2015 aura été une année de transition au cours de laquelle les acteurs de l’enseignement supérieur auront commencé à apprendre à travailler avec les nouvelles règles issues des lois Fioraso mais aussi la réforme de la taxe d’apprentissage, celle de la formation professionnelle ou encore les nouvelles réglementations des stages. En 2016 toutes ces dispositions prendront tous leurs effets, les Comue monteront en puissance, les besoins de financement s’accroitront, la concurrence internationale pour accueillir les meilleurs étudiants et professeurs s’exacerbera… voici les dix grands enjeux de 2016 largement commentés par Bernard Ramanantsoa, quelques semaines après son départ de la direction d’HEC, lors de la présentation de son livre Apprendre et oser.
1. Dégager des moyens supplémentaires. « Si on ne se réveille pas, si on n’investit pas plus dans l’enseignement supérieur on va assister au développement d’universités privées », prévient Bernard Ramanantsoa. Si aujourd’hui ce sont les écoles de management qui s’inquiètent le plus sur leurs financements futurs – président du Chapitre des écoles de management, Loïck Roche expliquait encore récemment sur que si Si rien n’est fait, cinq à dix écoles de management disparaîtront– les universités ont dû faite beaucoup de sacrifices pour revenir à l’équilibre quand les écoles d’ingénieurs publiques pressentent que le temps des vaches grasses est derrière elle. Mais où trouver ces moyens ? Pour Bernard Ramanantsoa l’augmentation des frais de scolarité est en tout cas « inéluctable » dans des écoles de management dont les frais restent « assez loin des business schools étrangères ».
2. Développer la formation continue. Le rapport Germinet a posé les bases du développement de la formation professionnelle continue dans le supérieur. Et les établissements sont volontaires pour suivre ses recommandations. Alors que seulement dix universités doivent tester le développement de nouveaux dispositifs, toutes ou presque ont postulé pour expérimenter le développement cette « manne » que leur promet le gouvernement (Thierry Mandon parle de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires). Seulement le rapport même du président de l’université de Cergy-Pontoise est beaucoup plus prudent quand Bernard Ramanantsoa estime qu’il est « surréaliste » d’imaginer qu’autant d’argent soit à disposition. Sur son blog Executive Education, l’expert Bruno Dufour revient en détail sur les nouvelles dispositions législatives qui modifient en profondeur les missions des responsables de formation ?3z
3. Faire des économies, jusqu’où ? Dans son analyse de la gestion des universités françaises sur la période 2011-2013, l’IGAENR a pu constaté d’ailleurs que, dans les établissements en difficulté, l’amélioration de la situation financière a été obtenue pour l’essentiel grâce à des mesures de court terme. Mais, puisqu’on ne peut pas toucher aux rémunérations, ce sont les dépenses d’investissement qui sont les plus touchées. Or, toujours selon Bernard Ramanantsoa, « il faudrait d’abord financer la remise en état des structures des universités trop longtemps délaissées ». Pour lui, « même HEC n’est pas aujourd’hui aux standards internationaux ». « Parmi les plans de retour à l’équilibre figure également un écrêtement des budgets alloués à la maintenance et au gros entretien renouvellement (GER), qui constitue un risque pour l’avenir, en ce qu’il ne permet pas un entretien suffisant des bâtiments et générera à terme des coûts supplémentaires de remise en état », confirme l’IGAENR.
4. Obtenir des financements sur projets. Le mini psychodrame qui a entouré la présentation du rapport d’étapes de l’Idex Paris-Saclay est là pour le rappeler : l’obtention de financements extérieurs est capital pour les établissements. « Le développement des financements par projet revient très cher car il faut toujours en donner plus pour les obtenir », commente encore Bernard Ramanantsoa. Au total ce ne sont pas tant les sommes allouées que le prestige obtenu qui compte. « Il est important d’obtenir ce label lisible en France et à l’international, qui attire sur notre territoire les enseignant-chercheurs comme les entreprises. Obtenir une Idex c’est créer une vrai dynamique », expliquait ainsi Olivier Laboux, président de l’université de Nantes, avant que son projet d’Idex soir retoqué (relire son entretien). Cette année sera en tout cas cruciale puisque les huit premiers lauréats présentent leur bilan et huit autres sont pré-sélectionnés dans une deuxième vague.
5. Frapper à la porte de l’Europe. L’autre piste de financement sur projets est européenne et pas encore assez explorée par les établissements français. « Nous ne proposons pas assez de projets aux instances européennes même s’ils sont déjà deux fois plus nombreux cette année que l’année dernière », commente ainsi Brigitte Plateau, administrateur général de Grenoble INP (relire son entretien). Les chercheurs français vont de plus en plus aller vers l’Europe mais doivent pour cela construire des réseaux, bien maîtriser l’anglais et comprendre une mécanique européenne qui est très différente de celle des universités et des organismes de recherche français. Grenoble INP a développé à cet effet une « cellule Europe » qui sert d’appui au dépôt et au suivi des projets européens et aide également les chercheurs à comprendre d’éventuels et échecs et comment rebondir.
6. Innover dans les pédagogies. Les nouvelles pédagogies entrent-elles dans la catégorie « nouvelles ressources » ? Quand on leur pose la question, la plupart des responsables d’établissements jurent des grands dieux qu’il n’en est rien car « leur développement coûte cher ». Comme s’il était immoral de vouloir faire des investissements pédagogiques rentables ! Passons car, de toute façon, ces investissements sont indispensables pour répondre aux besoins des étudiants comme pour développer la formation continue.
7. Développer son ancrage international. Alors que Campus France a lancé une grande enquête sur le développement international de l’ensemble des établissements, les grandes écoles de management ont de leur côté largement réussir leur internationalisation. Présence en moyenne d’un bon tiers d’étudiants étrangers (tous programmes confondus) dans le top 15, implantations à l’étranger, niveau en langue, les paramètres d’excellence sont là pour affronter une concurrence exacerbée que commencent juste à percevoir les écoles d’ingénieurs. Mais comment maintenir ce niveau d’excellence quand les CCI se désengagent des écoles consulaires ? Un défi encore plus grand pour les universités…
8. Réussir le développement des Comue. Paris-Saclay qui se déchire, l’université de Montpellier qui présente son Idex sans sa Comue, celle de Bretagne-Loire qui se demande bien à quoi elle sert après son échec à l’Idex, d’autres largement phagocytées par des universités fusionnées tellement puissantes qu’elles n’ont guère besoin d’une structure supplémentaire, le moins qu’on puisse dire c’est que l’avenir même des Comue interroge. « Les Idex étaient une bonne idée mais on est passés aux Comue qui sont absolument illisibles », regrette Bernard Ramanantsoa, qui « ne voit pas pour l’instant venir à Saclay les grands professeurs attendus ».
9. Absorber l’augmentation des effectifs. S’il explique l’investissement dans l’enseignement supérieur français de grands acteurs internationaux (rachat du groupe Studialis en 2015 par exemple), le passage d’ici 5 ans du nombre d’étudiants de 2,5 à 3 millions semble aujourd’hui un défi insurmontable pour des universités en mal de financement. Bien sur des mesures sont prises pour mieux orienter les bacheliers mais la volonté de Geneviève Fioraso de créer des filières mieux adaptées aux bacs pros n’a débouché que sur un catalogue de bonnes intentions quand l’objectif de la Stranes de diplômer 60% d’une classe d’âge dans l’enseignement supérieur rend encore plus crucial leur bonne intégration. Et là encore Bernard Ramanantsoa s’interroge : « L’enseignement supérieur ne doit pas servir à réguler le chômage. Ce n’est pas une voie d’attente mais un investissement collectif national ».
10. Assurer la sécurité des campus. C’était frappant de voir comment Jean-Loup Salzmann et Thierry Mandon, réunis pour la soirée de fin d’année de la CPU, mettaient chacun en avant le danger que couraient les universités (Jean-Loup Salzmann rappelait le massacre de l’université de Garissa au Kenya, Thierry Mandon insistait sur la « nécessité de sécuriser les campus sans leur enlever leur esprit »). Mais comment sécuriser des campus répartis sur de nombreux bâtiments, ouverts à tous ? Ce n’est pas le moindre enjeu pour les établissements d’enseignement supérieur en 2016.