ECOLES DE MANAGEMENT, INTERNATIONAL

« Le modèle SKEMA reste plébiscité par les étudiants »: deuxième partie de notre entretien avec Alice Guilhon

Présidente de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm), directrice générale d’une école, Skema BS, implantée dans le monde entier, Alice Guilhon est le témoin privilégié d’un enseignement supérieur en profonde mutation. Sa vision d’un monde qui sort peu à peu de la crise et de l’avenir de son école.

Olivier Rollot : Le modèle de SKEMA, c’est le multi-campus. Comment vos différents campus ont-ils vécu la crise ?

Alice Guilhon : Nous l’avons d’abord vu éclater en Chine puis au fur et à mesure dans le monde. Quand nous avons dû fermer notre campus en Afrique du Sud, la Chine rouvrait le sien. Jusqu’à la fin 2020 nos campus ont été pratiquement vides si on excepte celui de Belo Horizonte qui accueille beaucoup de Brésiliens. Puis en 2021 nous avons été surpris de voir 400 de nos étudiants partir aux États-Unis, 250 à Cape Town – pour y suivre des cours en ligne et en présentiel – et même 200 en Chine pour lesquels des visas ont pu être obtenus. Aujourd’hui ils sont ainsi entre 1 500 et 1 800 sur l’ensemble de nos campus internationaux.

Le modèle SKEMA reste plébiscité par les étudiants qui veulent toujours autant continuer à étudier, vivre et voyager à l’étranger. Il faut juste aujourd’hui pour nous avoir les reins solides pour tenir le temps du retour à la normale.

O. R : Quel rôle particulier va jouer votre tout nouveau campus parisien ?

A. G : Toute décision doit être prise dans l’alignement stratégique. Les racines historiques de SKEMA sont à Nice et Lille. Il ne faut pas s’en séparer si on ne veut pas perdre ses valeurs. Paris n’est pas un « siphon » pour les deux autres campus sur lesquels nous gardons des forces vives. Notre nouveau « campus Grand Paris » va en revanche nous permettre de rayonner encore mieux à l’international. Plus l’école est globale, plus l’ancrage parisien doit être fort. Nous ne nous implanterons pas dans d’autres villes en France.

O. R : Votre stratégie reste donc globale ?

A. G : Dès le début de l’école notre stratégie est toujours de créer une marque globale sur le modèle des grandes entreprises internationales. Une multinationale de l’éducation haut de gamme, possédant les meilleures accréditations, excellente en recherche, en ajoutant petit à petit des étages à la fusée. Aujourd’hui nous vivons sur le même modèle que Microsoft ou Google.

En Chine nous avons à la fois un campus à Suzhou et une « joint school » à Nankin, qui nous permettent d’être une structure de référence et de développer demain d’autres campus. Aux États-Unis, SKEMA vit sa vie et devient peu à peu une école américaine. Au Brésil nous nous implantons sur un nouveau bâtiment de 6 000 m2 au centre-ville de Belo Horizonte où nous dispensons notre propre diplôme. En Afrique du Sud, notre campus de Cape Town sera demain un site important. Ainsi nous sommes une marque globale qui crée ses propres entités. Nous allons d’ailleurs les pousser à participer indépendamment aux classements des business schools de chaque région.

O. R : Votre modèle a quand même évolué ?

A. G : Quand nous sommes allés nous installer en Chine il s’agissait pour nous de donner à nos étudiants une véritable éducation globale de qualité, leur offrir le monde entier en apprentissage. Nous y avons fait d’importants investissements avec beaucoup de personnels et beaucoup d’étudiants. Mais au début il ne s’agissait pas d’aller former des Chinois en Chine alors qu’aujourd’hui nous proposons un master avec l’université Jiao Tong de Shanghai et une « joint school » avec Nankin.

Partout nos sites restent à taille humaine. Nous recevons en tout 9 000 étudiants mais aucun site ne dépasse les 2500. Notre principe reste « l’échange de sièges ».  Nous faisons partir nos étudiants français sur nos autres campus et vice-versa nous faisons venir des étudiants internationaux. Et plus il y a de mobilité plus cela fonctionne.

O. R : Où allez-vous maintenant vous implanter ?

A. G : Inde, Australie, Russie – nous avons trois pays en ligne de mire mais la crise a ralenti le rythme et nous ne serons pas implantés en Inde dès 2022 comme nous l’espérions. Il faut comprendre que c’est un long travail. D’abord deux ans au moins pour s’implanter, ensuite dix ans pour être reconnus en Chine – mais seulement six mois aux États-Unis – puis le développement. En Chine l’école est quasiment autonome financièrement aujourd’hui.

O. R : SKEMA est globale. SKEMA entend également aller plus loin que le périmètre de la seule business school. Où en est votre ambition de devenir une « comprehensive school » (« école multidisciplinaire ») dévoilée il y a maintenant un an ?

