ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

«Avec la Cdefm nous allons mieux porter nos spécificités»: première partie de notre entretien avec Alice Guilhon

Alice Guilhon est la première présidente de la Cdefm

Les écoles de management transforment leur Chapitre au sein de la Conférence des Grandes écoles (CGE) en conférence propre. A l’image de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur) pour les écoles d’ingénieurs est née le 13 avril la Cdefm, la Conférence des directeurs des écoles françaises de management. Sa présidence est logiquement assurée par la présidente de l’actuel Chapitre et directrice générale de Skema, Alice Guilhon.

Olivier Rollot : Pourquoi créer la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm). Les écoles de management n’étaient pas bien représentées par la Conférence des Grandes écoles (CGE) ?

Alice Guilhon : La création de la Cdefm n’est pas une opération contre la CGE mais une opération de rééquilibrage avec ce qui existait déjà du côté des écoles d’ingénieurs avec la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur). Comme les écoles d’ingénieurs nous resterons membres de la CGE. Nous y sommes très bien traitées mais cela repose plutôt sur des individus, très bienveillants, plutôt que sur un système, qui serait pérenne. Parfois nous nous sentons noyés.

Tout cela s’est fait en bonne intelligence. Aussi bien la présidente de la CGE, Anne-Lucie Wack, que son délégué général, Hughes Brunet, et l’autre vice-président écoles, Laurent Champaney, étaient au courant de notre démarche.

O. R : Qu’est-ce que la création de la Cdefm va plus précisément changer pour les écoles de management ?

A. G : Les écoles de management ont beaucoup plus en commun entre elles que les écoles d’ingénieurs. Avec la Cdefm nous allons pouvoir mieux porter nos spécificités sans devoir systématiquement œuvrer au sein du système de la CGE. Sans être seulement une commission de la CGE. Nous disposons maintenant du véhicule nécessaire pour travailler et communiquer sereinement.

En 2020 quand nous avons dû très vite réagir sur l’annulation des oraux cela a pu contrarier certaines écoles d’ingénieurs. Mais nous sommes obligés d’avoir cette réactivité. Notre modèle économique l’exige.

O. R : Comme la Cdefi et la CPU entendez-vous être une « conférence représentative « ?

A. G : Ce n’est pas possible car nos écoles sont à 99% privées. D’ailleurs la CGE non plus n’est pas une conférence représentative. Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) nous a en tout cas tout de suite indiqué que nous serions dans la boucle de toutes les décisions nous concernant.

O. R : HEC, Essec, ESCP… quand on regarde les membres fondateurs de la Cdefm on a un peu le sentiment de voir le haut d’un classement des écoles de management françaises…

A. G : Avec Frank Bournois, avec lequel j’ai beaucoup travaillé sur ce projet, nous avons programmé un lancement suivi d’une phase de croissance. Et pour cela il nous fallait la légitimité qu’apportent en France la participation des grandes écoles parisiennes au sens large. Le conseil d’administration est composé des écoles qui étaient investies déjà dans les commissions de la CGE, cela pour assurer la continuité. Les autres Grandes écoles dites de haut de tableau comme emlyon ou Grenoble sont à la tête de commissions emblématiques. Isabelle Huault par exemple prend la tête d’une commission cruciale, Académique. C’est celle du lien aussi entre les universités et nos écoles. Notre conseil d’administration est limité à neuf membres et tournera tous les trois ans. Les commissions permettent également aux écoles de s’exprimer et des commissions ad hoc vont se créer aussi en fonction des urgences

O. R : Le Chapitre des écoles de management va-t-il s’éteindre ?

A. G : Oui c’est dans la logique des choses. Nous souhaitons que toutes les écoles actuellement membres du Chapitre des écoles de management nous rejoignent. Mais nous n’en avons pas fait pour autant automatiquement des écoles membres de droit. Elles doivent décider. Aujourd’hui nous avons déjà une dizaine de candidatures en plus des membres fondateurs.

O. R : La Cdefm aura-t-elle une structure particulière ?

A. G : Aucune structure n’est prévue. Son siège sera chez Skema le temps de ma présidence. Les écoles membres de la Cdefm lui payeront les cotisations qu’elles payent aujourd’hui au Chapitre. La chargée de la commission école de la CGE, Françoise Grot, sera employée par la Cdefm et la CGE dans les mêmes proportions qu’aujourd’hui, c’est-à-dire à 70% pour la Cdefm.

O. R : Vous vous êtes énormément inspirés de la Cdefi. Au point de prendre un nom très proche. Organiserez-vous un colloque comme elle ?

A. G : La Cdefi fonctionne très bien et nous nous sommes inspirés de ses statuts. Mais nous ne comptons pas organiser de colloque propre. Nous nous sentons très bien au sein de ceux de la CGE. Nous pourrions en revanche organiser un événement avec l’EFMD.

