Président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi), également directeur de Bordeaux INP, François Cansell a engagé toute une réflexion sur les classements des école d’ingénieurs et… un bras de fer avec « l’Usine nouvelle » concernant son dernier classement. Au menu de cet entretien également : le projet de bachelors mené par la Cdefi et l’état des finances des écoles.
Olivier Rollot : Vous n’êtes pas satisfait de la façon dont « L’Usine nouvelle » a réalisé son dernier Classement des école d’ingénieurs au point de demander qu’il soit dépublié de son site. Que lui reprochez-vous exactement ?
François Cansell : Nous avons rencontré la rédaction de L’Usine nouvelle le 12 avril pour lui exprimer nos préoccupations mais rien n’a changé depuis, sinon une republication prenant en compte certaines erreurs commises par son prestataire. Mais ce que nous demandons c’est une véritable analyse critique des données fournies qui aurait pu être facilement faite avec les données que publie la Commission des titres d’ingénieurs (CTI).
Par ailleurs nous souhaitons travailler avec « L’Usine nouvelle », ou d’autres médias, à une meilleure prise en compte de ce qu’est aujourd’hui la recherche dans les écoles d’ingénieurs. Il n’y a quasiment plus d’écoles qui possèdent des laboratoires propres. Elles sont toutes associées à des UMR (unités mixtes de recherche), travaillent avec le CNRS ou des universités et peuvent ainsi donner à leur recherche une portée internationale. Dans les INP, la recherche est 100% mutualisée entre les différents acteurs et il est devenu impossible de la segmenter entre les écoles membres comme le demande « L’Usine nouvelle ». Mais on peut également parler des transferts de technologie dans lesquels les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) jouent un rôle majeur. L’université de Strasbourg a tout délégué à sa SATT, cela signifie-t-il que ses écoles d’ingénieurs internes doivent recevoir un 0 pointé en matière de budget recherche et de transferts de technologie ?
« L’Usine nouvelle » se décrédibilise en publiant ce classement et nous lui demandons d’en republier un nouveau en septembre qui prenne en compte notamment ces remarques.
O. R : Mais un classement a-t-il grâce à vos yeux ?
F. C : Notre rôle n’est pas de classer les établissements, ni d’encourager les classements. L’accréditation de la CTI est le gage de qualité de nos formations. Mais il faut noter que « l’Etudiant » est devenu hyper professionnel et vérifie toutes les données qui lui sont communiquées avec celles que publie la CTI. De plus il produit un classement par thématiques – quelle est l’école la meilleure en recherche pour celui qui veut faire une thèse, à l’international, etc. – plutôt qu’un classement général trop vague.
O. R : Vous aviez justement le projet de réaliser une base de données dans laquelle les « classeurs » pourraient venir piocher ces données. Où en êtes-vous ?
F. C : Le dossier avance et nous espérons que toutes les écoles vont jouer le jeu pour être prêts à la rentrée. Nous avons travaillé avec différents organes de presse, et nos écoles à la constitution de cette base dans laquelle il faut que les critères soient précis. Quand l’Insa de Lyon indique que ses enseignants-chercheurs ont publié chacun 1,5 article en moyenne par an elle ne parle bien que de ceux qui dépendent vraiment de lui. S’il avait ajouté tous ceux des UMR présents sur le campus de la Douai il serait remonté de quelques places ! Il faut que tout le monde réponde de la même façon aux mêmes questions ! C’est une question d’honnêteté vis à vis de nos futurs étudiants.
O. R : La Conférence des présidents d’université a pris récemment position contre le développement « anarchique » des bachelors en arguant qu’ « en France, le bachelor s’appelle la licence et à l’international la licence est un bachelor ». Justement vous portez un projet de diplôme postbac en 3 ans qui ressemble beaucoup aux bachelors. Que comptez-vous proposer exactement ?
