La Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) vient de tenir un congrès qui, pour la première fois, a permis à toutes ses écoles d’ingénieurs françaises (internes aux universités, externes et privées) de se réunir. Son président, François Cansell, également directeur général de Bordeaux INP, s’interroge sur leur avenir alors que le ministère des Finances semble pousser à des regroupements en séries.
Olivier Rollot : Quels sont les principaux points sur lesquels vous avez travaillés pendant ce congrès ?
François Cansell : Si elles sont toutes impactées par des difficultés de financement, chaque catégorie d’écoles a ses propres préoccupations. Les écoles internes demandent à ce que leurs compétences et performances soient mieux reconnues au sein de leur université, et elles souhaitent préserver le continuum formation –recherche – transfert quand elles voient que certaines universités ont regroupé dans des grands collèges la formation et la recherche.. Les écoles « externes » se demandent comment va et doit évoluer leurs statuts. Et les écoles privées se demandent surtout comment développer leurs ressources.
O. R : Votre principale préoccupation aujourd’hui c’est de savoir comment répondre aux injonctions du ministère des Finances qui semble bien décidé à pousser les écoles d’ingénieurs à des fusions. Le rapport Attali sur l’École polytechnique va d’ailleurs dans le même sens.
F. C : Je ne sais pas comment peut évoluer la situation sur le site de Paris Saclay et notamment pour l’Ecole Polytechnique. Ce qui est clair c’est qu’il faut définir les objectifs attendus par une fusion et les moyens associés et ce sera difficile de faire fusionner des grandes écoles d’ingénieurs de renommée internationale sous tutelle de différents ministères. En régions, si on excepte Grenoble INP et l’Insa de Lyon, les écoles sont de plus petites tailles.
Cependant, un établissement de petite taille comme l’ENI de Tarbes répond à la fois aux problématiques d’employabilité des étudiants et aux besoins des entreprises du territoire comme Turbomeca. La faire fusionner avec d’autres établissements n’est pas une garantie d’efficience en soi. Avant de changer des structures, il faut définir les objectifs que l’on souhaite atteindre et la plus-value attendue. Des regroupements sont peut-être nécessaires sur certains territoires mais laissons aux acteurs le temps de maturer leurs projets en prenant en compte la vision de site au sein des ComUE de la loi Fioraso.
O. R : Un autre sujet vous impacte beaucoup depuis maintenant plus de deux ans : la mise en place des Comue (communautés d’universités et d’établissements). Où en sont les relations entre les universités et les écoles d’ingénieurs dont on sait qu’elles n’ont pas toujours été faciles ?
F. C : Ces relations se sont apaisées, les écoles d’ingénieurs participent pleinement avec les universités à la mise en place des Comue. Elles diplôment chaque année 35 000 des 58 000 étudiants de masters 2 en sciences et technologies. Les écoles sont fortement impliquées dans les actions de recherche et de transfert et elles représentent 50 % des membres des conseils qui pilotent les Comue.
Pour autant, il existe encore des blocages avec quelques présidents d’université qui ne reconnaissent pas la valeur ajoutée des écoles d’ingénieurs dans le domaine de la recherche. Les écoles d’ingénieurs ont un nombre important de leurs professeurs qui bénéficie de la PEDR (prime d’encadrement doctorale et de recherche) ; elles contribuent de manière significative à l’encadrement des doctorant(e)s ; elles ont en cotutelle des laboratoires d’excellence et se voient refusées l’accréditation conjointe d’écoles doctorales sur certains sites.
O. R : A l’exemple de ce qui a été entrepris aux Arts et Métiers ParisTech vous réfléchissez à la création d’un diplôme d’assistant ingénieur. Où en êtes-vous ?
F. C : Ce serait un diplôme en trois ans après le bac qui formerait des assistants ingénieurs généralistes possédant de bonnes capacités en management de projets scientifiques et technologiques. Nous réfléchissons à un nom mais ce ne sera pas une licence ou bachelor car, aujourd’hui, ces termes sont trop connotés « licence professionnelle » et nous tenons à que ce nouveau diplôme ne soit justement pas trop spécialisé sur un domaine industriel.
