A l’aube de l’ouverture des inscriptions sur Parcoursup, l’Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques (UPS) et son président, Mickael Prost, s’interrogent encore largement sur les effets de la nouvelle procédure pour les classes préparatoires. Plus largement et alors que de plus en plus d’étudiants entrent dans l’enseignement supérieur quelle place doivent y jouer les prépas ?
Olivier Rollot : Votre association a participé à la réflexion sur l’orientation postbac qui a mené à la création de Parcoursup. Qu’en attendez-vous ?
Mickaël Prost : Pour le moment, seules les grandes lignes du dispositif ont été dévoilées, des discussions sont en cours avec le Ministère et certains points en attente d’arbitrage. Avec les autres associations de professeurs de classes préparatoires nous souhaiterions qu’un vœu d’orientation sur Parcoursup corresponde au choix d’une filière de CPGE et de plusieurs établissements (au moins 6) comme c’est par exemple le cas pour la PACES (première année commune aux études de santé) ou les écoles d’ingénieurs postbac recrutant sur un concours commun. Le ministère a annoncé que les classes préparatoires ne devraient être que peu impactées par le nouveau système. Mais nous constatons que seul un bon paramétrage du dispositif sera à même d’assurer un délai de réponse raisonnable aux candidats. Nous y sommes donc particulièrement attentifs, et ce, dans l’intérêt de nos classes, mais aussi et surtout des lycéens.
O. R : Pensez-vous qu’il faille ouvrir plus de classes préparatoires pour répondre à l’augmentation à venir des effectifs ?
M. P : Nous allons être confrontés à un pic démographique pendant environ cinq ans avec l’arrivée des générations nombreuses issues du baby-boom des années 2000. Nous assisterons sans doute à l’ouverture de nouvelles classes préparatoires scientifiques ; les classes préparatoires ayant tout naturellement un rôle à jouer dans l’absorption de ce pic démographique. Mais l’ouverture de ces classes devra s’effectuer de façon concertée en pensant également au reflux qui surviendra d’ici quelques années.
Je regrette par ailleurs que certains rectorats n’aient pas anticipé cet afflux de bacheliers ces dernières années lorsqu’ont été décidées certaines ouvertures et fermetures de classes préparatoires. Les créations de classes sont entre autres l’occasion d’assurer un maillage de proximité des territoires encore plus important qu’actuellement.
O. R : Une des nouveautés marquantes qu’ont connu les classes préparatoires scientifiques ces dernières années a été l’introduction d’un enseignement d’informatique. Ne faudrait-il pas créer une agrégation d’informatique ?
M. P : La création d’une agrégation d’informatique en France est une nécessité. On peut imaginer, à l’image de l’agrégation d’informatique nouvellement créée au Maroc, que les futurs agrégés d’informatique aient vocation à alimenter les CPGE pour assurer une partie des cours d’informatique commune à toutes les filières ainsi que l’option informatique qui existe en filière MPSI/MP depuis 1995. L’essentiel de la formation des professeurs de prépa en informatique a jusqu’à présent été assurée avec une grande efficacité par les écoles d’ingénieurs, à défaut d’un plan de formation proposé par le Ministère. Suite au succès de l’introduction de l’informatique commune, les Écoles ont pu repenser leur propre enseignement à partir des nouvelles compétences acquises par nos élèves.
Rappelons enfin que la création d’une nouvelle agrégation est tout à fait envisageable comme cela l’a été récemment pour les « langues de France ».
O. R : Les prépas ne sont pas le système figé que certains évoquent ?
M. P : La mise en place de l’informatique commune est bien la preuve que non ! Mais les contenus disciplinaires n’ont pas vocation à évoluer chaque année : les CPGE ne sont que le 1er étage de la fusée d’une formation en 5 ans, la formation qui y est dispensée vise à faire acquérir à nos étudiants un socle de connaissances et de pratiques scientifiques solide. Nos disciplines scientifiques sont par nature très cumulatives, on ne peut pas comprendre et développer les technologies du 21ème siècle sans s’appuyer sur une compréhension profonde de la physique du 19ème et du 20ème siècle.
On comprend bien dans un monde qui évolue vite que l’enseignement en fin de cursus en ingénierie s’adapte régulièrement aux besoins de l’économie mais parce que ce monde change très vite, il est essentiel de disposer d’un socle scientifique large et solide. N’oublions pas qu’un ingénieur n’est pas seulement un utilisateur des outils technologiques, c’est aussi celui qui les conçoit et les développe.
