POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Comment accroitre la diversité au sein des fleurons de notre enseignement supérieur ?

Alors qu’elle exerce en 2019 la présidence du G7 et organise un sommet consacré à la lutte contre les inégalités – à Biarritz du 24 au 26 août -, la France a décidé de placer les questions d’éducation au cœur des discussions du sommet. Un contexte dans lequel la disparition / transformation de l’Ena comme les projets de réforme de l’admission à l’Ecole polytechnique ou à l’ENS font plus que jamais sens. Dans un entretien au Monde celui qui est chargé du dossier, l’avocat Frédéric Thiriez, réaffime cette semaine que la suppression est « bien confirmée » : « Pourquoi ne pas imaginer une nouvelle école où l’on enseignerait pendant un an un tronc commun à tous les futurs hauts fonctionnaires, d’Etat, territoriaux, hospitaliers, magistrats, commissaires de police compris ? Cela concernerait également les quatre « corps techniques » : Mines, Ponts, armement, Insee ». Une super Ena, non ?

Que reproche-t-on aux (très) Grandes écoles ?

Lors de sa conférence de presse du 25 avril, Emmanuel Macron confirme sa volonté de supprimer l’Ena au motifs que ses filières de recrutement « ne sont plus des filières méritocratiques, où, quand on vient d’une famille d’ouvrier, de paysan, d’artisan, on accède facilement à l’élite de la République, ça n’est plus si vrai, il faut s’interroger ». Il insiste également sur la nécessité de « repenser la formation» des hauts fonctionnaires pour qu’elle soit plus ouverte au monde académique, à la recherche, à l’international, au monde universitaire ». Ce à quoi la direction de l’Ena répondit dans un tweet, forcément lapidaire : « Dans la promotion actuelle de l’ENA, 26 % d’élèves boursiers de l’enseignement supérieur, 14 % d’élèves petits-enfants d’ouvriers, 9 % petits-enfants d’agriculteur, 12 % petits-enfants d’artisan ou commerçant, 12 % petits-enfants d’employé ».

Des chiffres encourageants qui n’en percutent pas moins une réalité bien française : l’ascenseur social y fonctionne en moyenne moins bien que dans les autres pays de l’OCDE. « En France, les élèves issus des familles les plus défavorisées sont quatre fois plus susceptibles que les autres d’être parmi les élèves peu performants à l’étude PISA, c’est la probabilité la plus élevée des pays de l’OCDE », souligne Eric Charbonnier, expert éducation à l’OCDE (lire son blog). Et seulement 17% des adultes nés de parents non diplômés du secondaire ont obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur contre une moyenne de l’OCDE de 21%. Selon une étude publiée par l’OCDE il faudrait même six générations pour une personne née dans une famille à faible revenu pour se rapprocher du salaire moyen français. « Cette statistique est bien plus élevée que la moyenne de l’OCDE où le nombre de générations n’est que de 4,5, et descend entre deux et trois générations pour les pays nordiques (Danemark, Finlande, Norvège et Suède) », constate Majda Benzidia, statisticienne à l’OCDE.

Une problématique qui n’est d’ailleurs pas que française comme en témoignent les efforts réalisés aujourd’hui par de grandes universités dans le monde. Et au premier rang des britanniques. Au cours des quatre prochaines années Oxford espère ainsi porter à 25% la proportion d’étudiants de premiers cycle issus de milieux défavorisés grâce à deux nouveaux programmes (lire dans le Financial Times).

 Des Cordées pour que tous puissent réussir

Si la thématique de la diversité dans l’accès à l’enseignement supérieur a été moins présente dans les débats ces dernières années, cela n’a pas empêché les Grandes écoles de continuer à y travailler en développant par exemple les Cordées de la réussite. Un dispositif qu’on retrouve également de plus en plus dans les universités. Sous l’appellation « Scientifique demain, c’est possible ! »  Avignon Université vient ainsi d’organiser la première édition de ses Cordées de la Réussite à laquelle 98 élèves de quatrième venant de trois collèges REP (Réseau d’éducation prioritaire) du Vaucluse ont participé. Ensemble ils ont mené un projet visant à imaginer le contenu de notre assiette en 2050 en tenant compte des questions des changements environnementaux et de leurs impacts avant d’être accueillis, avec leurs parents, au pôle Agrosciences d’Avignon Université, pour présenter leurs travaux et visiter les laboratoires.

Un exemple qui parle forcément à la présidente de la Conférence des grandes écoles, Anne-Lucie Wack, très impliquée dans le sujet de la diversité sociale depuis quatre ans qu’elle préside la conférence : « On parle beaucoup des investissements nécessaires pour que les écoles puissent opérer leurs transformations numériques et pédagogiques, mais elles doivent aussi investir pour opérer leur transition sociale. Cela englobe l’enjeu d’ouverture sociale, la sensibilisation aux questions de responsabilité sociétale et de diversité pour des étudiants qui seront en situation de responsabilité demain dans les entreprises, et la meilleure prise en compte des enjeux sociétaux dans nos formations ».

