ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE, ECOLE D’INGÉNIEURS, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

« Le gouvernement est dans un esprit de dialogue »

Jean-Michel Nicolle Président de la commission Afrique Campus France

L’Union des grandes écoles indépendantes (UGEI) regroupe 34 grandes écoles de commerce et d’ingénieurs de droit privé, dont 21 EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général) membres de la Conférence des Grandes écoles (CGE) telles l’EM Normandie ou l’ECE. Jean-Michel Nicolle, président de l’UGEI et directeur de l’école d’ingénieurs EPF, se penche avec nous sur les grands enjeux qu’elles rencontrent aujourd’hui.

Olivier Rollot : La réforme de l’apprentissage – et singulièrement de la taxe d’apprentissage – qui va bientôt intervenir pourrait avoir des effets délétères sur de nombreuses Grande Écoles. Dans quel esprit abordez-vous la dernière phase des négociations qui s’engage aujourd’hui ?

Jean-Michel Nicolle : L’apprentissage est une richesse pour notre enseignement supérieur, il est un extraordinaire levier de promotion sociale mais son organisation devenait moins lisible, peu optimisée voire inéquitable sur le territoire national/. La faiblesse de la coordination des nombreux acteurs ne permettait pas de véritable perspective globale et de pilotage efficient. Par ailleurs, au cours de la dernière décennie, le chômage, en particulier des jeunes, n’a pas diminué alors que des fonds de formation considérables sont disponibles pour financer l’adaptation des compétences aux besoins du marché.

La formation tout au long de la vie nécessite une articulation plus fine entre apprentissage et formation continue et la réforme de l’apprentissage est un élément d’une réforme plus large de la formation professionnelle. Elle répond à une nécessité stratégique pour notre économie, celle de l’adéquation continue des compétences aux besoins des entreprises. Elle offre une opportunité pour un rapprochement de deux mondes qui, de mon point de vue, coopéraient insuffisamment, celui de l’entreprise et de l’enseignement supérieur.

Aujourd’hui l’État souhaite rééquilibrer les rôles assumés par les régions et les branches professionnelles et donner à ces dernières plus de responsabilités dans le pilotage des formations en fonction des besoins et leur financement. De fait, cela atténuera sensiblement la responsabilité des régions mais je pense que cette nouvelle distribution est aussi une opportunité qui ouvre de nouveaux espaces de dialogues entre les collectivités et les entreprises.

La responsabilité attribuée aux branches permet un meilleur équilibrage de l’offre sur l’ensemble du territoire mais attention de bien considérer que la réponse de formation ne vise pas à couvrir les seuls besoins immédiats de l’économie mais prenne en considération les besoins futurs. L’utilitarisme à ses limites et l’objectif est bien de donner aux jeunes une capacité d’adaptation, une flexibilité opérationnelle qui leur permettra de saisir les opportunités tout au long de leurs 40 ou 45 ans de vie professionnelle !

La proposition de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur (Cdefi), de créer un Observatoire de l’apprentissage vise à servir l’objectif d’une meilleure connaissance des pratiques de  l’apprentissage et de son financement dans les écoles d’ingénieurs. Nous entrons désormais dans une période de changement qui nourrit des craintes pour les Grandes Écoles dont le modèle économique est fragile et les ressources de taxe d’apprentissage essentielles pour leur financement après une réforme de 2014 qui a durement affecté leurs équilibre financier.

O. R : C’est particulièrement la question de la pérennité du « barème », cette partie de la taxe d’apprentissage que les entreprises peuvent accorder aux entreprises qu’elles choisissent, qui vous préoccupe. Mais on a pu également s’interroger sur l’avenir du « hors barème », c’est à dire tout simplement de la pérennité de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur.

J-M. N : En 2014 la réforme du « barème » avait pénalisé l’enseignement supérieur et, en particulier, des Grande Écoles et des universités puisqu’une partie plus importante du financement avait été fléchée vers les formations ne dépassant pas le bac+2. Si nous perdions encore des ressources les conséquences seraient calamiteuses pour beaucoup de Grandes Écoles, publiques ou privées d’ailleurs, pour lesquelles la taxe d’apprentissage peut représenter 5 ou 6%, parfois plus, du montant des ressources totales. Probablement que certaines écoles spécialisées largement soutenues par leur branche professionnelle, comme les écoles d’informatique et de génie civil, seraient plus touchées alors même qu’elles répondent à un besoin extrêmement fort de recrutement dans cette phase de reprise de la croissance économique.

