Il est le directeur de EdTech France, l’association de start up de l’éducation dont certaines, comme Open Classrooms, sont déjà à maturité quand beaucoup cherchent encore leur modèle économique. Le regard de Rémy Challe sur un secteur en plein essor.
HEADway Advisory et Edtech France scellent un partenariat
HEADway Advisory et EdTech France ont officialisé la signature d’un partenariat stratégique qui préfigure des actions collaboratives au service de la filière EdTech et pour faire progresser l’Education et l’Enseignement supérieur. Avec cette collaboration HEADway Advisory s’engage à apporter ses savoir-faire et sa vision stratégique de l’ESR aux starts-up membres de Edtech France avec un triple objectif et bénéfiques à toutes les parties prenantes :
- proposer aux établissements d’enseignement supérieur des solutions adaptés à leurs besoins spécifiques
-
contribuer au dynamisme de la filière Edtech Française en partageant avec les entreprises de cet écosystème insights en mesure d’accompagner leur réussite
-
participer au rayonnement et au développement des Edtech dans les établissements de l’enseignement supérieur français pour contribuer à renforcer l’excellence de la filière et des établissements et participer à l’émergence d’un d’un modèle participatif de référence
Ce partenariat prendra, au fil des prochains mois, différentes formes et fera l’objet d’initiatives d’impact qui seront annoncées dans les prochaines semaines.
Olivier Rollot : EdTech France c’est quoi au juste?
Rémy Challe : EdTech France, c’est l’association des entrepreneurs français qui ont décidé de rendre la technologie utile à l’éducation et à la formation.
Il est vrai que le terme EdTech peut paraître confusant car il résulte de la contraction des deux vocables anglo-saxons “Educational” et “Technology”. Or, il faut entendre “Education” au sens large, et pas simplement dans un contexte de milieu scolaire. En d’autres termes, les entreprises EdTech développent des solutions innovantes à destination des écoles, des établissements d’enseignement supérieur, des centres de formation et des entreprises. Par ailleurs, au-delà de ces marchés souvent orientés BtoB, certaines solutions s’adressent directement à l’apprenant.
Les 120 entreprises membres d’EdTech France reflètent ainsi la diversité de la filière et de l’offre EdTech : jeunes pousses, PME installées, entreprises franciliennes et dans les territoires (et même à Monaco, en Belgique et en Suisse), intervenant sur un plusieurs segments du marché (scolaire ou K12, Enseignement Supérieur, Formation professionnelle), proposant des solutions venant au soutien des équipes éducatives ou transformant l’expérience de l’élève… avec toutes la même conviction que la pédagogie et les modes d’apprentissage doivent évoluer avec ce que le numérique peut offrir de meilleur.
O. R : Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ce nouveau poste après quinze ans passés dans l’enseignement supérieur mais du côté des grandes écoles ?
R. C : La crise de la quarantaine j’imagine !!! Plus sérieusement, disons que depuis mes premiers pas de chargé de travaux dirigés à l’Université de Cergy-Pontoise en 1999, à ma fonction de Dean de l’INSEEC Business School près de 20 ans plus tard, j’ai exercé beaucoup de fonctions passionnantes dans l’enseignement supérieur et je mesure la chance qui m’a été donné de pouvoir réaliser un parcours si riche d’expériences et de rencontres.
Aussi j’avais envie, pour ma “deuxième partie de carrière”, d’explorer d’autres univers, de trouver des défis à relever plus en adéquation avec mes aspirations profondes et mon tempérament. J’avais également le sentiment que le modèle traditionnel de la Business School avait besoin de se régénérer, et qu’il ne suffisait pas de parler d’innovation pour être innovant. D’autres acteurs, incarnés en France par l’école 42 ou OpenClassrooms, étaient en train de bousculer les codes, que nous préparions la visite d’un énième accréditeur international ou recomptions les articles publiés dans les revues classées… Je sentais que quelque chose devait se passer, et je suis heureux de pouvoir être aujourd’hui acteur de ce changement en pilotant l’écosystème d’innovation qu’est la filière EdTech française.
O. R : Quels sont les marchés sur lesquels se développent principalement les EdTech en France ?
R. C : Il y a principalement 3 marchés distincts, avec des caractéristiques propres : le scolaire, dit aussi K-12 (pour “kindergarten to 12th grade”), l’enseignement supérieur et la formation professionnelle.
Le marché le moins accessible, qui ne représente en France que 7% des investissements (contre près de 60% en Chine) est de loin celui du K-12, qui cumule plusieurs difficultés d’ordre structurel : faiblesse des moyens consacrés aux solutions numériques, disparités territoriales, multiplicité des acheteurs, complexité des circuits d’achat, réglementation des marchés publics, méfiance à l’égard des acteurs privés, voire méfiance à l’égard du numérique…
A l’inverse, le marché le plus porteur, et qui a déjà atteint une certaine maturité, est celui de la formation professionnelle et tout au long de la vie, avec des acteurs dynamiques, des enjeux stratégiques de transformation numérique, de formation et de montée en compétences des collaborateurs… sans compter la réforme du compte personnel de formation (CPF) qui peut se révéler être un véritable gisement d’opportunités pour les entreprises EdTech. Il existe encore de vrais leviers de croissance (notamment dans les PME et les TPE) mais c’est sans conteste le segment de marché qui porte aujourd’hui la croissance de la filière.