F. C : Nous ne souhaitons pas lui donner le nom de bachelor car aujourd’hui déjà tous les INP, comme d’autres écoles, délivrent un certificat appelé bachelor à leurs étudiants arrivés à bac+3 pour que ceux-ci puissent se situer au niveau international. C’est un diplôme d’établissement pour lequel nous ne demandons pas le « grade licence ». Il s’agit de faciliter la mobilité internationale.
D’autres projets ou réalisations sont aujourd’hui en cours. Le premier est le bachelor de l’Ecole polytechnique. Il est conçu pour attirer les meilleurs étudiants internationaux et n’est pas un diplôme terminal. Le deuxième est le bachelor des Arts et Métiers, destiné à des bacheliers STI2D qu’il entend mener pour la très grande majorité sur le marché du travail. Le troisième projet est un bachelor professionnel développé par la Conférence des grandes écoles pour former des bac+3 technologiques.
Le projet de la Cdefi est très différent puisqu’il concerne les bacheliers professionnels. Ils représentent aujourd’hui 20% des bacheliers et nous voulons leur proposer un nouveau diplôme avec les universités et les Campus des métiers et des qualifications qui entre dans le référentiel européen EUR-ACE et donne le « grade licence ». Ce diplôme doit être un diplôme terminal correspondant aux besoins du monde de l’entreprise.
O. R : Mais vous comprenez que la CPU entende réserver le grade licence à des diplômes qui subissent les mêmes contraintes que la licence universitaire ?
F. C : S’il s’agit de n’effectuer aucune sélection, comme en licence, on risque d’être confrontés à un taux d’échec important. Ce que nous voulons c’est proposer un nouveau diplôme à des bacheliers professionnels qui aient la capacité de réussir. C’est aussi pour cela que nous avons associé la CPU et l’Assemblée des directeurs d’IUT (Adiut) au projet. Avec les universités nous sommes complémentaires dans les UMR et nous devons travailler ensemble sur ce projet qui doit également permettre aux licences universitaires de faire baisser leur taux d’échec.
O. R : Pour mieux faire réussir ces bacheliers professionnels ce diplôme pourrait-il durer en quatre ans ?
F. C : Nous sommes en train de construire la maquette pédagogique et il pourrait effectivement durer 4 ans ou être entièrement en alternance comme, par exemple, la licence professionnelle « banque, finance, assurance » que l’université de Cergy-Pontoise a créé pour des étudiants qui voulaient suivre un diplôme plus professionnel dès leur première année. Il faut nous laisser expérimenter mais nous ne tenons pas à prendre l’appellation bachelor pour ne pas mettre de l’huile sur le feu. D’ailleurs qu’apporte vraiment l’appellation bachelor en France ? Cela n’a d’intérêt que s’il s’agit de recruter à l’international comme veut le faire l’Ecole polytechnique
O. R : C’est aussi une question d’argent. La CPU considère qu’aujourd’hui il manque un milliard d’euros pour maintenir l’enseignement supérieur à niveau. Est-ce une analyse que vous partagez ?
F. C : Nous sommes arrivés au même décompte que la CPU. Il manquera un milliard d’euros dans l’enseignement supérieur français en 2016-2017 si on additionne les charges supplémentaires et l’augmentation du nombre d’étudiants pour maintenir la qualité de l’accueil et de la formation pour les étudiants.
O. R : Mais les écoles d’ingénieurs sont moins concernées que les universités par l’augmentation des effectifs ?
F. C : En masse bien sûr mais en pourcentage elles accueillent également 3 à 4% d’étudiants en plus chaque année.
O. R : Dans ce contexte le ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la Recherche (MENESR) reste-t-il toujours fermé à l’idée d’augmenter les droits de scolarité ?
F. C : L’augmentation des droits de scolarité dans les école d’ingénieurs sous tutelle exclusive du MENESR reste un tabou. Parce que dès que l’Unef lève un sourcil toute discussion s’arrête. On ne peut pas continuer comme ça !