Concours : pourquoi les épreuves de langue de la BCE sont contestées par les professeurs de classes prépas

by Olivier Rollot

Après la disparition des épreuves de la banque IENA dès 2024, toutes les écoles de la BCE ont adopté un format unique : celui de l’épreuve ELVi, réformée en 2023. Un choix qui est loin de donner satisfaction aux professeurs de classes préparatoires. Témoignages.

Ce fut une des conclusions majeures de la dernière journée Continuum CPGE / Grandes écoles qui se tenait mi-janvier 2025 sur le campus rouennais de Neoma : les épreuves de langue de la BCE sont complexes et difficiles à préparer. « Auparavant avec la banque IENA, les candidats avaient une épreuve tout à fait abordable composée d’un texte faisant l’objet d’une question de compréhension et d’une question d’expression et deux traductions (une version tirée du texte et un thème grammatical en LVB ou suivi en LVA). En l’abandonnant, les écoles sont toutes passées dans la banque ELVI dont les épreuves sont beaucoup plus difficiles et vont au-delà des compétences travaillées en langues », résume Christine Pires, professeure d’espagnol en CPGE, vice-présidente de l’APHEC, représentante de l’espagnol et coordinatrice des langues vivantes au Bureau de l’APHEC. « La banque ELVI ne s’adresse pas du tout à des élèves qui ne sont pas excellents en langues vivantes. Les épreuves sont très complexes à concevoir, à préparer et à corriger avec trois exercices très complexes. Or le propre d’un concours c’est d’étalonner les candidats », confirme Cécile Bayle, professeure d’anglais en CPGE à Lyon qui préfère donner une épreuve allégée à ses élèves de première année pour ne pas les décourager : « Certaines écoles s’y retrouvent avec des élèves qui ont beaucoup voyagé et sont quasiment bilingues mais ce n’est pas représentatif. Le concours ne peut pas leur être seulement destiné. C’est contraire à tout un discours sur l’ascenseur social qu’on entend des écoles ».

Un Résumé Analytique Comparé (RAC) à géométrie variable ?

Un dossier de 4 à 5 documents (deux textes en langue cible, un texte en français et un à deux documents iconographiques) forme le socle des épreuves de langues – LVA comme LVB – de la BCE. Les candidats doivent d’abord produire une synthèse comparative dans la langue étrangère des deux textes en langue cible. Oui mais voilà les consignes varient selon les langues, les LVA / LVB et… les années. « En 2023 on nous a indiqué qu’il était impératif que les candidats croisent les informations des deux textes dans chacun de leur paragraphe mais en 2024, l’Essec a tenu à rectifier cette consigne : il est désormais possible d’analyser successivement le premier puis le second texte si le dossier tel qu’il est constitué s’y prête. Comment bien préparer nos élèves si les consignent varient ? Nous avons besoin d’une clarification des consignes pour être absolument certains que nos élèves ne seront pas pénalisés s’ils ne croisent pas les informations des deux textes.», demande Mélanie Lasserre, professeure d’allemand en CPGE à Reims qui prépare essentiellement ses élèves aux épreuves de LVB. Mais la question se pose exactement de la même façon en LVA note Cécile Bayle : « L’année dernière le second texte ne pouvait absolument pas se croiser avec le premier. Comment se peut-il que les concepteurs énoncent des consignes que les candidats sont dans l’incapacité de respecter sur un tel sujet ? ».

L’exercice d’expression personnelle

Suit un exercice d’expression personnelle qui s’appuie sur l’ensemble du dossier tout en apportant des éléments personnels et en donnant son avis par le biais de formulations telles que « I believe ». « Il faut exprimer un point de vue personnel en se référant aux documents du dossier tout en apportant des exemples tirés de ses expériences personnelles. Un trio de contraintes très difficile à mettre en œuvre pour la plupart de nos élèves qui les amène à s’interroger sur la faisabilité de l’exercice », relève Mélanie Lasserre.

Un thème « suivi » plus difficile que le « grammatical »

Enfin le thème n’est plus le « thème grammatical » classique qu’on trouvait dans la banque IENA mais un « thème suivi » beaucoup plus difficile à appréhender. « Pour un thème grammatical on met en œuvre ce qu’on appris pendant les deux années de classes préparatoires. C’est un système d’évaluation assez égalitaire. C’est très différent pour le thème suivi qui demande d’autres techniques, est beaucoup plus difficile à traduire et valorise entre autres l’expérience que l’on a pu avoir de la langue dans le pays, ce que tous les étudiants n’ont pas», analyse encore Mélanie Lasserre.

En 2024, il a même été demandé aux candidats de se plonger dans un texte de Géraldine Muhlmann « quasiment impossible à traduire sans une compréhension fine de textes à dimension philosophique » : « Cela alimente l’idée que l’allemand est une langue difficile et que ce que nous leur apprenons pendant deux ans ne leur sert à rien». Et pas que l’allemand ! « La difficulté des épreuves dépasse largement le cadre des langues », estime Cécile Bayle.

Des barèmes jugés « illisibles »

Les exercices varient beaucoup selon les concepteurs des épreuves de langues, certains n’ayant aucun contact avec les CPGE, ne fournissent pas de rapport post épreuves et n’indiquent pas comment s’y préparer. C’est le cas de certaines langues « rares ». », note encore Christine Pires. De plus selon elle « chaque responsable des langues apporte son « grain de sable » au fil des -pourtant précieuses- commissions disciplinaires des journées des Ecoles » et « ils ne sont pas toujours d’accord les uns avec les autres ». « Il n’y a pas de barème de correction clair. Cette année nous avons dû attendre novembre pour que le rapport de jury soit enfin publié après déjà trois mois de préparation de nos élèves. Et il n’y en a pas du tout pour certaines langues rares », alerte Cécile Bayle.

