« C’est tout un modèle économique qu’il faut reconstruire sur un mode 2+3, voire 2+1+2 »: entretien avec René Siret, directeur général de l’ESA

by Olivier Rollot

Le modèle économique de l’enseignement supérieur est en profonde mutation et les écoles d’ingénieurs n’y échappent pas comme nous l’explique le directeur général de l’ESA et président de l’Union professionnelle de l’enseignement supérieur (Upes), René Siret.

Olivier Rollot : Le recrutement des écoles d’ingénieurs, notamment après le bac, semble de plus en plus difficile. Comment l’analysez-vous ?

René Siret : Nous assistons à un basculement du recrutement vers le bac+3, aujourd’hui presque aussi important pour nous que le postbac. C’est tout un modèle économique qu’il faut reconstruire sur un mode 2+3, voire 2+1+2. Nous devons prendre conscience que, quand nous recrutions 200 étudiants après le bac il y a cinq ans, ils ne sont plus que 150 dans ce cas aujourd’hui.

Il est encore difficile d’expliquer cette évolution. Nous constatons un redémarrage des classes préparatoires scientifiques. De même les universités voient leurs effectifs remonter. De plus les profils scientifiques que nous recrutons semblent diversifier leur orientation, quitte parfois même à choisir des écoles d’art. Ce que l’on peut affirmer c’est que la connexion Education nationale / enseignement supérieur ne s’est pas bien faite après la réforme Blanquer du lycée.

O. R : Parlons plus spécifiquement de l’ESA. Qu’est-ce qui change cette année ?

R. S : Sur notre campus de Saint-Quentin le programme ingénieur était uniquement ouvert sur le cycle licence. Cette année la Commission des titres d’ingénieur (CTI) nous a autorisé à l’étendre à tout le programme. De plus nous avons teinté le site en lien avec son écosystème en créant la majeure Achat et supply chain durables en agriculture. Dispensée entièrement anglais, elle ouvre en cette rentrée 2025 sur le campus de Paris.

Cette majeure répond à de nombreuses demandes – 7% des offres d’emploi du secteur concernent la supply chain ! – alors qu’elle ne fait pas partie des formations proposées d’habitudes dans les écoles d’ingénieurs agricoles et agronomes. Pour la créer nous avons consulté l’ensemble des entreprises agro-alimentaires qui ont leur siège social en Île-de-France. L’IA et le numérique sont également appelés à jouer un rôle dans la gestion de leur chaine de valeurs. Il faut former des ingénieurs qui connaissent toute cette chaine de valeurs pour travailler avec des centrales d’achats de produits qui sont quasiment tous périssables. Il faut pouvoir répondre à des enjeux spécifiques de transition et d’aléas climatiques, avec une météo de moins en moins maitrisée (pluviométrie, chaleur, sécheresse, etc.) qui doit entrer dans les modèles.

O. R : Les dérèglements climatiques sont aujourd’hui au cœur des réflexions du secteur ?

R. S : Il y a tout un nouveau modèle de production à créer qui passe notamment par le choix de variétés nouvelles, venues d’autres continents. Il y a par exemple une question qui se pose sur la production de tomates dans le Grand Ouest, et notamment en Bretagne. L’Institut national des appellations d’origine doit s’ouvrir à ces nouvelles cultures alors que le système reste assez protectionniste. La notion de terroir comporte le climat, le sol et les acteurs locaux mais il faut accepter la volonté de produire autrement. Nos étudiants sont très ouverts à ces bouleversements et on le voit dans leurs projets de start up.

O. R : L’ESA ce n’est pas qu’un diplôme d’ingénieur. Comme de plus en plus d’écoles vous avez créé un bachelor, son nom : Agroécologie et Systèmes alimentaires. Quelle est son actualité ?

R. S : C’est un programme qui possède le grade de licence octroyé par la CTI et recrute bien avec 40 étudiants dans chaque promotion. Nous l’ouvrons à l’apprentissage en troisième année cette année avec le projet de le faire également en deuxième année dans l’avenir.

O. R : Globalement où en est l’apprentissage dans vos formations ?

R. S : Cela fonctionne très bien avec 1 000 apprentis au total dans l’ensemble de nos formations – BTS, licence professionnelle, diplôme d’ingénieur, masters internationaux DNM avec l’université d’Angers – sans que la baisse des aides gouvernementales semble constituer un frein. Cela dit il reste des interrogations sur le niveaux de prise en charge (NPEC).

O. R : Le développement de l’ESA passe-t-il par l’international ?

R. S : Notre recrutement d’étudiants en Afrique francophone est en pleine relance, notamment au Togo, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Nous ne travaillons en revanche pas assez avec l’Asie même si les étudiants chinois reviennent un peu. Mais pour recevoir plus d’étudiants internationaux il faut pouvoir leur proposer toute une série de prestations au-delà du logement. Dont le fait de pouvoir dispenser ses formations en anglais comme nous allons le faire pour la majeure Achat et supply chain durables en agriculture. Pour les entreprises françaises qui ont des filiales à l’international nous proposons également un programme Ingénieur international en apprentissage.

O. R : La formation continue représente-t-elle une part importante des activités de l’ESA ?

R. S : C’est une activité historique avec la création, en 1927, du CERCA, notre centre de formation agricole à distance qui existe toujours. Aujourd’hui nous faisons partie du projet COMPETENS’AGRO qui réunit 6 établissements d’enseignement supérieur agricole publics et privés : Institut Agro, Bordeaux Sciences Agro, Agrivia-Union ISARA-ISEMA, UniLaSalle, et l’école d’Ingénieurs de PURPAN. Lauréat de l’appel à projets (APP) France 2030 « Accélération des stratégies de développement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche » (ASDESR), COMPETENS’AGRO se fixe pour objectif de devenir le pôle national de référence en formation continue pour les professionnels du secteur.

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