A. G : Ce que nous voulons c’est devenir un institut multidisciplinaire autour du business. Nous avons déjà créé une école de droit (« SKEMA Law School for Business ») au Brésil et nous formalisons la maquette de notre école « SKEMA AI School for Business » aux États-Unis. En France nous travaillons à la création de notre propre école de design après avoir travaillé avec un partenaire.

O. R : Dans l’intelligence artificielle (IA) votre stratégie est un peu différente ?

A. G : A Montréal nous nous positionnons différemment avec le concours de l’ancienne Consule de France à Montréal, Catherine Feuillet, qui nous a rejoint pour nous aider dans notre développement. Il ne s’agit pas d’y créer un campus autour de l’intelligence artificielle mais un laboratoire de R&D qui irrigue tous nos programmes. Revenons un peu en arrière. Quand l’IA est apparue nous avons commencé par créer un double diplôme avec une école d’ingénieurs spécialisée, l’Esiea.

Il y a trois ans nous nous sommes demandé quel était l’environnement emblématique en IA dans le monde. Montréal nous est rapidement apparu comme la ville à privilégier. Nous y avons recruté le professeur Thierry Warin pour établir une tête de pont, un centre de R&D en IA dans des locaux flambants neufs en face de l’Université de Montréal. Là-bas nos professeurs s’appuient sur tout l’écosystème montréalais pour dessiner des programmes qui sont ensuite basculés sur tous nos sites. Et notamment à Sophia Antipolis où nous possédons un institut d’IA qui compte 25 professeurs. La personne en charge de notre site Montréalais est la directrice Alumni & Fundraising de SKEMA, Madeleine Martins.

O. R : De nombreux défis technologiques attendent les business schools. Comment allez-vous résister aux GAFAM s’ils se lancent dans la course à l’éducation ?

A. G : Nous sommes dans un environnement où, depuis des milliers d’années, la formation d’un esprit prend une durée incompressible. Il faut trois, cinq, huit ans pour se former et se serait méconnaître notre métier que de croire que l’obtention d’un certificat en ligne permet d’aller plus vite. Il faut prendre le temps de maturer un concept. Il faut considérer tout ce qu’il se passe entre deux séances d’apprentissage pour établir des interactions et structurer un esprit.

En résumé je suis très sereine pour notre modèle face à des certificats vendus 3000€. Dans nos écoles, quand nos étudiants apprennent à coder, c’est après s’être cassé les dents en mathématiques, en IA. C’est comme cela qu’on peut former de futurs CEO. Si Apple veut demain lancer un master dans le numérique en cinq ans cela se complique. Mais quel serait leur intérêt ? Regardez les entreprises qui délivrent des programmes en ligne. Leur offre de cours est excellente mais quand ils veulent délivrer de véritables diplômes, ils doivent faire appel à des Grandes Ecoles ou à des universités.

O. R : Pour autant SKEMA dispense également des certificats.

A. G : Nous avons bien sûr une offre en ligne mais plus spécifiquement en executive education. Avec par exemple ce que nous appelons des « nano degrees » en droit ou en IA que les étudiants peuvent également suivre. Je crois aux cours en ligne en executive education mais je ne crois pas aux formations 100% en ligne pendant une longue durée.

O. R : L’executive education reste un relais important de croissance ?

A. G : En dix ans nous sommes passés d’un chiffre d’affaires nul à 7 à 8 millions d’euros par an. Un chiffre qui doublera d’ici quatre ou cinq ans. Aujourd’hui nous signons de très beaux contrats avec de grandes entreprises, notamment quand il s’agit de technologies ou de management au féminin, des points forts que le marché à repérés. L’executive education est aujourd’hui une branche qui se renforce.

O. R : SKEMA a donc toujours les moyens de son développement ?

A. G : Nous n’avons eu aucun problème à financer notre nouveau campus parisien à hauteur de 120 millions d’euros, 80 millions que nous avons empruntés et 40 millions sur fonds propres. Nous progressons également en fundraising avec une directrice, Madeleine Martins, qui applique des méthodes anglo-saxonnes très efficaces. Avec elle, nous avons pu par exemple dégager 160 000€ pour financer des bourses Covid. D’autres financements arrivent directement des entreprises vers nos laboratoires et en particulier l’Institut d’Intelligence artificielle (« SKEMA IA Institute ») qui est financé à hauteur de 1 à 1,5 million d’euros.

En tant qu’association, tout ce que nous gagnons, nous le réinvestissons à chaque fois. Et nous prenons bien garde de ne pas augmenter la pression sur les frais de scolarité. Mais encore faudrait-il que le gouvernement ne change pas tout le temps les règles. Qu’il s’agisse du coût de l’apprentissage comme de la défiscalisation des dons des entreprises aux écoles nous sommes à chaque fois atteints. Le gouvernement doit se demander s’il souhaite vraiment avoir des écoles de commerce de premier plan. Notre mission est de former des jeunes pour le compte de la collectivité.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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