A la suite de la publication du rapport sur l’intelligence artificielle (IA) de Cédric Villani, un programme national pour l’IA va être initié. Coordonné par l’Inria, il va s’appuyer sur un réseau de quatre ou cinq instituts spécialisés. Parce qu’il va falloir former de plus en plus de jeunes à ces nouveaux défis tout en développant une recherche de pointe. Mais aussi utiliser au mieux les technologies digitales, au sens large, pour mieux enseigner à des étudiants dont on redoute qu’ils tombent sinon dans les griffes des GAFA. Deux grands défis pour notre enseignement supérieur alors qu’un autre rapport, celui de François Taddei sur la Société apprenante met en avant une autre intelligence : collective celle-là. Intelligence artificielle contre / avec intelligence collective toute une nouvelle distribution des savoirs se met peu à peu en place.
Mieux former au digital et à l’IA. Dans son rapport Cédric Villani propose de multiplier par trois le nombre de personnes formées en IA à horizon 3 ans. Selon lui « les formations en mathématiques et en informatique existantes, qui rassemblent les briques de base utiles à l’intelligence artificielle, devraient s’orienter naturellement vers l’enseignement de l’intelligence artificielle ». C’est le cas pour les écoles d’ingénieurs qui, déjà, mettent sur pied des formations spécifiques sur ce sujet. L’École polytechnique et Google France viennent ainsi de créer une chaire internationale d’enseignement et de recherche dans le domaine de l’intelligence artificielle qui a « vocation à renforcer l’écosystème d’excellence en France en IA, en attirant les talents internationaux et en formant les chercheurs et innovateurs de demain. » Le nouveau programme de niveau master Artificial Intelligence and Advanced Visual Computing de l’X bénéficiera de son soutien. « Cette chaire nous permettra de tirer profit de l’excellence française en matière de formation par la recherche et de double compétence informatique-mathématiques, pour faire émerger une génération de jeunes talents qui créeront les métiers numériques de demain », assure Paule Cani, professeure à l’École polytechnique et porteuse de la chaire.
Cédric Villani insiste également pour la formation de spécialistes hybrides. « Nous allons intensifier nos liens avec les écoles d’ingénieurs pour avoir de plus en plus d’étudiant double diplômés pour anticiper les besoins des entreprises », relève justement le directeur d’ESCP Europe, Frank Bournois, qui a été le premier à introduire le coding dans l’enseignement de ses étudiants. Même réflexion du côté de Skema BS, qui développe avec Microsoft une nouvelle gamme de parcours hybrides alliant technologie et management en formation initiale et continue. « Nous devons apporter une remise à niveau à nos étudiants sur le plan technologique mais aussi recruter des étudiants qui manifestent un vrai intérêt pour cette évolution », analyse sa directrice générale, Alice Guilhon quand son homologue de l’emlyon, Bernard Belletante, estime que sa responsabilité est de « développer les compétences d’individus qui vont devoir travailler dans des systèmes complexes et apprenants ». Et de s’interroger : « Dans un an et demi IBM va lancer un calculateur qui traitera à la seconde 10 puissance 19 opérations. C’est à dire la vitesse du cerveau ! On ne peut plus raisonner, on ne peut plus travailler de la même manière. Comment former des jeunes qui auront accès dans une dizaine d’années à 1 trillion d’objets connectés ? » Une problématique qui passe également par des alliances entre écoles d’ingénieurs et de management comme celles que lancent l’Efrei Paris et l’Essca et qui débouche sur la création d’un bachelor commun et du premier double diplôme manager / ingénieur des écoles postbac. « Nos métiers, le marketing, la comptabilité, la finance, deviennent de plus en plus technologiques et nous devons attirer et former des jeunes qui ont en eux ces deux dimensions », remarque le directeur général de l’Essca, Samir Ayoub.
Mais encore faut-il former les enfants dès le plus jeune âge « Les besoins de formation en IA ne pourront être remplis qu’à l’aide d’un renforcement considérable de notre système éducatif en mathématique et informatique » insiste Cédric Villani. Il demande donc – il en parlait déjà dans son précédent rapport sur l’enseignement des mathématiques -, la mise en place d’un enseignement d’algorithmique dès le cours préparatoire. Un long chemin en vue que d’autres prennent déjà. En s’appuyant sur ses 800 millions d’internautes, le président chinois, Xi Jinping entend « faire de la Chine une cyber-superpuissance capable, d’ici une dizaine d’années, d’être le leader mondial en intelligence artificielle (IA), informatique quantique, semi-conducteurs et réseaux mobiles 5G » en … (lire l’article de Challenges). Que pèseront face à lui, face aux GAFA, les 1,5 milliard d’euros qu’a prévue de mobiliser Emmanuel Macron pendant son quinquennat pour développer l’IA en France ?