Et comme si ça ne suffisait pas à compliquer la préparation, ce ne sont pas les professeurs des mêmes écoles qui produisent les épreuves de LVA et LVB. Les professeurs de HEC et ESSEC prennent en charge la LVA quand ce sont les professeurs de ESCP et EMLyon qui s’occupent de la LVB. Résultat : selon les informations grappillées lors des différentes commissions, en espagnol, il faudrait essentiellement utiliser les documents iconographiques quand en anglais il faut utiliser tout le dossier.

Une notation parfois aléatoire

Au-delà de ces questions d’organisation les professeurs de langues de l’Aphec sont unanimes à dénoncer des notations qui leur paraissent aléatoires. « Nous réclamons un corrigé d’épreuves précis alors qu’aujourd’hui un quart des notes représentent un écart de sept à huit points avec ce que nous estimons, le plus souvent en négatif. Nous avons le cas d’une étudiante native et parfaitement bilingue en espagnol notée 7/20 en 2024. Si « la qualité linguistique correspond à 60 % de la note totale » comme le stipule le référentiel de l’épreuve, comment est-ce possible ?», s’interroge Christine Pires qui, comme ses collègues, a fait remonter à la DAC les cas dont les notations sont les plus étonnantes. Une notation aléatoire qui pousse les élèves à « se désengager de l’apprentissage », regrette Mélanie Lasserre quand Cécile Bayle rappelle que ces notes incohérentes ont des conséquences jusque dans le cursus des élèves qui sont placés dans des groupes de niveau en fonction de leurs notes aux concours.

Les conséquences délétères de l’abandon de IENA

Mais alors pourquoi avoir abandonné la banque IENA qui donnait pourtant satisfaction aux écoles qui l’avaient choisie ? Tout est venu des déconvenues qu’ont connues certaines écoles dans leur recrutement en 2023, suite à la baisse des inscriptions en classes préparatoires de 2022, les élèves visant les meilleures écoles – celles auxquelles ouvrait ELVI – préférant ne passer que les épreuves ELVI. IENA a alors semble-t-il fait office de bouc émissaire pour plusieurs écoles qui s’en sont retirées provoquant l’effondrement de la banque.

Problème : avaient-elles bien analysé la difficulté des épreuves ELVI ? « C’était se tirer une balle dans le pied car les épreuves sont beaucoup plus difficiles. En conséquence, nous assistons aujourd’hui à une baisse de la part des langues dans les concours de certaines écoles et à l’investissement des étudiants. Le raisonnement de nombre de candidats est utilitaire: Pourquoi se donner beaucoup de mal pour des épreuves assez peu coefficientées, difficiles, et à la notation imprévisible ? », dénonce Christine Pires. « Avec IENA les épreuves étaient plus équilibrées. La version permettait à des candidats de se rattraper », rappelle Cécile Bayle.

Si les épreuves d’ELVI sont ainsi dénoncées celles d’Ecricome donnent en revanche satisfaction. « Conçues largement par des professeurs de classes préparatoires elles sont équilibrées et correspondent à ce que nous enseignons pendant l’année, et sauf accident, il n’y a pas de (mauvaise) surprise pour le candidat.», remarque Christine Pires.

Les langues en difficulté

In fine Cécile Bayle estime que toutes ces difficultés « nuisent à la discipline avec ce manque de transparence alors que nous demandons à ce qu’on nous communique des barèmes depuis des années. Le retour sur investissement est trop faible, bien inférieur à celui des mathématiques par exemple ». Christine Pires remarque qu’ainsi aujourd’hui les « candidats travaillent surtout l’oral en langues ». D’autant plus que les épreuves écrites de la BCE ont lieu le dernier jour de la semaine quand les élèves sont déjà bien fatigués…

Les professeurs demandent donc à reprendre un dialogue avec des concepteurs qui « doivent déjà commencer par admettre qu’il y a des problèmes ». Et Christine Pires de conclure : « Il faut aller vers une conception mixte des épreuves, professeurs de prépas et professeurs des écoles de management, pour éviter de donner à nos élèves des sujets trop difficiles qui les détournent des langues ».

 

  • Les épreuves ELVi durent 4 heures en LVA comme en LVB, se composent d’un dossier de trois textes (deux en langue cible, un en langue source) et 1 à 2 documents graphiques, et se déclinent en trois volets :
  1. Compréhension – Résumé Analytique Comparé (RAC) : synthèse analytique comparative en langue étrangère basée sur les textes 1 et 2 en partant d’une question (tous les arguments ne peuvent être repris) (30 %).
  2.  Expression personnelle – essai argumenté : réflexion personnelle à partir des documents, en évitant les arguments déjà utilisés dans le RAC et des exemples tirés de leurs connaissances personnelles (50 %).
  3.  Traduction – thème : un exercice de traduction pesant pour 20 % de la note.

La conception de ces épreuves repose sur les grandes écoles :

HEC-ESSEC pour la LVA (allemand, anglais, arabe littéral, espagnol, italien, portugais ou russe)

  • ESCP-EM Lyon pour la LVB (allemand, anglais, arabe littéral, chinois, espagnol, hébreu, italien, japonais, portugais, polonais ou russe)

 

  • Les épreuves Ecricome durent 3 heures et sont structurées en deux parties : Version et thème (50 % de la note) : traduction depuis et vers la langue étrangère. Expression écrite (50 % de la note) : les candidats choisissent entre une question de civilisation ou une question sociétale.

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