O. R : Il n’y a pas de problème de « continuum » entre les prépas scientifiques et les écoles d’ingénieurs comme on l’évoque souvent pour les classes préparatoires EC et les grandes écoles de management ?
M. P : Il y a une véritable continuité entre nos enseignements, je pense en particulier aux mathématiques et à la physique, et ceux qui seront ensuite suivis dans les écoles. La différence de marche est au contraire plus importante entre les classes préparatoires économiques et commerciales et les écoles de management, avec l’apparition et la disparition comme vous le savez de certaines disciplines. D’où la réflexion amorcée par les écoles de commerce et les professeurs des classes économiques et commerciales à ce sujet.
Nous travaillons quant à nous main dans la main avec les écoles d’ingénieur depuis longtemps pour assurer la continuité disciplinaire, nos programmes étant élaborés sous le pilotage de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip), les groupes de travail étant co-animés par l’Inspection Générale de l’Éducation nationale (IGEN) et des chargés de mission de la Conférence des Grandes Écoles (CGE) et de la Conférence des Directeurs d’Écoles Françaises d’Ingénieur (CDEFI). Notre ambivalence étant d’être à la fois sous la tutelle du ministère de l’Education pour les personnels et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pour les étudiants.
Au-delà des programmes, nos rencontres avec les écoles d’ingénieurs sont très fréquentes et les échanges fructueux. La plupart des concours accueillent des professeurs de prépas en leur sein (en prenant bien garde à qu’ils ne rencontrent jamais leurs élèves).
O. R : La pédagogie est quand même différente dans les écoles d’ingénieurs ?
M. P : Les élèves de prépa bénéficient d’un dispositif d’accompagnement fort leurs permettant d’acquérir les compétences scientifiques de base déjà évoquées tout en étant sensibilisés à une approche pluridisciplinaire. Les écoles d’ingénieurs mettront en aval davantage l’accent sur l’autonomie qui va s’acquérir petit à petit au cours des 5 ans et développeront une pédagogie par projets. Les écoles proposent des formations plus pointues et spécialisées qu’en prépa avec en perspective l’insertion professionnelle de leurs futurs diplômés. Mais les étudiants de CPGE travaillent également sur des projets dans le cadre des TIPE (travaux d’initiative personnelle encadrés) qui permettent de s’initier à la recherche et au travail en équipe à l’image de ce que l’on va retrouver dans les écoles. Depuis l’an dernier, les TIPE ont pris une importance plus grande et sont devenus une pierre angulaire des concours alors qu’ils étaient auparavant couplés à une autre épreuve d’analyse de documents scientifiques aujourd’hui disparu.
O. R : Vous pensez que les élèves de prépas sont assez au courant de ce qu’ils vont apprendre une fois en prépas puis dans une école d’ingénieurs ?
M. P : Nous avons encore de véritables efforts à produire sur deux fronts. Nous devons tout d’abord aider nos étudiants à prendre conscience des attentes des écoles d’ingénieurs et du monde professionnel. Nous accueillons à cet effet chaque année dans nos lycées des forums où nos anciens étudiants viennent présenter leur école et nous organisons régulièrement des tables rondes avec les directeurs d’écoles. Nous devons favoriser ces échanges pour permettre à nos élèves de mieux se projeter.
En amont, nous avons proposé aux écoles d’ingénieurs de faire venir nos anciens élèves sur les salons d’orientation destinés aux lycéens pour présenter la filière prépa/grandes écoles. Nous sommes présents sur la plupart de ces salons. Aujourd’hui nous y répondons notamment à beaucoup de familles inquiètes du futur fonctionnement de Parcoursup.
O. R : Parlons orientation. Quels conseils donnez-vous aux futurs bacheliers pour choisir en première année entre les différentes filières, MPSI, PCSI, ou PTSI ?
M. P : Il faut avant tout choisir la filière selon ses goûts car à de rares exceptions près (les écoles de chimie ne recrutent qu’en filière PCSI/PC), il est quasiment possible d’intégrer toutes les écoles quelle que soit la filière choisie. Cependant, pour quelques rares écoles, les filières sont soumises à des quotas différents.
En MPSI les mathématiques sont à l’honneur et valorisent davantage le sens de l’abstraction. En PCSI et PTSI le caractère expérimental est plus marqué et les travaux pratiques ont un poids plus fort au concours.
Mais j’insiste : il faut choisir selon ses affinités, car le plaisir est un vrai moteur et souvent une garantie de réussite.
O. R : Et pourquoi choisir la filière PSI ?
M. P : En PSI, et davantage encore en PT, les implications technologiques de la mécanique et de l’électronique sont étudiées en Sciences industrielles pour l’Ingénieur avec plus de profondeur. Les Arts et Métiers recrutent essentiellement dans ces filières.