Utiliser le digital et l’IA pour mieux former. « Nous devons proposer les pédagogies nécessaires pour former des jeunes qui vivent déjà dans une « humanité digitale ». La vision digitale est dépassée et nous sommes déjà à nous interroger sur les effets du transhumanisme ou de l’intelligence artificielle (IA). Nous sommes dans Asimov ! », s’exclame le directeur de Rennes SB, Thomas Froehlicher. ESCP Europe construit aujourd’hui une grande bibliothèque numérique pour pouvoir utiliser dans ses cours l’ensemble des ressources de l’école. « Notamment en executive education nous pourrons répondre de manière beaucoup plus rapide aux demandes des entreprises », commente Vasquez Bronfman, dean associé en charge de l’enseignement numérique de l’école.
Une priorité comprise depuis plusieurs années déjà par le groupe Ionis qui a créé à cet effet la plateforme de cours Ionis X sur laquelle elle a 200 à 300 étudiants inscrits pour suivre des cours 100% en ligne. « L’ensemble des étudiants de nos écoles d’ingénieurs en utilisent également les cours dans une logique de classe inversée. C’est à dire que les notions qu’ils ont apprises en ligne sont ensuite commentées en cours avec leurs professeurs. En suivant ses cours à la maison pour réaliser ses TP à l’école l’évaluation des étudiants est meilleure », se félicite son vice-président exécutif, Fabrice Bardèche. Une réalité qu’on retrouve également à l’Edhec dont le BBA on line est une déclinaison d’un programme que créé il y a plus de dix ans pour les sportifs. « Aujourd’hui le digital nous impacte aussi bien dans le contenu des programmes que dans les services support ou l’accompagnement des étudiants », signifie son directeur général, Emmanuel Métais dont l’école teste en ce moment des chatbots qui répondront aux questions des étudiants concernant leurs carrières. En commençant par des étudiants en MBA. Une première approche avant de s’adresser à des coachs.
Autant de défis qui devraient idéalement reposer sur le développement d’« EdTech » françaises. Aujourd’hui 90% des investissements dans le monde viennent aujourd’hui des États-Unis et de Chine. « On estime qu’on y a investi 3,5 milliards d’euros ces trois dernières années sur un marché de l’éducation de 180 milliards d’euros. C’est à la fois peu et beaucoup en progression avec des besoins considérables en Chine – 250 millions de personnes à former – et aux États-Unis le besoin de produire un enseignement moins couteux », commente Marie-Christine Levet, co-fondatrice du premier fond d’investissement européen dédié à l’éducation et la formation, Educapital. Un sujet tellement sensible pour Neoma BS qu’elle crée un incubateur d’EdTech « Nous voulons devenir un lieu d’expérimentation avec un accélérateur d’entreprises EdTech pour tester les avancées technologiques et les nouvelles approches pédagogiques. Toutes les composantes de l’apprentissage peuvent être repensées avec des salles modulables et des espaces de co-working ouverts vers les start up », explique sa directrice générale, Delphine Manceau, dont l’école va également devenir éditeurs de cas virtuels qui seront diffusés, d’ici un an, par la Centrale de cas et de médias pédagogiques. En tout l’Observatoire des start up de la EdTech liste aujourd’hui plus de 300 start up en France. « Beaucoup sont sous financées et vivent tordent d’appels à projets ministériels pour lesquels elles tordent leur modèle initial », constate Marie-Christine Levet dont le fonds dispose aujourd’hui de 47 millions d’euros qui vont être investis dans 15 à 20 sociétés pour « leur assurer de la pérennité et sélectionner une quinzaine de champions européens pour ne pas laisser Google et Apple s’emparer de tout le marché… »
- Le CNRS, Inria, l’université PSL et les entreprises Amazon, Criteo, Facebook, Faurecia, Google, Microsoft, NAVER LABS, Nokia Bell Labs, le Groupe PSA, SUEZ et Valeo font converger intérêts académiques et industriels et s’unissent pour créer, à Paris, l’Institut PRAIRIE dont l’objectif est de devenir une référence internationale de l’intelligence artificielle.
- Lire aussi : Intelligence artificielle : ce qu’il faut retenir du rapport de Cédric Villani (Le Monde), Intelligence artificielle : Emmanuel Macron veut créer un “maillage de compétences” (EducPros), le rapport de l’OCDE Putting faces to the jobs at risk of automation et une tribune du président de l’université de Lyon, Khaled Bouabdallah (La communauté universitaire française mobilisée face aux défis de l’intelligence artificielle), qui organise une conférence mondiale du Web du 23 au 27 avril à Lyon.