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« Je ne suis pas pour la sélection mais favorable aux prérequis » : Frédéric Dardel (Paris Descartes)


L’université Paris Descartes c’est à la fois la faculté de médecine historique de Paris, mais aussi des cursus très réputés en droit, psychologie, santé, etc. et le plus grand IUT de Paris intra muros. Autant de filières dans lesquelles les étudiants se précipitent et où il faudra bien les sélectionner un jour ou l’autre. Frédéric Dardel, son président tout juste réélu, nous explique pourquoi il faudrait au moins la mise en place de pré-requis, s’interroge sur l’avenir des masters ou encore sur ce qu’est vraiment aujourd’hui l’autonomie des universités.

Frédéric Dardel

Olivier Rollot : Admission-postbac a beau tenter de se rénover cette année les universités sont de plus en plus prises d’assaut dans de nombreuses filières dites « en tension » (première année commune aux études de santé, la PACES, droit, psycho, etc.) au point qu’il faut tirer au sort les étudiants. Pensez-vous qu’il faudrait plutôt les sélectionner ?

Frédéric Dardel : Je ne suis pas pour la sélection mais je suis favorable aux prérequis. Les prérequis c’est juste affirmer que, par exemple, pour s’inscrire en licence de mathématiques, il faut forcément avoir un bac S. Que pour aller en psycho il faut posséder un bac général. Que pour aller en STAPS il faut savoir nager (il faut au moins être capable de nager 50 mètres, quel que soit le temps qu’on prend, pour obtenir sa première année). Mais dire qu’il faut savoir nager pour aller en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) ce n’est pas politiquement correct !

Aujourd’hui nous avons beau conseiller aux bacheliers de se rendre plutôt dans telle ou telle filière, ils sont libres de leur choix. Sans pré-requis, les étudiants passent en moyenne 4,5 ans en premier cycle, parce que beaucoup n’ont pas les bases nécessaires pour suivre le cursus. Avec les pré-requis, on pourrait réduire à 3,5 ans, on limiterait le gâchis humain et on gagnerait ainsi 20 à 25% de capacités d’accueil. Mais, de peur de créer un traumatisme, on préfère ne rien faire.

O. R : Quels effets vont avoir selon vous les nouvelles règles d’admission-postbac concernant les filières en tension ?

F. D : Comme c’était déjà partiellement le cas en PACES (première année commune aux études de santé) les candidats aux filières en tension vont devoir accepter n’importe quelle université d’Ile-de-France dans la discipline choisie. Pour la PACES on passe de quatre à sept choix. Le premier effet pervers sera géographique : en fonction de la pression des demandes, vous pourrez vous retrouver inscrit en droit à Marne-La-Vallée tout en venant de Sceaux. Or on sait à quel point le temps de transport fait partie des éléments d’échec et qu’il faudra gérer les appels désespérés de ceux qui vont se retrouver très loin de chez eux. Cela résoudra juste le problème de ceux qui veulent faire droit, ou psycho, etc. à tout prix.

De plus il faudra forcément également choisir une licence de « groupe 1 » (sans capacités d’accueil) pour « ouvrir » APB et il n’y en a aucune en sciences en Île-de-France. Ce qui signifie qu’un bachelier intéressé par la chimie devra, par exemple, choisir d’abord une licence de philo. Attention à ne pas la laisser ensuite en tête de ses choix APB ! On se demande bien pourquoi, les bacheliers pros et technos ne sont pas concernés par cette mesure alors qu’ils sont déjà très nombreux en STAPS en imaginant que leur bon niveau en sport leur permettra de réussir. Mais le sport ce n’est que 20% de la note de première année !

O. R : Votre IUT ne risque-t-il pas d’être encore plus pris d’assaut ?

F. D : Toutes les mesures de non sélection, de tirage au sort, finissent toujours par provoquer un afflux vers les filières sélectives sécurisées comme notre IUT. L’année dernière nous avons reçu 45 000 demandes pour l’IUT sur les 90 0000 vœux APB formulés pour Paris Descartes. Pour 750 places en DUT. Qu’on le veuille ou non les candidats recherchent la sélection.

O. R : En PACES c’est par l’échec.

F. D : Au risque d’une sélection sociale. Environ 30% des étudiants de première année sont des boursiers mais ils ne sont plus que 10% en seconde année de médecine. Entre les deux ceux qui en ont les moyens ont suivi des cours de soutien.