HEC comme les prépas s’ouvrent

Une problématique que prend également à cœur HEC en accompagnant avec ses étudiants 380 boursiers de prépas EC – autant que d’élèves reçus chaque année – pour que 100% d’entre eux soient admis dans l’une des écoles françaises. « Et qu’importe si cela n’est pas HEC, à partir du moment où nous leur avons donné la chance d’être admis dans une école bien plus prestigieuse que celle qu’ils espéraient intégrer à leur arrivée en classes prépa », établit Eloic Peyrache, le directeur adjoint. de l’école qui soutient également 380 lycéens issus de quartiers prioritaires avec l’ambition d’obtenir 100% de mentions au bac.

Les classes préparatoires ne sont pas en reste dans cette volonté d’ouverture. Une note de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) établit ainsi à la fois que, quelle soit la série du bac, les élèves d’origine sociale favorisée ont une probabilité supérieure de 2 points de demander une CPGE en premier vœu que ceux issues d’une famille d’origine sociale modeste. Mais aussi qu’un élève scolarisé dans un lycée à « niveau faible » aura plus de chances d’être admis en CPGE que celui inscrits dans un « bon » lycée. Les élèves de terminale S inscrits dans un lycée dont la moyenne au baccalauréat est inférieure à 12 ont ainsi une probabilité supérieure de 4,5 points d’être admis à leur premier vœu en CPGE que les élèves évoluant dans un lycée dont la moyenne au bac se situe entre 12 et 13. Comme l’expliquent les experts de la DEPP « ce résultat, à première vue étonnant, s’explique sans doute par le fait que si les notes sont importantes dans le choix des jurys, les appréciations portées sur les bulletins le sont également ».

Comment aller plus loin ?

Une étude réalisée dans plusieurs établissements français et anglais, publiée dans la « Revue française de sociologie » et dans « Education et Sociétés », souligne que ces dispositifs d’ouverture sociale ont « favorisé la diffusion au sein des lycées d’un discours sur le « potentiel » des élèves, qui incarne une nouvelle façon de définir les capacités de l’élève et des manières de le juger dans la sphère scolaire », explique Annabelle Allouch, maîtresse de conférences de sociologie à l’université de Picardie-Jules-Verne dans une tribune. En sélectionnant les élèves les plus aptes à entrer dans ces dispositifs, on n’évaluerait plus ainsi seulement l’adéquation du profil et des résultats scolaires du lycéen avec les attentes de l’établissement (c’est-à-dire son « mérite scolaire », sur le fondement de ses notes) pour miser « avant tout sur le développement des capacités à venir de l’élève, grâce aux ressources matérielles, humaines et morales mises en œuvre autour de lui ». Selon elle il s’agit de susciter l’envie chez l’élève de ressembler à un autre jeune, le tuteur, qui « incarne alors sa filière, son établissement, la façon dont on y vit et on y apprend ».

Mais aucun établissement n’est allé aussi loin que Sciences Po. Depuis 2001 son dispositif « conventions d’éducation prioritaires » a permis à 1929 lycéens issus de zones difficiles d’intégrer l’école. Le documentaire « Pourquoi pas moi », diffusé le 22 avril dernier sur France 3, montre ainsi six jeunes du lycée Jean-Renoir de Bondy en quête d’une admission à Sciences Po dans le cadre du concours dérogatoire institué par Richard Descoings. « On a tous grandi, on a tous fait le choix d’études ambitieuses », rappelle l’une d’entre eux, Maryama, qui espère bien rejoindre les 150 élèves, soit 10% des effectifs, reçus chaque année dans ce cadre. Elle devra passer d’abord par une épreuve d’admissibilité dans son lycée qui consiste dans la présentation de la revue de presse complétée par une note de synthèse et une réflexion personnelle. Les candidats déclarés admissibles par leur établissement se présentent ensuite à une entretien d’environ 20 minutes à Sciences Po. Entièrement jugés sur leur dossier et lors de cet entretien, les meilleurs entreront ensuite dans l’institut. Une volonté de réduire la part des écrits qui est en passe d’aller plus loin comme l’expliquait le directeur de Sciences Po, Frédéric Mion, après sa reconduction à la direction en 2018 dans un entretien au Monde : « L’heure est venue de revoir toutes ces modalités, notamment en interrogeant la place des épreuves écrites dans l’admission en premier cycle. Il est trop tôt pour dire s’il y aura plus ou moins d’épreuves écrites mais mon intuition, c’est que nous parvenons d’ores et déjà à recruter sans épreuves écrites des étudiants, notamment internationaux, qui ont un très beau parcours par la suite ».

C’est en 2021 que la bascule vers un tout nouveau concours devrait avoir lieu. C’est également en 2021 que devrait naître la nouvelle Ena – de toute évidence en s’inspirant de Sciences Po ! – comme en attestent les propos de Frédéric Thiriez : « Notre conception très académique de l’excellence est aujourd’hui socialement discriminante. D’autres pays fonctionnent différemment, mettant en avant l’expérience, des épreuves plus pratiques ou plus scientifiques ». Il imagine également un concours spécial, ouvert à certains profils de candidats avec des épreuves un peu différentes de celles du « concours étudiant », tout en affirmant que « cela resterait un concours difficile, avec un taux de sélection élevé ».

  • Dans son entretien Frédéric Thiriez réaffirme également la volonté présidentielle de supprimer le système et la mentalité « grands corps », en « coupant l’accès direct à ceux-ci à la sortie de l’école qui formera les hauts fonctionnaires ».
Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend