyon est le premier pôle scientifique français hors Ile de France et compte vingt établissements du site Lyon Saint-Etienne. Son président, Khaled Bouabdallah, ancien président de l’Université Jean-Monnet de Saint-Etienne et vice-président de la Conférence des présidents d’université (CPU), explique son fonctionnement tout en revenant sur les suites de la décision du Conseil d’Etat d’interdire la sélection en master.
Olivier Rollot : La Comue Université de Lyon a officiellement vu le jour le en février 2015. Ce doit être un sacré challenge que de réunir ainsi plus de 135 000 étudiants, 20 établissements d’enseignement supérieur, des organismes de recherche, etc.
Khaled Bouabdallah : J’ai eu la chance de diriger l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne pendant 9 ans puis également le PRES pendant 3 ans. Le tout pendant l’une des périodes les plus riches de toute l’histoire des universités – autonomie, création d’établissements fédérateurs créant des stratégies de site, etc. – tout en étant vice-président de la CPU. Bâtir la Comue est un challenge auquel j’ai eu le temps de me préparer.
O. R : Mais pourquoi fallait-il passer du PRES à la Comue ?
K. B : Les PRES étaient des structures administratives qui permettaient plutôt des coopérations sans transfert de compétences. Pour Lyon Saint-Etienne, nous nous sommes vite retrouvés dans un modèle juridique en voie de saturation paes possibilités offertes. La Comue permet d’ouvrir de nouveaux horizons de transfert de compétences. Depuis ce 1er janvier l’Université de Lyon délivre par exemple le doctorat et pilote les écoles doctorales. Il y a une véritable fierté collective à aller plus loin et à faire rayonner une marque forte comme la nôtre.
O. R : Faire rayonner mais jusqu’où ? Pensez-vous par exemple que les universitaires qui produisent chaque année le Classement de Shanghai, la référence, vont classer l’Université de Lyon comme un seul établissement ?
K. B : Je ne peux pas parler pour eux mais nous travaillons avec les Britanniques de QS, un autre classement de référence, à définir quel serait notre rang et nous pouvons déjà dire que l’université de Lyon serait mieux classée en une seule entité que ne le sont aujourd’hui ses établissements membres.
O. R : Les Comue ne fonctionnent pas toutes de la même façon ?
K. B : Avec des territoires très différents, il n’y a pas de modèle unique. Certaines Comue sont métropolitaines, d’autres régionales, d’autres encore interrégionales. Il faut laisser les acteurs territoriaux s’organiser dans le cadre de Comue ou d’autres formes de regroupements qui permettent de renforcer la coopération des acteurs et de les rapprocher sur un site.
O. R : Mais la Comue est-elle un modèle juridique suffisant sur tous les sites ?
K. B : Si pour certains elle est suffisante, le regroupement peut prendre d’autres formes.
O. R : Et éventuellement unir les trois Comue (Auvergne, Grenoble Alpes, Lyon) de la nouvelle grande région Rhône-Alpes Auvergne ?
K. B : Ce ne serait pas raisonnable d’aller plus loin dans une toute nouvelle région qui elle-même se construit où trois grands pôles sont en train de bien structurer. Aujourd’hui il faut les appuyer et les laisser travailler ensemble s’ils le souhaitent sur des sujets d’intérêt commun, comme c’est le cas sur le Cancer, la nutrition ou bien encore l’international.
O. R : Récemment les écoles d’ingénieurs de la Comue, mais aussi d’autres de la région lyonnaise, ont créé une Alliance. Que doit-elle apporter à la Comue ?
K. B : Nous avons porté en notre sein ce projet dans lequel toutes les écoles d’ingénieurs sont impliquées. C’est une union unique en France de 16 écoles qui représentent le premier pôle de formation d’ingénieurs. Du côté de la recherche, nous avons également créé avec le CNRS une fédération des unités d’ingénierie qui est également la première de France. Tous les acteurs jouent le jeu de l’Université de Lyon.
O. R : L’Idex que porte votre Comue depuis 2013 est en voie d’évaluation. Comment s’est déroulée cette évaluation ?
K. B : On attend effectivement une évaluation du bilan du Programme Avenir Lyon Saint-Etienne (PALSE) obtenu dans le cadre du PIA1 programme des IDEX. Ce bilan a permis de faire le point sur trois années très riches et très structurantes pour le site pendant lesquelles nous avons notamment beaucoup insisté sur certains sujets comme la promotion du doctorat, l’attractivité internationale et les partenariats avec le monde économique. En tout 27 millions d’euros investis – dont plus 40% consacrés à la recherche – sur des projets sélectionnés sur la base de rapports d’experts internationaux, rapport aujourd’hui soumis au jury IDEX.
