ECOLES DE MANAGEMENT

« La prochaine grande séquence d’investissement de l’Edhec sera consacrée à l’expérience étudiante »

Moins d’un an après son arrivée à la tête de l’Edhec BS, Emmanuel Métais fait le point avec nous sur tous les chantiers auxquels il s’est attelé. Et en premier lieu la transformation digitale de l’école.

Olivier Rollot : Vous êtes depuis un peu moins d’un an à la tête de l’Edhec. Quel grand chantier entendez-vous lancer ?

Emmanuel Métais : La révolution digitale change notre métier. Les professeurs sortent de leur salle de cours. Nous formons des nouveaux types de managers plus agiles et entrepreneurs. D’un côté c’est une génération fabuleuse qui veut changer les codes et entreprendre. De l’autre des entreprises nous demandent de former des jeunes polyvalents, digitaux, créatifs, etc. Notre prochaine grande séquence d’investissement sera donc consacrée à « l’expérience étudiante ». Un sujet sur lequel nous avons déjà créé une cellule dédiée en juin dernier.

O. R : Qu’entendez-vous par « expérience étudiante » ?

E. M : Notre responsabilité c’est de partir de là où sont nos étudiants pour construire avec eux des parcours. Pas question pour nous de leur proposer de choisir tous leurs cours avec des rayons de supermarché ! Le digital nous permet d’individualiser les parcours en mesurant combien de temps tel ou tel étudiant passe sur son cours de comptabilité, s’il regarde ou pas des vidéos, etc. Nous pouvons suivre individuellement chacun d’eux et leur envoyer les contenus spécifiques dont ils ont besoin. Chacun doit pouvoir atteindre un niveau minimum et progresser ensuite sur tel ou tel sujet.

O. R : Vous vous distinguez ainsi clairement des plateformes d’enseignement à distance type Coursera ?

E. M : Le modèle économique de Coursera n’est pas stabilisé. Aujourd’hui Netflix produit des films, pourquoi Coursera ne rachèterait-il pas un jour un campus ? Ce qu’il nous restera ce sera notre expertise pour construire des parcours. Mais aussi une expérience présentielle que nous allons encore améliorer en équipant toutes nos salles de cours de chaises Steelcase polyvalentes et de murs sur lesquels on peut écrire et projeter des informations. Le tout en conservant quelques amphis. A Harvard on utilise tous les outils, du tableau à la craie au projecteur. Bientôt tous nos professeurs pourront facilement se filmer pendant leur cours.

O. R : Vos professeurs sont toujours motivés par ces innovations ?

E. M : Bien sûr il y a des professeurs plus ou moins motivés pour évoluer. Des professeurs qui donnent des cours magistraux magnifiques. Mais plus personne ne se demande pourquoi il faut mettre ses cours en ligne. La technologie libère la pédagogie et embarque tout le monde dans le mouvement. Nous avons d’ailleurs modifié les règles de gestion pour dépasser l’impact de la seule heure de cours et récompenser ceux qui savent mettre leurs cours en ligne. Nous nous appuyons sur les plus motivés et avons créé un « Pedagogical Innovation Lab » pour accompagner les professeurs avec des ingénieurs pédagogiques.

En 2020 nous voulons ainsi que 20% de nos cours soient dispensés en « blended », en mêlant cours en ligne et en présentiel. Quand on a des promotions de 750 on comprend vite que c’est plus intéressant de profiter des cours pour discuter avec les étudiants que de délivrer vingt fois le même cours !

O. R : Le développement de la dimension digitale des programmes est donc aujourd’hui une priorité pour vous ?

E. M : Ce n’est pas une nouveauté. Le BBA on line est une déclinaison d’un programme que nous avions créée il y a plus de dix ans pour les sportifs de haut-niveau. Aujourd’hui le digital nous impacte aussi bien dans le contenu des programmes que dans les services support ou l’accompagnement des étudiants. Nous testons des chatbots qui répondront aux questions des étudiants concernant leurs carrières. En commençant par des étudiants en MBA. Cela constituera pour eux une première approche avant de s’adresser à des coachs.

O. R : La population des étudiants en formation continue est-elle plus propice au développement du on line ?

E. M : Avec les sportifs de haut niveau et les personnes handicapées, ce sont effectivement ceux qui souhaitent le plus étudier à distance. Parfois parce qu’ils n’ont pas forcément les moyens de se déplacer. C’est ce qu’on appelle l’« education poverty », ce segment d’apprenants qui ont seulement les moyens d’étudier en ligne tout en possédant des capacités intellectuelles évidentes. Si on y ajoute ceux qui veulent gagner du temps – « time poverty » – c’est un nombre considérable d’étudiants potentiels qui viennent s’ajouter aux étudiants classiques présents sur les campus. D’où la digitalisation de nos programmes.

C’est l’expérience étudiante qui doit faire évoluer leurs cours, pas la technologie !

O. R : La question de la pérennité du modèle économique des business schools est sur toutes les lèvres. Comment se porte l’Edhec ?