O. R : Certains disent que vous pratiquez déjà une forme de sélection en licence avec les doubles cursus.

F. D : On propose de suivre des parcours « enrichis » à nos bons étudiants en cours de semestre mais cela ne signifie par pour autant que nos licences sont sélectives. C’est juste une possibilité pour les meilleurs d’entre eux de conjuguer droit et économie, mathématiques et sciences pour la santé ou encore psychologie et sciences pour la santé.

O. R : Pour aider des étudiants en difficulté à passer le cap de la première année vous venez de créer un DU (diplôme d’université) dédié.

F. D : C’est un peu la même idée que l’ancienne propédeutique, un diplôme ouvert aux décrocheurs de L1 (50 cette année) pour leur permettre d’acquérir les prérequis pour suivre ensuite la filière de leur choix. Dès la Toussaint, nous leur proposons un premier semestre généraliste, avec des cours de culture générale, d’écriture, etc. Certains préfèrent alors aller en BTS. D’autres arrivent directement dans un deuxième semestre divisé entre sciences humaines et sociales d’un côté, sciences « dures » de l’autre. Cette année nous proposons directement ce DU sur APB et nous recevrons 30 étudiants de plus dès le bac.

Ce DU permet à chaque étudiant aussi de se découvrir soi-même et de se poser les bonnes questions sur son projet professionnel. C’est aussi une année d’apprentissage de l’autonomie et celui du travail en groupe projet.

O. R : La question de la sélection se pose également en master 2 depuis que plusieurs tribunaux administratifs ont estimé qu’il n’y avait pas lieu de sélectionner entre les deux années de master. Que va-t-il se passer maintenant que le Conseil d’Etat leur a donné raison ?

F. D : Si le Conseil d’Etat le décide nous allons tout simplement vers un master en cinq ans sans sélection intermédiaire. La seule solution pour ne pas saturer les masters sera alors de durcir les conditions d’obtention de la licence, ce qui fera automatiquement baisser les taux de réussite. Exactement le contraire de ce que demandent ceux qui s’attaquent à la sélection en master !

Avec la « compensation intégrale », on a fait sauter des verrous sur la licence avec des effets parfois étonnants. Un exemple. Nous délivrons une licence Economie-Gestion qu’il est possible d’obtenir avec un 6/20 en comptabilité. Cette licence donne accès au Master CCA (comptabilité, contrôle, audit), agréé par le conseil supérieur des experts-comptables. Il n’est pas raisonnable de former des expert-comptables qui n’ont pas assimilé les bases de la comptabilité. Il va falloir modifier les coefficients des matières de base pour éviter de donner trop facilement la licence. Sinon on dévalorise nos diplômes face à l’enseignement privé. Si le Conseil supérieur des experts-comptables enlève son agrément à notre master les étudiants n’auront plus d’autre choix que de se tourner vers des filières privées payantes.

Ce qu’il faut c’est donner des conditions claires pour l’accès en première année de master et permettre ensuite d’aller directement en master 2.

O. R : Vous admettrez qu’il est aberrant que les deux tiers des étudiants de première année de master psycho soient aujourd’hui refusés en seconde.

F. D : Ce n’est absolument pas le cas chez nous où les étudiants n’entrent en première année que s’ils sont d’accord pour poursuivre dans la spécialisation prévue en seconde. Dans toutes les disciplines, nos effectifs de licence sont d’ailleurs inférieurs à ceux de nos masters et nos M2 supérieurs à nos M1.

O. R : Afin de faciliter les réorientations des étudiants de PACES en échec, on pense aujourd’hui à transférer l’ensemble des formations paramédicales dans les universités. Qu’en dites-vous ?

F. D : Oui si on nous en donne les moyens. L’intégration des instituts de de formation en soins infirmiers (IFSI) nous a coûté beaucoup de moyens et je me demande bien comment cela va se passer à la rentrée prochaine pour les instituts de formation en masso-kinésithérapie (IFMK). Aujourd’hui les écoles sont pour beaucoup payantes, nous non ! Songez que le seul processus d’inscription à l’université des étudiants de classes prépas nous revient déjà plus cher que les droits qu’ils versent : 200€ d’un côté, 185€ de l’autre. Ce que nous voulons, c’est les moyens pour assurer une bonne formation de ces étudiants si on doit les accueillir.

O. R : Vous allez pouvoir absorber tous les nouveaux étudiants de prépa kiné qui vont rejoindre les PACES l’année prochaine ?

F. D : Jusqu’ici les futurs kinés avaient le choix entre deux options : la PACES (ou Staps) et une prépa intégrée. A la rentrée tout le monde va aller à l’université et je ne vois pas comment des PACES et les filières STAPS déjà totalement saturées en Ile-de-France, vont pouvoir absorber 2000 étudiants de plus, jusqu’ici en prépa.