O. R : Cet investissement dans la recherche se traduit notamment par la venue d’équipes de professeurs internationaux.
K. B : L’idex et la Comue nous permettent de mettre des moyens dans un « marché » qui représente une vraie compétition. Mais si neuf équipes de chercheurs nous ont rejoint cela va bien au-delà de leur rémunération. Nous permettons aux chercheurs internationaux qui nous rejoignent de constituer des équipes, nous leur donnons les équipements scientifiques nécessaires, les locaux, les personnels, organisons leur future vie domestique (enfants, famille, etc.). Un vrai « package » pour les faire venir trois ans et construire les conditions pour qu’ils restent ensuite.
O. R : La notoriété de Lyon dans le monde est-elle suffisante pour attirer les meilleurs professeurs comme les meilleurs étudiants ?
K. B : La ville de Lyon a fait des efforts considérables en la matière et Lyon apparaît très haut dans les classements d’attractivité, parfois même devant Paris. Aujourd’hui l’université bénéficie de cette attractivité à laquelle elle contribue largement. Cela reste à développer, ainsi nous aurons des effets plus importants en synergie avec l’agglomération comme avec des entreprises phares de la région. Nous avons déjà ciblé un certain nombre de zones géographiques dans le monde qui correspondent à la fois des partenariats académiques, aux cibles traditionnelles et prioritaires des collectivités publiques et de l’éco-système économique.
O. R : Le Medef souhaite que les universités françaises soient plus présentes lors des déplacements de ses missions à l’étranger.
K. B : Pierre Gattaz est effectivement venu en parler à la CPU et nous lui avons redit tout notre intérêt de participer à ces missions. Selon son expression, il faut « chasser en meute » pour gagner de l’influence et des marchés. Je vais moi-même en mars prochain avec Pierre Gattaz au Maroc dans le cadre de l’une de ces missions. Maintenant les entreprises ne partent plus sans les universités !
O. R : Une des missions de la Comue est de porter la stratégie immobilière du site. Vous lancez aujourd’hui de très grands investissements !
K. B : La Comue pilote effectivement ce qu’on a appelé le « Plan Campus ». En tout ce sont près de 600 M€ de dotations de l’Etat auxquelles s’ajoutent 200 M€ des collectivités locales et encore 200 M€ du Contrats de Plan Etat Région. Les sites Lyon Tech La Doua – avec un marché obtenu par le groupe Eiffage – Charles-Mérieux sur les quais de Rhône et Gerland ainsi que Bron, Rockfeller et Saint-Etienne seront totalement très largement rénovés entre 2016 et 2020. Nous serons alors sans doute le plus important investisseur public de la région.
O. R : Une question plus national. La question de la sélection en deuxième année de master se pose de manière insistante depuis que le Conseil d’Etat a décrété qu’elle était illégale faute de la publication des décrets nécessaires. Où en est aujourd’hui ?
K. B : Il est urgent que l’Etat prenne ce fameux décret pour tout simplement sécuriser les formations qui sélectionnent actuellement. Un projet de décret devrait pouvoir être présenté devant le Cneser en avril et lister l’ensemble des masters qui peuvent sélectionner leurs étudiants. Ensuite il faudrait pouvoir aller plus loin en trouvant une solution pérenne qui établisse bien que le master est un diplôme en deux ans avec une régulation dès l’entrée en première année. Sinon, il faudra refixer chaque année une liste des masters qui sélectionnent leurs étudiants.
O. R : Faut-il créer ce que certains appellent déjà un « APB des masters » ?
K. B : On pourrait en effet travailler sur un « APL » post licence au sein duquel il y aurait la possibilité de sélectionner dès l’entrée en master avec une gestion nationale des flux.
O. R : Un tel système induirait une grande mobilité géographique des candidats qui pourraient choisir un master sur toute la France si c’est impossible dans leur spécialité près de chez eux ?
K. B : Entre les deux années de master il y a déjà beaucoup de mobilité pour choisir des spécialités qui ne sont proposées que dans telle ou telle université. Cette mobilité devrait être accompagnée par une politique de bourse efficace et une politique de logement étudiant.
O. R : Toujours pour parler de sélection une polémique a éclaté sur le fait des réserver des places dans les universités pour les meilleurs bacheliers comme c’est déjà le cas en classe prépa ? Ne s’agit-il pas d’une sélection par les résultats au bac ?
K. B : Nous trouvions assez déplaisant que les 10% des meilleurs bacheliers soient détournés de l’université. Ces 10% doivent pouvoir choisir et c’est bien ce que prévoyait la loi Fioraso même si certains s’en étonnent aujourd’hui. Un bon bachelier doit pouvoir par exemple avoir à toutes les licences dont les capacités d’accueil sont limitées.