O. R : Un an après le début de la pandémie quel bilan en tirez-vous pour l’enseignement supérieur ?

A. G : La question c’est d’abord ce que nous avons pu en apprendre. Pour nos étudiants cette crise a été une forme d’apprentissage accéléré de la gestion de crise. On les a préparés sous contrainte à une forme de vie professionnelle qu’ils vivront, mêlant le distanciel et les technologies et l’approche multiculturelle. C’est une génération née dans la technologie qui va accélérer le remplacement d’une catégorie de population frappée d’illettrisme technologique. Je ne nie pas que cette période a été difficile à vivre pour nos étudiants mais ils ont aussi appris à travailler différemment.

Demain il n’est pas question de continuer à travailler à distance mais de donner le choix du mode d’apprentissage. Le campus ne sera plus seulement un lieu où on suit des cours mais plus en plus un lieu de socialisation. Ce sera un lieu sur lequel on trouve également des espaces pour travailler, monter ses projets, voire suivre un cours à deux pas de l’amphi parce qu’on s’y sent mieux. Aujourd’hui on peut tout le temps, partout, se connecter et même être interactifs avec des chats, quiz, etc.

O. R : Les campus ont encore tout leur utilité ?

A. G : Nous voulons donner à chacun de nos étudiants le choix de venir ou pas sur des campus qui sont aussi des lieux de vie. Ce sont en quelque sorte des prolongements de leur maison. D’ailleurs nos étudiants sont revenus sur les campus dès que la jauge l’a permis. L’enseignement en ligne ne peut pas prendre le pas sur la dialectique classique. Pour apprendre il faut de l’interaction, du contact, se voir pour mieux parler, se comprendre.

O. R : Diriez-vous que l’enseignement supérieur français a été plus résilient que d’autres pendant cette crise ?

A. G : La pandémie a été très dure pour l’enseignement supérieur mais elle nous a également permis de nous réinventer et de nous projeter dans l’avenir tous ensemble – toutes les écoles de management – pour améliorer le système. Alors que nous sommes toujours restés relativement ouvert aux autres, d’autres pays se sont fermés à 100% comme les États-Unis, qui ont préféré figer tout le système avant de le rouvrir à l’identique.

O. R : Les jeunes ne sont pas une « génération sacrifiée » ?

A. G : Nous devons les rassurer : ils ne sont pas une « génération sacrifiée ». Nous avons l’obligation de leur délivrer la même qualité d’enseignement qu’à leurs prédécesseurs. Et de leur côté les entreprises continuent à recruter même si pour certains secteurs (événementiel, communication, tourisme, etc.) c’est plus difficile. Je suis rassurée de constater que la reprise est là et que les entreprises vont de plus en plus embaucher dans les mois à venir.

Pour autant je n’évacue pas les problèmes psychiques énormes que connaissent aujourd’hui les jeunes. Nous avons ainsi développé notre dispositif SKEMA KARE sur chaque site en y plaçant des psychologues, des référents, des lieux d’écoute. Selon les études que nous avons réalisées, si 84% de nos étudiants sont satisfaits de l’enseignement que nous leur délivrons, beaucoup ont également besoin de parler. Et en priorité les étudiants internationaux à la fois loin de leur famille et en mal d’interactions sociales.

O. R : Différentes études ont montré que l’enseignement supérieur français était loin de prendre la mesure de la détresse psychologique de beaucoup de jeunes, contrairement aux États-Unis par exemple, et cela bien avant la Covid. Il y a une prise de conscience aujourd’hui ?

A. G : Nos jeunes sont plus fragiles. Peut-être parce que plus cocoonés. Peut-être parce qu’ils vivent très mal d’être coupés d’une communauté dans laquelle ils vivent. La crise sanitaire a fait émerger cette fragilité que nous n’avions pas vu venir et que l’on retrouve dans toutes les nationalités.

O. R : Certains élèves ont quand même protesté contre le maintien de frais de scolarité qu’ils jugeaient trop élevés alors qu’ils devaient suivre leurs cours à distance…

A. G : Nous aurions dû communiquer avant. Quand nous l’avons fait, quand nous avons expliqué notre modèle, nos coûts, tout le monde a compris pourquoi nous maintenions les mêmes coûts, notamment pour investir dans le distanciel. Aujourd’hui nos étudiants sont satisfaits de pouvoir bénéficier de ces technologies.

O. R : Un vif débat semble effectivement opposer Grandes Ecoles et universités au ministère du Travail sur le financement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Où en est-on ?

A. G : Cette année SKEMA a connu un fort succès dans l’apprentissage avec une hausse de 40% du nombre d’étudiants alternants. Maintenant nous avons le sentiment que, du côté du ministère du Travail, il y a une volonté de reprendre dans l’enseignement supérieur les financements qu’il souhaite consacrer au secondaire. Par idéologie peut-être. Déshabiller Paul pour habiller Jacques n’est pas une bonne idée. Mais nous n’obtenons aucun dialogue avec le ministère du Travail à ce sujet.

