Huit Grandes écoles (les quatre ENS, l’Ecole polytechnique, HEC, ESSEC et ESCP Europe) avaient été missionnées pour réfléchir à l’ouverture sociale. A la suite de la remise de leurs rapports on attendait des décisions sur les concours pour favoriser immédiatement les élèves non seulement boursiers mais aussi issus de la France profonde. On assiste finalement à la création d’un nouveau comité de pilotage qui sera en charge de la diversité sociale dans l’ensemble de l’enseignement supérieur. Avec comme objectif donné par Frédérique Vidal que « tous les établissements d’enseignement supérieur aient le même taux de boursiers » d’ici 2024. On souhaite maintenant bien du courage au comité de pilotage, qui se réunira pour la première fois en novembre prochain, pour fixer des objectifs précis à atteindre dans les cinq ans. Aux Grandes écoles mais aussi aux universités. Car les universités vont être également concernées sans qu’on sache si elles seront jugées globalement, par UFR ou encore par niveau. Il semble en tout cas que le droit et la médecine soient particulièrement concernés au vu de leur ouverture sociale plus faible.
L’état de lieux. En moyenne les boursiers sont 37,5% dans l’enseignement supérieur. Plus de la moitié des étudiants dans les sections de technicien supérieur sont boursiers (55%) pour 28,8% en classes préparatoires. La part des boursiers des formations d’ingénieurs diffère selon qu’elles soient universitaires (36%) ou non (23%). Les écoles de commerce sont les formations accueillant le moins d’étudiants boursiers (12,7%). Dans les universités, les boursiers sont surreprésentés en administration économique et sociale (AES, 52%) et en langues (49%) mais ne sont que 26% dans les disciplines de santé (médecine, odontologie et pharmacie). Dans les établissements emblématiques que sont l’Ecole polytechnique, HEC ou encore l’ENS-Paris, les boursiers ne sont respectivement que 12%, 18% et 20%.
Une étude plus pointue montre des distorsions également fortes selon le niveau de bourses. Si les étudiants boursiers de niveau 5 à 7 sont en moyenne 11,8% dans l’enseignement supérieur ce pourcentage varie de 3,7% dans les écoles de commerce à 23,6% en AES en passant par 4,7% dans les écoles d’ingénieurs extérieures aux universités. Contrairement à une légende tenace les CPGE économiques et commerciales sont largement plus ouvertes avec 8% de boursiers de niveau 5 à 7 quand ils ne sont que 7% dans les classes préparatoires scientifiques. On peut logiquement en déduire que les écoles de management post prépas sont plus ouvertes à la diversité que les postbac.
Objectif 38% ou 25% ? « Nous voulons faire en sorte que les jeunes qui occuperont des rôles de premier plan viennent de toutes les catégories sociales et de tous les lieux. » Frédérique Vidal entend que l’enseignement supérieur s’ouvre plus largement. Si « elle ne fixe pas le chemin » pour y parvenir l’objectif n’en est pas moins « obligatoire ». Mais sa signification précise en termes d’objectifs chiffres l’est beaucoup moins. Faire que les Grandes écoles « reçoivent en moyenne autant de boursiers que l’ensemble de l’enseignement supérieur, soit entre 37 et 38% », ou « le même pourcentage dans tous les établissements supérieur » ? La ministre n’est pas claire à ce sujet arguant que « l’effort est plus important quand on passe de 12 à 25% – l’objectif de l’Ecole polytechnique – que lorsqu’ils s’agit de 30 à 38% ». Les trois « parisiennes » (HEC, ESCP et l’Essec) entendent recevoir « rapidement » de 20 % à 25 % d’étudiants boursiers.
Dans une tribune publiée par Les Echos la directrice générale de Neoma BS, Delphine Manceau remarque qu’une école comme la sienne compte 27% de boursiers parmi les candidats à son concours prépas et 28% de boursiers parmi ceux qui y sont reçus : « Le problème porte plutôt sur le nombre insuffisant de candidats boursiers, et donc sur le nombre de lycéens qui s’orientent vers une classe prépa et une Grande Ecole, et ce bien que ces concours puissent être préparés dans des prépas publiques et gratuites ».
Une « bonification » pour les boursiers ? La première piste envisagée pour faire progresser le pourcentage de boursiers dans l’enseignement supérieur est d’introduire des bonifications dans les concours pour les favoriser – les ENS proposent même que ces bonifications soient proportionnelles au niveau des bourses – sur le modèle des bonifications accordées aux candidats n’ayant fait que deux années de classes préparatoires scientifiques dans les concours d’entrée en écoles d’ingénieurs. Les jurys des oraux n’auraient ensuite pas connaissance des candidat « bonifiés » ou non. Des simulations sont en cours dans les ENS. Ce système de bonification post prépas pour les primo candidats, les organisateurs des concours d’entrée dans les écoles de management n’ont jamais voulu en entendre parler. Entre autres pour les limites juridiques du système (« rupture d’égalité ») opposables.