O. R : Il existe beaucoup de concours après la prépa. Ce n’est pas trop compliqué pour les candidats de s’y retrouver ?
M. P : Il n’y a que cinq grands concours et peut-être seulement quatre demain, très peu de candidats passent les cinq. Les étudiants s’inscrivent aux concours qui correspondent aux écoles qu’ils souhaitent et peuvent intégrer. Chaque concours, à travers ses épreuves et les écoles qui y sont rattachées, a une identité bien marquée. Les étudiants ont la possibilité de s’inscrire à des concours aux cultures variées qui valorisent la diversité des profils. Les lycéens et leurs parents y sont d’ailleurs très sensibles lors de leur inscription en CPGE, cette diversité est même perçue comme un « droit à une seconde chance ».
O. R : Que faut-il penser des classements ?
M. P : Les classements des classes prépas sont un outil à la disposition des lycéens dans leur recherche d’une classe adaptée à leur niveau. Ils ont cependant un effet pervers, ils renforcent la concentration des lycéens les plus solides dans quelques établissements. Je conseillerais aux lycéens de ne pas se positionner seulement par rapport aux classements mais de réfléchir à d’autres critères plus déterminants, la proximité de la prépa par exemple. Les conditions de réussite aux concours sont assurées quel que soit le lycée intégré, tous nos étudiants trouvent une place en école.
Côté écoles d’ingénieurs, il s’agit là aussi de dépasser les classements et de ne pas se concentrer uniquement sur le top 10 ! Nous expliquons à nos étudiants qu’il faut avant tout penser aux spécialités qui les intéressent.
Nous avons d’ailleurs mis en ligne cette année un site d’aide à l’orientation qui permet à chaque candidat de consulter une liste d’écoles qui correspond à ses envies et appétences.
O. R : Un autre de vos sujets de préoccupation est l’évolution de l’enseignement des sciences au lycée. Dans le cadre de la réforme du bac en préparation vous demandez qu’une « vraie » filière scientifique soit créée.
M. P : Nous avons rencontré les responsables de la « mission Mathiot » en charge de la refonte du bac. Depuis trois ans nous travaillons sur ce sujet au sein d’un groupe interdisciplinaire qui comprend également des professeurs du secondaire, des enseignants-chercheurs et les sociétés savantes. Le lycée doit offrir aux élèves la possibilité de suivre un parcours clairement scientifique avec des volumes horaires conséquents.
Au-delà de la structure du bac ou du lycée, c’est la qualité de la formation scientifique qui importe. Cette réforme est l’occasion de repenser un enseignement des sciences actuellement inefficace et la commission Mathiot peut changer diamétralement l’approche, c’est à la fois une belle et lourde responsabilité.
O. R : On parle de premières mesures dès la rentrée prochaine. Ce n’est pas un peu rapide pour des réformes d’une telle ampleur ?
M. P : En 2018 seule la classe de Seconde sera affectée par la réforme avec un probable réaménagement des enseignements d’exploration et la mise en place de la semestrialisation. En 2019 et 2020, les évolutions seront plus sensibles pour les classes de première et terminale avec la suppression annoncée des séries et la mise en place de deux majeures. Ces majeures seraient évaluées au printemps en Terminale pour faire remonter les notes sur Parcoursup alors que deux épreuves qualifiées d’universelles (philosophie et oral pluridisciplinaire) le seraient quant à elles en juin.
O. R : Mais que manque-t-il aujourd’hui aux lycéens ?
M. P : Ils ne sont plus correctement préparés à suivre des études scientifiques dans l’enseignement supérieur sans faire face à de sérieuses difficultés, difficultés qui se sont renforcées ces dernières années. Nous notons des problèmes d’autonomie en calcul, des connaissances plus volatiles et une vision géométrique relativement défaillante. Il faut y voir là la conséquence de choix qui ont été faits par l’institution : n’oublions pas que les horaires d’enseignements scientifiques ont diminué́ toutes ces dernières années et que par ailleurs, la distanciation croissante entre les mathématiques et la physique est source de bien des déconvenues. Les programmes actuels valorisent par trop une culture scientifique superficielle en présentant un catalogue de phénomènes sans explications profondes.
Mais je vous rassure, quand on cherche à emmener les élèves plus loin, pour par exemple parvenir à une compréhension plus fine d’un phénomène, ils s’en réjouissent et regrettent de ne pas avoir été confrontés à ces explications plus tôt.