O. R : L’autonomie des universités a été au cœur de la réforme des universités de 2008. Vous sentez-vous aujourd’hui autonome ?

F. D : C’est une autonomie tout relative. Un exemple ? Nous avons peu de levier sur les carrières de nos personnels pour lesquels ce sont des commissions nationales qui sont décisionnaires. Si vous êtes très bon et que vous accédez à des responsabilités dans votre université cela peut prendre des années avant d’obtenir une promotion en rapport avec celles-ci. Tout ce que nous pouvons faire c’est accompagner ces personnes pour les aider à réussir des concours en espérant que les responsabilités que nous leur avons confiées plaident également en leur faveur. Mais tout se décide au niveau national à la différence des grands organismes de recherche, comme l’Inserm ou le CNRS, qui gèrent eux mêmes les carrières de leurs personnels.

J’entends que les personnels ne veulent pas que cela change pour ne pas être dans les mains « clientélistes » de leur hiérarchie mais cela nuit terriblement à la réactivité des universités. C’est différent pour les enseignants-chercheurs où il existe à la fois des possibilités de promotion à l’échelon national et à celui de l’université.

Pour ces derniers, les modifications récentes du système de recrutement et de mutation risquent aussi d’avoir des effets pervers. En effet, un dispositif prioritaire nouveau a été introduit pour favoriser les rapprochements familiaux et le recrutement des handicapés. Si un tel principe est légitime, le mécanisme tel qu’il est conçu est très contraignant et difficile à appliquer dans la pratique. Il y a donc un risque réel de décourager les universités de publier des profils de poste larges, pour revenir à des profils hyper-ciblés quand nous avons au contraire tenté de nous ouvrir ces dernières années.

O. R : Le ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la Recherche demande aux universités de développer leurs actions de formation continue. Cela vous semble possible ?

F. D : Il faut développer la formation continue, c’est vrai, mais cela ne va pas pour autant résoudre l’équation économique difficile dans laquelle elles sont plongées. Il faut des enseignants pour assurer ces formations professionnelles, or nous n’avons déjà pas assez d’enseignants-chercheurs pour encadrer notre formation initiale. A Paris Descartes, notre potentiel d’enseignement par les enseignants-chercheurs statutaires ne permet de couvrir que 60% des heures nécessaires en licence et en master.  Pas moins de 100 000 heures sur 230 000 doivent donc être assurées pour moitié en heures supplémentaires et pour moitié par des vacataires ! C’est normal de recourir à des personnalités extérieures pour donner une vision professionnelle mais si la formation continue est amenée à s’autofinancer ce sera avec quels enseignants-chercheurs ? Sauf à imaginer embaucher de nouveaux personnels autofinancés par la formation continue et créer ainsi une nouvelle catégorie d’enseignants non fonctionnaires, avec les difficultés prévisibles d’une telle option.

O. R : Où en est votre Comue Université Sorbonne Paris Cité et votre projet de fusion avec les trois autres universités qui la composent, Sorbonne Nouvelle (Paris 3), Paris Diderot (Paris 7) et l’université Paris 13 ?

F. D : Nous attendons l’évaluation de notre Idex pour faire le point mais on peut dire que l’entente règne entre les quatre universités et les quatre autres établissements. Avec Sciences Po, nos étudiants montent par exemple des projets communs et nous avons développé des parcours « enrichis » pour lesquels nos meilleurs étudiants sont dispensés de passer l’étape de l’admissibilité à l’entrée des masters de Sciences Po. D’autre part, avec les sept autres établissements nous montons des services communs en pédagogie numérique, ressources en langues pour les non-spécialistes, des formations pour les doctorants, en simulation médicale etc. Je suis plus intéressé par les réalisations concrètes que nous faisons ensemble que par le coté institutionnel de la fusion. Cette dernière est un moyen, pas un objectif, même si, à titre personnel, je n’y reste pas moins favorable pour les quatre universités. Cela simplifierait en effet terriblement les procédures. Aujourd’hui ce sont huit conseils d’administration, plus celui de la Comue, qui doivent voter chaque mesure.

O. R : Vous formez également vos personnels ensemble.

F. D : Nous avons monté une école interne de formation des cadres. Deux jours par mois pendant un an nous en formons 20 au management général comme aux fonctions spécifiques à l’université. Cette année la moitié viennent des trois autres universités. Ensemble nous créons une culture commune à des universités qui sont très différentes les unes des autres.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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