Il serait également possible :
- d’examiner les conditions d’un rééquilibrage territorial entre les classes préparatoires situées en région, où les élèves boursiers sont plus présents mais ont un taux de réussite moindre aux épreuves de sélection, et les classes préparatoires franciliennes qui sont dans la situation inverse ;
- d’étendre les admissions sur titre ;
- de promouvoir des dispositifs type Cordées de la Réussite ;
- d’aider les étudiants à financer des études loin de leur domicile.
Mais pourquoi ne pas tout simplement organiser un système de quotas de boursiers dans chaque établissement comme c’est le cas pour l’entrée dans l’enseignement supérieur après le bac sur Parcoursup ? Y compris dans des filières sélectives recrutant sur concours maintenant amenées à recruter le même pourcentage de boursiers qu’elles ont de candidats boursiers. « Autant je suis favorable aux quotas après le bac, autant l’excellence reste primordiale après un concours », répond la ministre, oubliant que, même si Sciences Po va y renoncer à Paris, il y a aussi des concours postbac et rappelant que « depuis que des quotas de femmes sont fixés dans les conseil d’administration des entreprises les femmes se demandent si ce sont vraiment pour leurs qualités qu’on les sollicite ».
Pour et contre. Le principe de bonifications est particulièrement salué par l’association engagée dans l’égalité des chances Article 1. « Il est inéquitable de juger de la même façon des étudiants qui ont des conditions d’études différentes : job étudiant soir et WE, temps de transport conséquent, chambre partagée ou mal-logement, manque de réseau ou d’appui familial… À capacité égale, ces conditions d’études sont discriminantes aux concours. Ne pas compenser ces réalités revient à évaluer de la même façon des étudiants qui concourent dans des conditions différentes », défendent ainsi ses dirigeants, Benjamin Blavier et Boris Walbaum. Et la ministre d’insister : « Ce serait odieux pour des jeunes issus de milieux modestes d’être admis dans une école en fonction de quotas. Il serait abominable de laisser planer un doute sur leur excellence ! »
Mais n’est-ce pas exactement ce qui va se passer quel que soit la formule ? Et alors ce seront tous les boursiers qui se sentiront stigmatisés. Même ceux qui n’auraient absolument pas eu besoin de bonifications pour intégrer une Grande école. Ce que dénonce le fondateur de Major Prépas, boursier et diplômé d’HEC Mehdi Cornillet dans un tweet : « Vous la voyez venir la grande connerie de l’égalité des chances ? En tant qu’ancien boursier, j’étais très fier de réussir mon concours #GrandeÉcole au même titre que les autres. Travaillons sur un équilibre de niveau et non de points ».
De son côté Delphine Manceau s’inquiète des effets induits sur des classes moyennes, « aujourd’hui non aidées par les bourses alors que les frais de scolarité tendent à augmenter ». Avec le nouveau système, où elles ne bénéficieront pas de « points bonus », elles pourraient selon elle être « les grandes oubliées de ce dispositif et se sentir exclues des Grandes écoles pourtant très porteuses en matière d’accès à l’emploi et d’ascenseur social. A l’heure où l’apprentissage, qui les aidait à financer les études, est mis à mal, faut-il rajouter à un sentiment souvent répandu qu’elles sont les oubliées des aides ? » Un raisonnement proche de celui du président de l’APHEC (Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales), Alain Joyeux : « Avec une telle mesure, il faudra vraiment beaucoup de courage aux bacheliers non boursiers pour aller en prépa ! Non seulement ils feront un choix où ils relèveront le défi de l’excellence sans certitude d’être performants, mais en plus ils seront pénalisés aux concours. Une sorte d’encouragement à une fuite vers les bachelors… payants !! »
Le débat ne fait que commencer entre des établissements d’enseignement supérieur, inscrits dans le temps long de l’orientation – voire les quinze années qu’il va falloir attendre pour que la réforme de l’école primaire entreprise par Jean-Michel Blanquer produise ses effets… -, et des politiques qui veulent des résultats rapides. La solution pourrait venir des étudiants qui risquent tout simplement de demander massivement à recevoir des bourses d’études pour entrer dans les dispostifs…
- Le comité de pilotage sera composé de représentants des trois conférences (CPU, CGE, Cdefi), des ministères concernés ainsi que des acteurs des politiques d’égalité des chances.
- Lire la note du MESRI Les boursiers sur critères sociaux en 2018-2019