Cette année rien ne va se passer. Les financements sont prorogés de même que les aides à tous les apprentis. Mais en 2022 il va falloir regarder de près l’évolution des « coûts contrats », le niveau auquel l’État finance chaque apprenti. S’il s’agit de les abaisser à 6 000€ quand nos coûts de revient sont à 15 000 ou 16 000€, c’est clair, nous ne tiendrons pas. Ce serait dramatique pour les étudiants alors qu’on sait que l’apprentissage est une voie royale vers l’emploi. Car même si les entreprises demandent à former des apprentis, elles ne payeront pas la différence.

Plutôt que de réduire le financement de chaque contrat, il faudra peut-être réduire le nombre de contrats, sachant qu’aujourd’hui nous n’ouvrons une place que si les Opco et les territoires donnent leur accord.

O R : Plusieurs régions viennent d’être reconfinées. Comment imaginez-vous que vous se dérouler les concours, notamment les concours post-prépas cette année ?

A. G : Nous n’avons aujourd’hui aucune alerte sur l’organisation de nos écrits. Et nous sommes également prêts à organiser les oraux en présentiel avec un plan B à distance. L’année dernière, ce n’était pas possible, notamment en raison de « zones blanches » où les candidats n’auraient pas eu les liaisons Internet suffisantes. Cette année l’ensemble des écoles s’engagent à recevoir tous les candidats sur leurs campus, quelle que soit l’école dans laquelle ils postulent, pour être certains qu’ils puissent passer des oraux à distance dans de bonnes conditions.

O. R : Dans les années à venir les concours post prépas sont appelés à évoluer comme les classes préparatoires ECG ont déjà évolué. Dans quelles directions ?

A. G : C’est prématuré d’en parler. Un groupe de travail, comprenant des représentants des écoles comme de l’Association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC), va bientôt remettre ses conclusions. Beaucoup d’idées sont sur la table, qu’il s’agisse de donner des points bonus à des boursiers – ce que les étudiants boursiers refusent -, ou aux carrés, de généraliser les entretiens collectifs ou de faire évoluer les épreuves de langues.

O. R : Une question importante semble se poser sur la place des mathématiques dans les concours et, en pendant, celle des classes préparatoires ECG « mathématiques approfondies » qui pourraient pâtir de la réforme si les étudiants ne voient pas d’avantage clair à s’y orienter lors des concours.

A. G : C’est effectivement une question qu’il faudra traiter dès que nous aurons des statistiques d’inscription dans ces classes préparatoires. De notre côté, nous avons un important travail de communication avec l’APHEC pour expliquer clairement comment on intègrera nos écoles.

 

L’organisation de la Cdefm. Autour de Skema les six membres fondateurs ressemblent au palmarès des écoles de commerce : HEC, Essec, ESCP, Edhec et Audencia. Mais pas emlyon dont Isabelle Huault n’en préside pas moins la commission académique. Les directrices générales de ESC Clermont, Neoma, et TBS complètent le conseil d’administration. Tous représentant des écoles « post prépas », associatives, EESC et EESPIG les membres du conseil d’administration:

  • pour AUDENCIA Business School (fondateur), Christophe Germain, directeur général ;
  • pour EDHEC Business School (fondateur), Emmanuel Métais, directeur général;
  • pour ESC Clermont – Françoise Roudier, directrice générale ;
  • pour ESCP Business School (fondateur) – Frank Bournois, directeur général ;
  • pour ESSEC Business School (fondateur) – Vincenzo Esposito Vinzi, directeur général ;
  • pour HEC Paris (fondateur) – Eloïc Peyrache, directeur général;
  • pour NEOMA Business School – Delphine Manceau, directrice générale ;
  • pour SKEMA Business School (fondateur) – Alice Guilhon, directrice générale ;`pour TBS Business School – Stéphanie Lavigne, directrice générale.

Les commissions thématiques :

  • académique :  Isabelle Huault, directrice générale de emyon BS ;
  • formation & numérique : Jean-François Fiorina, directeur général ajoint de Grenoble École de Management ;
  • territoires & financement : Francis Bécard, président de Y Schools.

D’autres commissions sur le développement durable, les relations avec les entreprises et l’apprentissage, l’insertion des diplômés et l’international se mettront en place dans les prochaines semaines. Toutes ces commissions proposeront des livrables et des bonnes pratiques pour la communauté des écoles de management qui seront partagés régulièrement avec les parties prenantes de la CDEFM. La Conférence organisera également des groupes de travail ad hoc et des manifestations, en fonction de « l’actualité nationale et internationale qui touche les écoles de management ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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