Enfin, entre l’école et l’entreprise, on retrouve naturellement le marché de l’enseignement supérieur et sa multiplicité d’acteurs : universités, écoles de management, écoles d’ingénieurs, centres de formation, institutions publiques ou privées, à but lucratif ou non… C’est certes un marché plus complexe que celui de la formation professionnelle, avec des moyens plus limités et des processus de décision souvent difficiles à appréhender pour les entrepreneurs, mais un marché beaucoup plus ouvert que celui du K-12. Je suis d’ailleurs convaincu que, à court et moyen terme, c’est là que se jouera la croissance de la filière EdTech française.
O. R : Pouvez-vous nous donner quelques exemples de EdTech particulièrement emblématiques ? Certaines d’entre elles peuvent-elles inquiéter les acteurs établis de l’enseignement supérieur ?
R. C : Début mai, nous avons annoncé l’adhésion de notre centième membre, OpenClassrooms, probablement la plus emblématique des entreprises EdTech ; difficile en effet de trouver plus représentatif de la filière qu’une entreprise qui forme au numérique par le numérique !
Par ailleurs, bon nombre de directeurs d’écoles de management connaissent déjà des solutions comme Oscar Campus, Academ, AppScho, Testwe, My Job Glasses, Ubicast, Alumnforce… et bien d’autres. Preuve que les entreprises EdTech ne sont pas des concurrents des acteurs de l’enseignement supérieur, mais plutôt des partenaires qui viennent, à chaque étape de la « vie » d’un étudiant, enrichir la chaîne de valeur de l’institution. D’ailleurs je ne crois pas qu’à court et moyen terme, les « acteurs établis de l’enseignement supérieur » soient véritablement menacés, y compris par des organismes de formation qui seraient entièrement dématérialisés. Les diplômes, comme les noms de ceux qui les délivrent, continuent de garder une réelle importance pour ceux qui les obtiennent, comme pour les recruteurs. On ne crée pas une marque, une réputation, un réseau, une expertise aussi facilement que cela ! Mais à plus long terme, la menace pourrait être réelle pour ces acteurs s’ils continuaient d’ignorer les nouveaux entrants, dont il ne faut pas sous-estimer la capacité d’innovation et, pour utiliser un terme déjà galvaudé, de disruption. Posez donc la question à un chauffeur de taxi parisien…
C’est pourquoi les institutions de l’enseignement supérieur doivent apprendre à dialoguer et à travailler avec les entreprises EdTech, pour améliorer avec elles l’expérience de l’apprenant, l’adapter à un monde en transformation profonde, et repenser la structure même des cursus et des modes d’apprentissages.
Le vrai sujet, ce n’est pas la technologie pour la technologie, mais la technologie au service de nouvelles pédagogies, pour de nouveaux apprenants, auxquels on demande de maîtriser de nouvelles compétences.
O. R : Comment les Grande écoles et les universités soutiennent-elles aujourd’hui les EdTech ?
R. C : Je ne sais pas si on peut à proprement parler de soutien, en tout cas aujourd’hui. La relation est encore trop souvent envisagée sous le seul prisme du rapport « client-fournisseur », ce qui est plutôt réducteur compte tenu des enjeux de transformation auxquels les grandes écoles et les universités sont confrontées. Nous devons aller plus loin, créer un vrai dialogue, construire des solutions ensemble, définir un cadre pour les expérimentations, embarquer le corps professoral dans cette aventure, qui est avant tout pédagogique.
Ce sont là des missions d’EdTech France, qui offre pour la première fois aux institutions un interlocuteur légitime pour échanger avec la filière.
Nous avons d’ailleurs annoncé l’arrivée, comme « partenaires engagés », de six Grandes écoles de management (emlyon, Grenoble EM, Rennes SB, SKEMA, KEDGE et l’EM Normandie) qui seront bientôt rejoints par d’autres institutions de l’enseignement supérieur. L’idée est de créer un premier cercle des « pionniers » de l’innovation EdTech, avec des collaborations et des échanges concrets : incubation et accélération de startups, expérimentation de solutions, learning expeditions, organisation d’événements et de conférences, animation des clusters EdTech territoriaux, présentation de solutions et appels à projets… J’ai également été invité à participer aux travaux du groupe de travail « innovations pédagogiques » de la Conférence des grandes écoles pour contribuer à repenser la chaîne de valeur des business schools. Nous construisons dans le même temps un dialogue et un rapprochement du monde universitaire, avec des partenariats signés comme l’ATIEF (Association des technologies de l’information pour l’éducation et la formation) ou le CSIESR (Comité des services informatiques de l’enseignement supérieur et de la recherche) et d’autres à venir.
Je profite d’ailleurs de cette occasion pour appeler tous ceux qui souhaitent entreprendre cette démarche d’innovation à se rapprocher de nous !