Maintenant, la Cdefi propose de mettre en place des expérimentations dans deux ou trois Comue en partenariat avec les rectorats, les conseils régionaux, les entreprises et les établissements d’enseignement supérieur. Cette réflexion rejoint celle que nous avons, plus largement, sur la structuration de nos formations avec les partenaires professionnels en régions et la montée en puissance de l’entreprenariat dans le cadre de projet « Pépites ».
O. R : On se souvient que la question des ponctions de l’État dans vos « fonds de roulement » a occupé les esprits pendant de longs mois. Où en est la situation ?
F. C : Nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans ce débat où on nous présente parfois comme des « râleurs impénitents » ! Nous espérons surtout que cela ne va pas recommencer en 2016. Si tel devait être le cas nous protesterions avec encore plus de véhémence que cette année. Ce ne sont pas des méthodes acceptables que de prendre aux petits établissements d’enseignement supérieur et de recherche, les écoles d’ingénieurs notamment, – les écoles – pour donner aux grands établissements d’enseignement supérieur et de recherche, les grosses universités. Ce n’est pas une bonne méthode pour l’ESR, l’État doit se fixer des priorités, les tenir et ne pas tenter de diviser pour « mieux régner ». Sur cette question, il n’a d’ailleurs pas réussi.
Aujourd’hui le message que nous souhaitons passer c’est celui d’écoles d’ingénieurs performantes qui contribuent à la réindustrialisation de la France tout en permettant aux jeunes de réaliser un projet professionnel, d’obtenir un diplôme et de s’insérer sur le marché du travail avec un bon salaire. A budget constant nous formons de plus en plus d’étudiants mais cela ne peut pas durer indéfiniment.
O. R : Les dépenses de l’État augmentant dans la défense et la sécurité on risque de vous demander encore des efforts. Avez-vous la possibilité de développer de nouvelles ressources ?
F. C : Si c’est pour combler les déficits de l’État qui vient les ponctionner, non ! Alors que les ressources que nous tirions de la taxe d’apprentissage s’amenuisent pouvons-nous développer la formation continue ? Ce ne sera pas simple sur un marché où des acteurs historiques sont très bien positionnés et où il faudrait faire mieux pour moins cher. Les fondations, les anciens peuvent-ils plus nous soutenir ? Bien sûr mais cela prend du temps.
Restent les droits d’inscription qui pourraient être proportionnels aux revenus des parents et aller vers des montants qui sont par exemple ceux des Ponts ParisTech aujourd’hui [2570€ par an]. Nous souhaitons en discuter avec le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les étudiants et les entreprises. Mais la solution aux difficultés économiques des établissements d’enseignement supérieur et de recherche ne peut pas reposer uniquement sur la hausse des droits d’inscription. Il faut une réflexion plus poussée pour assurer un financement pérenne des écoles d’ingénieurs et des universités.
O. R : Qu’attendez-vous du nouveau secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche ?
F. C : Il faut définir une vision stratégique pour l’avenir de la jeunesse. Pour construire des Rafale il faut des têtes bien faites ! Notre message est « travaillons ensemble » sur la structuration d’une filière technologique du -3 au +8 pour attirer de plus en plus de jeunes dans cette filière. La force des écoles d’ingénieurs c’est le continuum formation–recherche-transfert en lien étroit avec le tissu socio-économique..
L’Etat Français doit identifier les domaines de performance des établissements d’enseignement supérieur et de recherche et leurs donner des moyens au regard de ses ambitions même si l’établissement n’a qu’un seul domaine d’excellence. A titre d’exemple, l’université de Pau contribue au rayonnement international de la France dans les domaines des géo ressources et de l’environnement, pourquoi ne pas soutenir fortement ces pépites françaises. Il faut soutenir les pépites comme l’a fait le PIA avec les Labex, les Equipex, les IHU,… La priorité doit être de de soutenir ce qui rayonne et non pas de promouvoir des restructurations pour des restructurations. Les établissements les plus performants au niveau international comprennent entre 5000 et 20 000 étudiants et pas 50 000 ou 100 000 étudiants.