Je me réjouis que le gouvernement, depuis la rentrée, soit dans un esprit de dialogue, même si le rythme soutenu des réformes ne permet pas toujours d’aller au bout de l’échange et nous sommes plutôt optimistes. Cette exigence de dialogue se retrouve d’ailleurs dans les discours de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation sur le sujet.

O. R : Cette année on réforme à tout va et les écoles que vous représentez vont également être largement affectées par la création de Parcoursup. Qu’en attendez-vous ?

J-M. N : C’est un véritable changement de paradigme puisque nous allons passer d’un système où les établissements disposaient de leviers de contrôle des flux à un nouveau qui attribue plus de liberté mais aussi de responsabilité aux candidats. Politiquement et socialement c’est sain mais ce nouveau système ne manquera pas de poser des difficultés de gestion aux établissements d’enseignement supérieur. Autant nous avions une bonne connaissance de la mécanique APB et nous étions en capacité d’anticiper, autant nous sommes incapables d’appréhender le comportement des candidats dans le nouveau dispositif. C’est probablement le point le plus délicat pour nos établissements. La tentation d’un surbooking fort est à mon sens un danger. Il faut que nous puissions nous mettre dans une posture de confiance ! Comment les candidats vont-ils gérer leurs vœux ? Seront-ils en capacité de faire des choix en fonction d’un classement personnel a priori ?. On peut imaginer qu’ils seront nombreux à hésiter et à retenir le plus longtemps possible le temps de la décision ! Et si vous multipliez cette indécision de nombreux candidats vous débouchez sur une incertitude collective qui risque d’amener les établissements à se prémunir par le surbooking.

Cette situation peut faire naitre de nouveaux comportements d’établissements qui cherchent à réduire l’incertitude en développant des stratégies de marketing numérique pour faciliter la prise de décision des candidats. C’est une approche qui peut contribuer à masquer la qualité intrinsèque des écoles moins encline à utiliser ces outils d’influence.

Sur un plan collectif, la prévention des risques inhérent à cette nouvelle plateforme passe probablement par un questionnement a priori des mesures à prendre en cas de défaillance. Et si Parcoursup favorisait les établissements les plus attractifs au détriment des moins attractifs ? En offrant plus de liberté aux candidats ne risque-t-on pas de de créer plus de déception ?

Pour ma part, je suis confiant. Il y aura probablement des difficultés, quelques ratées à l’allumage mais la démarche très ouverte qui a été engagée avec les conférences et les concours communs a levé de très nombreuses questions qui ont permis des arbitrages en conscience. Et les ingénieurs de Toulouse ont fait un excellent travail !

O. R : Depuis 20 ans l’enseignement supérieur privé a augmenté ses effectifs dans des proportions finalement assez proches de celles de l’enseignement supérieur public : 222 000 étudiants de plus d’un côté, 261 000 de l’autre. Comment expliquez-vous cette dynamique ?

J-M. N : Cette dynamique est d’abord le résultat de l’agilité des acteurs privés de l’enseignement supérieur pour répondre aux besoins liés à l’accroissement d’étudiants. Les grandes écoles et en particulier celles de l’UGEI sont en capacité d’accueillir la moitié des nouveaux entrants dans l’enseignement supérieur soit près de 25 000 étudiants par an mais il faut que Nation participe à cet effort ! Il faut aussi admettre que la crise budgétaire de l’État ne lui pas permis d’affecter à l’enseignement public des moyens supplémentaires pour jouer totalement son rôle.

Et comme dans toutes les sociétés développées, nous sommes dans une nouvelle distribution des rôles entre acteurs publics et privés. Chacun contribue à servir les besoins de formations des jeunes d’abord mais aussi à répondre aux exigences de la formation tout au long de la vie.