O. M : Nous voyons bien que les pouvoirs publics mettent de moins en moins de moyens dans l’enseignement supérieur alors que les besoins de financement sont tout simplement énormes. Avec des enseignants-chercheurs qui enseignent très peu et qu’on presse de publier dans les revues pour monter dans les classements et obtenir les accréditations, la recherche représente un coût considérable pour les écoles de management et ce sont finalement les étudiants qui la financent.

O. R : Alors qu’à l’Edhec c’est la recherche qui finance l’école…

E. M : Depuis 15 ans l’Edhec est parvenue à faire de sa recherche en finance une source de revenus. Nous avons d’abord créé un centre de recherche pour développer notre notoriété puis un spin off pour en vendre les résultats aux professionnels de la finance sous la forme d’indices. Nous estimons aujourd’hui que ce sont chaque année 30 milliards de dollars qui sont investis au travers des indices que nous avons créés. En touchant une petite commission sur chaque dollar placé, la part de cette recherche représente aujourd’hui 15% des 120 millions d’euros de notre budget.

Cette ingénierie au quotidien repose sur une équipe de 40 personnes : ingénieurs de recherche, commerciaux et professeurs. Elle crédibilise nos étudiants et nous permet d’attirer des professeurs comme Laurent Calvet et Raman Uppal.

O. R : N’est-ce pas un modèle difficilement transposable dans d’autres domaines que la finance ?

E. M : Chaque école doit trouver ses points forts. A l’époque où nous avons commencé à développer cette recherche nous avons pris une bonne décision de gestion en anticipant la baisse des revenus tirés de la taxe d’apprentissage.

O. R : L’Edhec a lancé en 2016 un mouvement d’augmentation des frais de scolarité des écoles de management françaises. Jusqu’où peut-on aller ?

E. M : Si on veut continuer à augmenter nos frais de scolarité il faut en même temps être capables d’accompagner ceux qui n’en ont pas les moyens. Aujourd’hui nous redistribuons 10 millions d’euros par an aux étudiants. C’est la clé pour continuer à progresser alors que le rapport entre le coût des études et les perspectives de carrière qui sont offertes reste très intéressant.

O. R : Autre source de revenus pour les écoles : la formation continue. Que représente-t-elle pour l’Edhec ?

E. M : Environ 15% de nos revenus sur les tous les segments : formations en intra dans les entreprises comme diplômantes. L’essentiel est à Paris mais nous en délivrons également à Nice, Paris et à l’étranger. La croissance est régulière mais nous y investissons prudemment car la formation continue doit être tirée par le corps professoral. Ces formations sont de plus en plus en ligne avec, par exemple, un E-MBA qui compte 200 étudiants. Nous ne souhaitons pas faire du volume mais développer quelques belles pépites.

O. R : L’année dernière l’Edhec Business School a radicalement changé la façon dont elle faisait passer les oraux en proposant un entretien collectif à la place du traditionnel entretien individuel. Quel bilan en tirez-vous ?

E. M : Cela s’est très bien passé et a confirmé notre hypothèse selon laquelle il était temps d’évoluer. Bien sûr cela demande une logistique très lourde de réunir ces groupes d’étudiants mais cela nous permet de mieux déceler des étudiants possédant les valeurs et les soft skills que les entreprises recherchent. Et tout particulièrement la capacité à travailler en groupe.

O. R : L’Edhec propose cette année vingt places supplémentaires aux élèves issus de CPGE. Qu’en est-il de votre recrutement international ?

E. M : 40% de nos étudiants sont des internationaux. Nous constatons même une véritable explosion du nombre de candidats internationaux dans notre International BBA et ses trois parcours: le « Global business » que nous proposons avec l’UCLA, le « Business management » et enfin le BBA on line.

O. R : Plus largement comment l’Edhec se développe-t-elle à l’international ?

E. M : Nous avons fait le choix délibéré de ne pas ouvrir de campus à l’étranger. Si nous ouvrions un campus en Chine nous ne pourrions pas y recruter les meilleurs étudiants. Ces meilleurs étudiants nous devons les convaincre de venir sur nos campus en France. Nous sommes certes implantés à Londres et à Singapour mais c’est pour y faire de la recherche en finance. Il n’y a guère que l’Insead qui ait réussi à avoir deux implantations, à Fontainebleau et Singapour, de même valeur. Harvard est une marque globale mais n’est qu’à Boston.

De plus je ne suis pas certain que ce soit pédagogiquement très intéressant d’amener tous ses étudiants sur son propre campus à l’étranger. Nous préférons proposer des triples diplômes avec la SKK Graduate School of Business en Corée ou Berkeley BS aux États-Unis.

O. R : Quel regard jetez-vous sur les classements des écoles de management qui vous maintiennent pratiquement toujours à la 5ème place ?

E. M : En France certes mais à l’international, le Financial Times nous classe régulièrement entre la 1ère et la 3ème des Grandes Ecoles françaises, selon les programmes. Mais cela ne se convertit pas automatiquement auprès de la presse française. Le système a tendance à se reproduire du côté des CPGE qui semblent soumis à un classement immuable. Nous ferons un jour sauter le plafond de verre parisien !

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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