O. R : Les financements sont-ils aujourd’hui suffisants en France pour faire émerger une industrie des EdTech puissante?
R. C : Le problème n’est pas tant celui des financements que celui des marchés… Je veux dire par là qu’il existe déjà deux fonds d’investissement dédiés à la filière EdTech – Educapital et Brighteye VC, tous deux partenaires d’EdTech France – et que je reçois de nombreuses sollicitations de fonds généralistes qui s’intéressent à notre écosystème. Les investisseurs sont là, et les montants des levées de fonds en France connaissent ces dernières années une croissance à deux chiffres. Simplement, la plupart des deals concernent des entreprises qui interviennent sur le marché de la formation professionnelle, moins sur l’enseignement supérieur, et très peu sur le K-12.
Lorsque le marché de l’enseignement supérieur montrera davantage de garanties et de signes de maturité, et que les entreprises auront davantage de visibilité, les fonds suivront. Et si le marché du K-12 devenait accessible, alors là oui certainement, nous pourrions faire émerger une filière EdTech française capable de nous positionner comme de véritables champions européens.
O. R : Des mastodontes américains ou chinois émergent rapidement dans les EdTech. Pouvez-vous nous indiquer quels sont les acteurs les plus importants aujourd’hui ?
R. C : Mon cher Olivier, voilà ce qui s’appelle remuer le couteau dans la plaie !!! Les géants sont assurément américains et chinois, mais également indiens. Selon une étude publiée par Educapital, ce sont plus de 4,5 milliards de dollars qui ont été investis en 2018 dans la filière EdTech chinoise, contre seulement 246 millions de dollars en France… Cela vous donne une idée du retard que nous sommes en train de prendre ! Et sur les 9 licornes EdTech (sociétés valorisées à plus d’1 milliard de dollars), on retrouve 4 entreprises chinoises, 3 américaines, une indienne et une taïwanaise. En Europe, les écosystèmes les plus dynamiques sont britannique, nordique (Suède, Norvège, Finlande, Danemark) et français. Mais le fossé est abyssal entre l’Europe et les nations leaders.
O. R : Il y a des salons dans tous les domaines. Il ne semble pas y en avoir où se rencontrent les EdTech de l’enseignement supérieur. Pourquoi ?
R. C : Il est vrai que l’on trouve des salons où est présentée l’offre de solutions EdTech pour le secteur scolaire (Educatec-Educatice) ou le Corporate Learning (Learning Technologies, eLearning Expo…). En revanche, aucun salon n’est spécifiquement dédié à l’enseignement supérieur, ce qui ne facilite pas la rencontre entre entreprises EdTech et institutions d’enseignement… C’est assez symptomatique du manque de lisibilité de l’offre, et d’un manque de maturité de la demande.
Pour autant, je ne suis pas certain qu’un salon de plus aurait véritablement du sens, du moins à court terme. L’un des objectifs d’EdTech France est donc de mettre en place dès maintenant des événements réguliers permettant de faire se rencontrer, autour d’une thématique précise (les relations entreprises, les soft skills, l’expérience étudiante, l’adaptive learning, l’apprentissage des langues…), entrepreneurs et représentants d’écoles et d’universités. Nous avons déjà testé avec un réel succès une rencontre de ce type à Station F.
Ensuite nous travaillons avec notre partenaire CloserStill Media (organisateur du salon de référence Learning Technologies au mois de février) sur un format qui permettrait de mettre en lumière les entreprises qui adressent des solutions à destination de l’enseignement supérieur. Plutôt que de créer un nouveau salon, profitons de l’existant pour créer un réel espace de rencontre et de démonstration.
O. R : Qui gère ce sujet dans les établissements d’enseignement supérieur ? Le DSI ou d’autres ?
R. C : Bien malin celui qui peut le deviner ! D’une école à l’autre, d’une université à l’autre, les personnes clés ne sont pas toujours les mêmes. Tel DSI sera moteur, tel autre le sera moins… Tel responsable de département sera en quête de solutions innovantes, tel autre n’en fera pas sa priorité… Et les interlocuteurs ne seront pas les mêmes selon qu’une solution concerne le champ de la pédagogie, celui des relations internationales, des relations entreprises, de la vie étudiante… Bref, c’est un véritable casse-tête pour les entrepreneurs que de savoir quel est le bon service ou la bonne personne à contacter dans telle ou telle institution. Et je ne parle même pas des processus de décisions, d’achat, de paiement…
La bonne nouvelle cependant est que les choses commencent à s’organiser. Des associations comme le CSIESR (dont nous sommes partenaires) ou les VP-Num offrent aux entrepreneurs des interlocuteurs ouverts, qui peuvent être des prescripteurs, voire des décideurs. Dans les écoles également, on commence à voir émerger des personnes en charge de l’innovation, capables de représenter l’institution dans sa globalité dans un dialogue avec la filière EdTech. Et bien entendu, c’est aussi notre rôle que de créer cette passerelle entre les écosystèmes, pour créer de la confiance, et amener établissements d’enseignement supérieur et entrepreneurs à construire ensemble le futur de l’éducation et de la formation.