Cette reconnaissance de la place de l’enseignement supérieur privé qui avait été soulignée dans le rapport de l’IGAENR de 2015 est confortée par le label d’EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général), dont bénéficient une grande partie de nos adhérents. Ce label donne accès au financement public dans le cadre d’engagements et d’un contrat. C’est une opportunité pour l’État d’intègre l’enseignement supérieur privé dans son pilotage. Il reste que le financement est très insuffisant pour que les EESPIG puissent assurer efficacement leur mission et en particulier leur mission sociale. Avec 700€ par an par étudiant contre 12 000€ en moyenne dans l’enseignement supérieur public on comprend que le modèle de financement repose très majoritairement sur les familles par ailleurs contribuables. Or nous voulons accueillir plus d’élèves boursiers, nous souhaitons renforcer notre recherche, nous revendiquons d’être des acteurs à part entière de l’enseignement supérieur français !

Je veux ajouter que le label EESPIG ne doit pas être source de fracture au sein de notre enseignement supérieur national. Il est essentiellement lié à la non-lucrativité et donc à la traçabilité des ressources publiques. Pour le reste, l’ensemble des établissements de l’UGEI font l’objet d’évaluations qui garantissent la qualité de leurs missions au service de la société. Ne créons pas un nouvel ostracisme car la croissance a besoin de toutes nos écoles !

O. R : Vous avez réalisé une première étude sur le développement de l’enseignement supérieur privé en Europe. Allez-vous former un réseau avec les autres établissements européens ?

J-M. N : Nous nous inscrivons dans le dynamique du discours présidentiel de la Sorbonne. Nous avons à partager mais aussi beaucoup à apprendre. Pour sortir des débats franco-français nous avons besoin de nous ouvrir pour fonder un enseignement supérieur privé européen qui coopère et crée de la valeur pour nous écoles et nos étudiants. Nous allons maintenant avancer concrètement : en France l’UNFL a rejoint cette dynamique, le réseau autrichien d’enseignement privé aussi et nous allons nous revoir en mars, en Allemagne, pour écrire ce que nous sommes et ce que nous voulons devenir collectivement. Cette feuille de route constituera une étape importante de ce projet que j’ai personnellement à cœur de mener à bien.

O. R : Vous vous intéressez tout particulièrement au développement de l’enseignement supérieur en Afrique.

J-M. N : L’Afrique c’est 1,3 milliard d’habitants en 2050 et la France a par son histoire et surtout par sa responsabilité d’éclaireur un rôle essentiel à jouer. La croissance de ce continent portera à terme la croissance mondiale. J’ai la conviction que notre modèle d’enseignement supérieur et en particulier nos Grandes Écoles ont un rôle important à jouer non seulement pour l’Afrique mais aussi pour l’Europe. Nous devons contribuer à y construire un enseignement supérieur attractif pour les étudiants africains mais aussi pour nos étudiants européens qui vont ainsi pouvoir se former au cœur même de l’environnement qui sera le leur demain. Je pousse l’idée de campus qui soient dédiés à la formation de cadres préparés à accompagner les économies en développement.

Nos entreprises ont besoin de ces ingénieurs et de ces managers formés à une autre organisation sociale, à d’autre cultures, à d’autres rapports sociaux, à d’autres besoins technologiques, à une autre complexité. C’est le sens de mon engagement personnel et celui d’écoles de l’UGEI conscientes des enjeux d’influence de notre modèle. L’innovation et l’entrepreneuriat seront les moteurs de cette dynamique à mon sens largement initiée dans l’espace anglophone et insuffisamment dans l’Afrique francophone. Il faut que notre vision soit globale et que nos actions visent à multiplier les coopérations au sein de ce continent entre les différentes régions pour favoriser la mobilité des étudiants. Nous devons, par exemple, créer des formations et des diplômes conjoints entre les établissements des pays de langue anglaise et française.

O. R : Avec votre école, l’EPF, vous êtes même tête de file d’un projet européen.

J-M. N : A l’EPF, après avoir été à l’initiative d’un cycle préparatoire en grande partie dédié aux jeunes femmes africaines au sein de 2IE au Burkina-Faso, nous sommes aujourd’hui très engagés dans un projet Erasmus+ qui vise à accompagner l’entrepreneuriat féminin en Afrique. Nous voulons accueillir au sein des universités africaines partenaires chaque année 200 jeunes femmes, qui ont souvent reçu une première formation supérieure et qui n’accèdent pas à l’emploi à reconnaitre leurs compétences pour les accompagner vers la création d’entreprise. Le dépôt du dossier auprès de l’Europe est en cours et nous espérons obtenir un financement d’1 million d’euros sur trois ans pour mener à bien ce projet.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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